Algérie : le mois de tous les dangers

Abdelaziz Bouteflika, qui continue d’entretenir le suspense autour de sa candidature à la présidentielle, a jusqu’au 4 mars pour annoncer sa décision. D’ici là, ses partisans les plus zélés, inquiets pour leur avenir, sont résolus à tout faire pour qu’il rempile.

Abdelaziz Bouteflika en février 2012, à Oran. © FAROUK BATICHE/AFP

Abdelaziz Bouteflika en février 2012, à Oran. © FAROUK BATICHE/AFP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 17 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Rarement les Algériens auront connu un mois de février aussi chaud. À deux mois de l’élection présidentielle du 17 avril, ils assistent, médusés ou amusés, à un affrontement à couteaux tirés entre le camp présidentiel et le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le puissant secret service dirigé par le général Mohamed Mediène, alias Toufik. Au coeur de cette guerre inédite : la succession d’Abdelaziz Bouteflika, 77 ans le 2 mars, au pouvoir depuis quinze ans. En toile de fond, les rumeurs et les spéculations sur la santé du locataire d’El-Mouradia, le silence de ce dernier sur ses intentions à trois semaines de la clôture du dépôt des dossiers de candidature (mardi 4 mars, à minuit) et l’empressement avec lequel ses zélateurs l’exhortent à briguer un quatrième mandat. Point de débats sur les programmes et les projets politiques des uns et des autres, ni sur les préoccupations des Algériens. Une seule question brûle toutes les lèvres : sera-t-il ou non candidat ?

"Longue vie à celui qui connaît ses limites"

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Flash-back. La scène se passe en juillet 2013, dès le retour de Bouteflika en Algérie après quatre-vingts jours d’hospitalisation au Val-de-Grâce, à Paris, pour soigner un AVC, suivis d’une convalescence aux Invalides. Dans sa résidence médicalisée près de Zeralda, à l’ouest d’Alger, le chef de l’État reçoit le général Mediène, tandis que le Premier ministre et le chef d’état-major de l’armée quittaient les lieux. "Je ne me représente pas", aurait-il lâché en substance à celui qui l’avait soutenu lors de son élection de 1999, puis de ses réélections en 2004 et 2009. Pourtant, à ce jour, pas même ses quelques proches ne connaissent les intentions réelles de l’intéressé. Publiquement, le président n’a jamais fait part de sa volonté de se maintenir au pouvoir. Bien au contraire. Le 8 mai 2012, lors de son fameux discours de Sétif où il appelait ses compatriotes à voter massivement aux législatives, il avait surpris ces derniers en déclarant à deux reprises : "Je l’ai dit et je le répète, le temps de ma génération est révolu." Et lorsque son auditoire a réclamé un quatrième mandat, Bouteflika l’a interrompu en citant un dicton local : "Aach men aref qadrou" ("Longue vie à celui qui connaît ses limites"). En outre, avant son accident vasculaire, le raïs avait confié à une personnalité algérienne de haut rang sa décision de ne pas aller au-delà d’un troisième mandat.

Le concours du meilleur courtisan

Aurait-il donc changé d’avis, alors que l’âge, les séquelles de son AVC, ainsi que celles de son ulcère hémorragique de novembre 2005 le handicapent lourdement, au point qu’il ne marche plus et ne s’exprime jamais en public, se contentant de quelques brèves apparitions à la télévision nationale ? Pendant que Bouteflika entretient le suspense, qui pourrait durer trois semaines tout au plus, ses partisans et alliés appellent expressément de leurs voeux, voire exigent ce fameux mandat "de la paix et de la stabilité".

Semaine après semaine, partis politiques, associations, membres de la société civile multiplient motions de soutien, déclarations et initiatives pour forcer la main au chef de l’État, tant et si bien que l’opinion a l’impression d’assister à un concours du meilleur courtisan. Gérés directement par la présidence, les médias publics encensent à longueur de journée les "grandes réalisations de Fakhamat er-raïs ["Son Excellence le président"]" au cours de ses trois mandats. Le bal ne s’arrête pas là. Un responsable "des comités de soutien du président" promet 4 millions de signatures pour le futur candidat. Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), compare le chef de l’État à Mandela. Le chef d’un microparti, jadis videur de boîte de nuit, annonce sur un plateau télé qu’il votera pour "Bouteflika, mort ou vivant", alors qu’Amara Benyounès, ministre du Développement industriel, jure que le président "gagnera les élections, et Rabbi kbir ["Dieu est grand"]".

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Dans ce défilé de dévots et de zélotes, la palme revient au ministre des Transports, Amar Ghoul, lequel considère, sans rire, que "le président Bouteflika lui-même est un acquis pour l’Algérie, pour nos voisins, pour le monde arabe, l’Afrique et le monde. Il est le garant de la stabilité aux plans national et régional". Quant au secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Amar Saadani, cornaqué par Saïd Bouteflika, frère cadet du chef de l’État, il fait office de porte-parole, de chargé de mission et de porte-flingue de la présidence. Bien que contesté par une bonne majorité des cadres du FLN, Saadani soutient mordicus que Bouteflika est candidat, qu’il n’a nul besoin de battre campagne et qu’il sera réélu. Sa dernière sortie médiatique, préparée pendant trois jours dans sa résidence de Moretti avec des membres du cercle présidentiel, participe de cette volonté d’imposer ce mandat, quitte à déclarer la guerre au DRS et à son chef, Toufik. Dans une attaque sans précédent et d’une rare violence, Saadani a en effet accusé ces derniers de graves manquements, de négligences, voire de complicité dans l’assassinat du président Boudiaf en 1992, du meurtre du syndicaliste Abdelhak Benhamouda en 1997, de l’exécution des moines de Tibhirine en 1996, des attentats kamikazes d’Alger en 2007 et de la tentative d’attentat contre le chef de l’État à Batna, le 7 septembre 2007.

Monter des dossiers de corruption pour empêcher Bouteflika de briguer un nouveau mandat

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Et ce n’est pas tout. Saadani reproche au DRS de cibler les proches du président par des enquêtes, de monter des dossiers de corruption "dans le but d’empêcher Bouteflika de briguer un nouveau mandat". Bref, le DRS constituerait l’ultime obstacle qui se dresse devant la reconquête du fauteuil présidentiel. Faut-il du coup dissoudre ce département et envoyer à la retraite le loyal général Mediène ? Saadani, qui confie que "Toufik aurait dû démissionner après ces échecs", le suggère à demi-mot. Bouteflika ira-t-il aux devants des désirs du patron du FLN et de ceux qui tirent les ficelles dans l’ombre ? Sur le papier, il en a les prérogatives. Mais le ferait-il qu’il déstabiliserait les services secrets, avec le risque de miner l’unité et la cohésion de l’armée. Un coup de force hautement périlleux à deux mois des élections.

Les enjeux politiques, financiers et personnels sont colossaux

Pour le camp présidentiel, les enjeux politiques, financiers et personnels sont colossaux. Une reconduction de Bouteflika, même diminué et handicapé, permettrait à ses fidèles, à ses amis, à ses ministres, à ses soutiens de "garder le pouvoir pour les cinquante prochaines années", selon l’expression d’un membre du cercle. En revanche, le retrait de Bouteflika aurait pour eux des conséquences dramatiques. Bien qu’il soit exclu que la fratrie du président fasse l’objet d’une chasse aux sorcières, les hommes d’affaires qui ont profité de leur proximité avec elle pourraient voir se tarir la source des contrats. Outre le fait qu’ils quitteraient le giron du pouvoir, certains ministres, à l’instar d’Amar Ghoul – déjà cité dans le scandale de corruption de l’autoroute est-ouest -, pourraient être inquiétés par la justice. Promoteur patenté du maintien de Bouteflika, Amar Saadani perdrait son poste et risquerait d’avoir à répondre aux convocations des juges pour son rôle supposé dans un scandale financier. On l’aura compris, les thuriféraires de Bouteflika ne surviraient pas à son départ. C’est pourquoi ils ne ménagent pas leurs efforts pour "assurer" ce quatrième mandat. Réponse, au plus tard, le 4 mars à minuit. D’ici là, la température n’est pas près de baisser.

Climat délétère    

Médias publics exclusivement dévoués au président, interdiction de mener campagne pour les partisans du boycott de la présidentielle, opacité autour de l’état de santé de Bouteflika et de la gestion de sa communication, utilisation de l’argent public par des ministres au service d’un quatrième mandat… Candidats et partis de l’opposition dénoncent un climat délétère et reprochent au camp présidentiel de vouloir faire réélire à tout prix son champion. D’aucuns soupçonnent même les proches du raïs de l’avoir fait hospitaliser au Val-de-Grâce du 13 au 16 janvier dans le seul et unique but d’obtenir un certificat médical, document exigé par le Conseil constitutionnel pour valider toute candidature. Abderrezak Mokri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste), qui a opté pour la non-participation, estime de son côté que le maintien du chef de l’État constituerait un danger pour la stabilité et la souveraineté du pays dans la mesure où Bouteflika est "malade, impuissant, absent, et qu’il est l’otage d’un clan".

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