France – Vatican : quand François rencontre François

Le pape François est immensément populaire, François Hollande beaucoup moins. Leur récent entretien romain peut-il contribuer à la réconciliation entre le président et des catholiques choqués par les réformes sociétales en cours ? Il n’est pas interdit d’en douter.

François Hollande (à g.) et le pape François. © AFP

François Hollande (à g.) et le pape François. © AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 6 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Pour la première fois depuis son élection, en mai 2012, François Hollande a rencontré le pape François, le 24 janvier. L’entretien en tête à tête a duré trente-cinq minutes. Le président français avait pourtant longuement hésité avant de se rendre à Rome. Baptisé, ancien élève des frères des écoles chrétiennes au collège Jean-Baptiste-de-La-Salle, à Rouen, où il a fait sa première communion et sa profession de foi, il s’est éloigné progressivement de la religion, bien qu’il ait fait baptiser les quatre enfants qu’il a eus avec Ségolène Royal. Si, selon certains de ses proches, il semble croire en un au-delà, il professe désormais une laïcité à tous crins. À la différence d’un François Mitterrand, les spiritualités ne l’intéressent guère. Il a certes accepté le titre honorifique de "premier et unique chanoine d’honneur" de la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome, mais uniquement "au nom de la tradition" respectée par tous les chefs d’État français. Un peu comme il est, de droit, "coprince d’Andorre" (avec l’évêque d’Urgell, en Espagne).

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Pour le convaincre de rencontrer le pape, il a donc fallu que quatre de ses plus proches amis, tous croyants et pratiquants, s’y mettent : Jean-Pierre Jouyet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations ; l’avocat Jean-Pierre Mignard, codirecteur de l’hebdomadaire Témoignage chrétien ; Bernard Poignant, maire socialiste de Quimper et conseiller officieux à l’Élysée ; et Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. Ils l’ont prévenu qu’il était en train de s’aliéner l’électorat catholique, qui pèse lourd quand une élection présidentielle se joue généralement à 1 % ou 2 %. Il leur a répondu que peu lui importait puisque, de toute façon, celui-ci vote aux deux tiers à droite. Ils lui ont rétorqué qu’il confondait les catholiques avec les intégristes et oubliait que 40 % des premiers se déclarent partisans du mariage pour tous. Enfin, ils lui ont reproché de n’avoir pas dénoncé les profanations d’églises avec la même énergie que les agressions contre les mosquées ou les synagogues, nourrissant chez les chrétiens le sentiment d’être considérés comme quantité négligeable.

Embarras

"Tu n’es pourtant pas aussi éloigné du pape François que tu le crois, lui a glissé Bernard Poignant. Il a eu contre les puissances d’argent des mots beaucoup plus durs que les tiens dans ton discours de campagne, au Bourget ! Et puis tu devrais te souvenir que, dans les sondages, tu as proportionnellement moins baissé chez les catholiques que dans les autres catégories socioculturelles." Il est vrai qu’il partait de moins haut…

Pourquoi le président, qui ne recueille l’assentiment que de 22 % de ses compatriotes, ne chercherait-il pas à profiter de l’aura de ce pape hors normes qui recueille 85 % d’opinions favorables chez les Français interrogés ? La popularité du souverain pontife ne pourrait-elle atténuer l’impopularité du président ?

Mariage homosexuel, avortement, suicide assisté… Des questions qui continuent de fâcher.

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Une fois la visite à Rome programmée, François Hollande a semblé dans l’embarras. Dans sa conférence de presse du 14 janvier, il a tout à la fois condamné les provocations dans les églises des Femen, le groupe féministe extrémiste, et estimé que le successeur de Pierre était "utile", expression maladroite à la limite du mépris. Surtout, ne pas donner l’impression qu’il désertait la cause de la laïcité et que, comme Nicolas Sarkozy en son temps, il allait à Rome à la pêche aux voix des catholiques français ! Surtout, ne pas donner prise à l’accusation "d’aller à Canossa", comme jadis (en 1077) Henri IV, chef du Saint Empire romain germanique, contraint de s’agenouiller devant le pape Grégoire VII afin que ce dernier lève l’excommunication qui le frappait ! L’Élysée a donc annoncé qu’il s’agirait de la visite "d’un chef d’État à un autre chef d’État". Entendez : banalement diplomatique. Le Vatican, à l’inverse, a fait savoir qu’il s’agirait d’une "rencontre personnelle". Entendez : d’homme à homme.

La visite du 24 janvier s’est donc déroulée dans une ambiance mi-figue mi-raisin. Froide au début, elle est devenue plus chaleureuse au fil des discussions. Et surtout lorsque le pape a embrassé comme du bon pain le père Georges Vandenbeusch, ancien otage au Cameroun, qui accompagnait le président. Hollande s’est exprimé en français, langue que le pape latino-américain comprend bien. En revanche, celui-ci l’a fait en italien, ce qui a nécessité le recours à un interprète.

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Pour résumer les discussions "cordiales" et "franches" qui ont eu lieu – y compris au cours du déjeuner à la Villa Bonaparte auquel François Hollande avait convié le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État et numéro deux du Vatican -, disons qu’elles ont été peu concluantes sur les questions de société, et plus fructueuses en matière de politique internationale.

Famille

"S’il y a un mot qui nous a rassemblés, c’est le mot "dignité", la défense de la dignité humaine", a affirmé le président devant la presse, sans préciser que de sérieuses différences d’interprétation de ce mot étaient apparues quand furent abordées les questions qui fâchent. Le communiqué final du Vatican les a d’ailleurs énumérées : "La famille, la bioéthique, le respect des communautés religieuses et la protection des lieux de culte." Autrement dit : le mariage et l’adoption par les homosexuels ; le recours facilité à l’interruption volontaire de grossesse ; et le suicide assisté plus largement autorisé. Toutes pratiques que les socialistes français s’efforcent de promouvoir au nom d’une liberté individuelle sans entraves. Hollande a regretté que les catholiques extrémistes accaparent ces débats. Les deux parties ont réaffirmé leur "engagement mutuel à maintenir un dialogue régulier entre l’État et l’Église catholique".

Le président a en revanche recherché des convergences avec le Vatican dans le domaine international. En septembre 2013, il avait été agacé par l’opposition du pape au projet franco-américain de bombarder l’armée syrienne afin de punir Bachar al-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques contre sa population. Cette condamnation d’une intervention militaire avait pourtant été majoritairement approuvée par l’opinion française. Il semble que la France souhaite désormais que le Saint-Siège s’entremette entre les belligérants afin de dégager les voies d’un cessez-le-feu. Hollande a demandé au pape de recevoir la coalition nationale syrienne, car il sait que les chrétiens – comme d’ailleurs les autres minorités religieuses – de ce pays ne souhaitent pas la chute du régime, qu’ils considèrent comme un rempart face au fanatisme islamiste.

Le pape et le président se sont encore accordés à propos de la protection des chrétiens d’Orient ou des conflits qui ravagent l’Afrique subsaharienne. Pas de discordance non plus sur la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Hollande a applaudi le troisième terme de l’avertissement du pape François : "Dieu pardonne toujours, les hommes quelquefois, la nature jamais." Nicolas Hulot, l’écologiste vedette qui faisait partie de la délégation française, a d’ailleurs annoncé que le pape "préparait une encyclique sur l’écologie".

Jusqu’à la dernière minute, Hollande a alterné le chaud – lorsqu’il a évoqué la "simplicité rayonnante" du pape – et le tiède. Ainsi, il n’a pas formellement invité son hôte à se rendre en France, se contentant de lui faire savoir qu’il était "le bienvenu, quand il le voudra et quand il estimera que sa venue en France peut être un moment important de son pontificat".

Conclusion : cette rencontre entre les deux François contribuera peut-être à tirer un jour la Syrie de la sanglante guerre civile dans laquelle elle est engluée ; mais elle ne suffira pas à réconcilier la communauté catholique française avec le chef de l’État.

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