Afrique du Sud : Winnie Mandela, toujours en guerre

Winnie, l’ex-épouse de Nelson Mandela, rappelle ses souffrances pendant ses années de lutte dans « Un coeur indompté ». Et elle n’entend pas se laisser écarter de la scène politique.

Entachée de diverses condamnations, la réputation de Winnie Mandela a bien pâli. © Reuters

Entachée de diverses condamnations, la réputation de Winnie Mandela a bien pâli. © Reuters

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 4 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Mis à jour le 5 février à 12h20.

Qui peut encore ignorer que Nelson Mandela a passé vingt-sept années de sa vie dans les geôles du régime de l’apartheid ? Qui se souvient, en revanche, que son ex-épouse Winnie Madikizela-Mandela a elle aussi fait de la prison ? Pour le rappeler à ceux qui l’auraient oublié, la "mère de la nation" sud-africaine a choisi d’y consacrer un livre dont la traduction française est sortie mi-janvier sous le titre Un coeur indompté. L’ouvrage reprend un journal inédit et des notes écrites pendant sa détention, entre 1969 et 1970. Confiés à son avocat d’alors, David Soggot, en 1970, ces carnets avaient été oubliés jusqu’à ce que, quarante et un ans plus tard, sa veuve Greta les lui restitue.

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Sur 110 pages, on y lit la chronique quotidienne d’une détention qui ne semble pas avoir d’autre but que de briser une femme incarnant encore la résistance en l’absence de son mari emprisonné. Arrêtée au milieu d’une froide nuit de mai 1969, sans avoir le temps de confier à ses proches ses deux filles, Zenani et Zindzi (10 ans et 9 ans), Winnie Madikizela-Mandela est accusée d’avoir enfreint la loi sur le terrorisme. Relaxée faute de preuve une première fois, elle est immédiatement arrêtée une seconde fois (sans que de nouveaux éléments aient été apportés) avant d’être définitivement relâchée en septembre 1970.

Écrits dans un style très factuel, ces carnets sont pénibles et souvent fastidieux à lire.

Dans ses carnets, Winnie Madikizela-Mandela liste les quelques effets qui meublaient sa cellule de 6,75 mètres carrés. Elle énumère ses repas, aussi monotones qu’insipides, ou encore les rares denrées que ses visiteurs étaient autorisés à lui transmettre. Elle consigne, aussi, les humiliations et ses interminables souffrances (évanouissement, saignements, nausées, troubles cardiaques…). Ces pages révèlent au passage quelques informations inédites, comme un projet d’attaque pour faire s’évader Nelson Mandela avant qu’il ne soit transféré à Robben Island (elle refusera finalement, de peur que cela permette de l’assassiner) ou encore sa volonté de se suicider pour "attirer l’attention du monde", avant de revenir sur sa décision.

"Morte-vivante"

Écrits dans un style très factuel, ces carnets sont pénibles et souvent fastidieux à lire. On est loin de la puissance historique d’Un long chemin vers la liberté, l’inimitable autobiographie de Nelson Mandela, elle aussi largement écrite clandestinement, en détention. Reste que ce document témoigne de la perversité de geôliers qui tentent de la détruire psychologiquement. Winnie Madikizela-Mandela est longuement maintenue à l’isolement, ce qui équivaut à en faire une "morte-vivante", écrit-elle. On tente aussi de briser son mariage, en lui transmettant de fausses nouvelles ("[votre mari] reprend du poids pour la première fois depuis tout ce temps qu’il croupit en prison. Sans doute la joie de savoir sa femme en cellule – drôle de couple", lui dit un de ses gardiens) ou simplement en ne transmettant pas les lettres tant attendues.

Le principal intérêt du livre : la correspondance entre Nelson Mandela, Winnie et certains membres de leur famille.

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Car, et c’est le principal intérêt de ce livre, sa deuxième partie rassemble la correspondance entre Nelson Mandela, Winnie et certains membres de leur famille. Les missives (inédites) de Winnie Madikizela-Mandela souffrent de la comparaison avec celles de son mari. Mais elle y fait toutefois preuve d’une admirable dévotion et d’une humilité ("je suis consciente que ma modeste contribution à la cause de notre peuple ne me vaudra guère plus d’un bout de phrase dans les livres d’histoire", écrit-elle par exemple) d’autant plus touchante que ces deux qualités semblent, aujourd’hui, l’avoir abandonnée.

Car comment interpréter sa décision de publier ce livre aujourd’hui, sinon par un désir de se replacer au centre de la scène ? L’ouvrage, paru en Afrique du Sud en août 2013*, est sorti alors que Nelson Mandela, hospitalisé, était au coeur de l’actualité, sans toutefois pouvoir réagir. Les lettres de ce dernier (dont une partie était déjà parue dans Conversations avec moi-même) semblent avoir été choisies essentiellement pour les hommages – parfois magnifiques il est vrai – qu’il lui rendait alors. "Quelle femme ! écrit-il par exemple à l’oncle de Winnie. Elle s’était déjà montrée courageuse au moment de me traîner devant l’autel, mais je ne l’aurais pas crue capable d’une telle bravoure. Comparer mes modestes efforts aux sacrifices qu’elle consent me remplit d’humilité."

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Indignation

Depuis, la réputation de la "mère de la nation" a bien souffert. Condamnée, en 1991, pour le kidnapping d’un garçon de 14 ans soupçonné d’être un informateur du régime de l’apartheid – et ensuite retrouvé mort -, elle l’a ensuite été pour fraude, en 2004. Sans doute a-t-elle mal supporté de ne pas obtenir la reconnaissance qu’elle estime mériter, elle qui fut "le leader [de son peuple] en l’absence de [son] mari", selon le mot d’un de ses geôliers. C’est ce que suggère l’épilogue de son livre écrit – à la va-vite – en novembre 2012 : "Certaines personnes me demandent encore pourquoi je suis comme je suis. Elles osent me dire "Mais enfin, Madiba a toujours été pacifiste, comment sa femme peut-elle être aussi violente ?" À Robben Island, nos dirigeants n’ont jamais vraiment souffert. Ils ne savaient pas ce que c’était de se battre au corps à corps avec l’ennemi."

À 77 ans, cette femme radicale, battante dans l’âme et endurcie par la lutte n’a pas renoncé à peser sur la vie de son pays. Elle ne perd jamais une occasion de revendiquer le nom de son ex-époux, ni de critiquer le bilan de ses successeurs, voire celui de Mandela lui-même. Bien que députée du Congrès national africain (ANC, au pouvoir) et membre de son Comité exécutif, elle soutient publiquement le jeune populiste Julius Malema, exclu du parti pour indiscipline en février 2012. Winnie, qui réside toujours à Soweto (mais dans une résidence ultrasécurisée), partage avec lui un certain radicalisme, l’indignation devant le chômage des jeunes, l’idée que les riches Blancs ont été trop épargnés après la fin de l’apartheid et une dénonciation de la corruption de l’élite du pays – quand bien même tous deux sont loin d’être irréprochables. Et peu importe si Malema, adversaire déclaré du président Jacob Zuma, va présenter des candidats contre l’ANC aux prochaines élections générales. Reconnaissant, le jeune populiste a d’ailleurs affirmé qu’il aimerait faire de Winnie "la présidente de ce pays". Les prises de position de Winnie Madikizela-Mandela vaudraient des sanctions à n’importe quel autre membre du parti. Mais son nom et son rôle historique l’ont rendue intouchable.

* 491 Days: Prisoner Number 1323/69, de Winnie Madikizela-Mandela, Picador Africa- Pan Macmillan, 264 pages.

Winnie ou Graça, qui est la veuve ?

Winnie Madikizela-Mandela a beau avoir divorcé de Nelson en 1996, revendiquer son indépendance et son propre rôle pendant la lutte contre l’apartheid, elle n’est pas prête à laisser à la Mozambicaine Graça Machel, troisième et dernière épouse de Mandela, l’exclusivité du statut de veuve du père de la nation. Alors que cette dernière veillait discrètement à ses côtés, tout au long de ses trois mois d’hospitalisation, Winnie Madikizela-Mandela s’est fait remarquer par ses visites quasi quotidiennes par la grande porte, devant les caméras. Lors des obsèques nationales à Qunu, le 15 décembre, Winnie est apparue à la droite du président Jacob Zuma (qu’elle ne porte pas dans son coeur), reléguant Graça Machel à sa gauche.

Mais pour les nombreux fans de la "mère de la nation", il n’y a pas matière à s’offusquer. Après tout, Graça Machel est une étrangère qui n’a pas souffert pour la libération du pays.

Selon la journaliste sud-africaine Debora Patta (qui avait révélé la panne de l’ambulance de Nelson Mandela lorsqu’il était transféré en urgence à la clinique, en juin 2013), l’intimidation à l’égard de Machel serait toutefois allée plus loin. Dans un article de l’hebdomadaire City Press, elle a affirmé qu’il a été demandé à Graça Machel de quitter leur maison de Johannesburg et que Makaziwe Mandela, fille aînée de Nelson, ne lui adresse plus la parole. Des informations qui avaient conduit le porte-parole de la famille royale Thembu (dont était issu Mandela) à prendre la défense de Graça Machel. "Les membres de la famille qui ne respectent pas [Graça Machel] doivent se retenir car c’est une honte qui mine nos coutumes", a-t-il déclaré le 24 décembre. Dans un communiqué, Winnie Madikizela-Mandela a démenti ces informations, tout en prenant le soin d’affirmer que, en tant qu’aînée des enfants, Makaziwe était la seule chef de la famille.

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