7 septembre 1997 : Mobutu, ou la mort d’un dinosaure
Mégalomanie, dépenses extravagantes, collaboration avec la CIA… À la mort de l’ex-président du Zaïre, Philippe Gaillard retrace son parcours dans les colonnes de JA. Avec une implacable lucidité.
Déchu, abandonné de ses courtisans, le maréchal Mobutu Sese Seko, « président fondateur » du Zaïre, est mort à Rabat, en terre étrangère, « des suites d’une longue et pénible maladie », comme on disait naguère.
Le pire reproche que lui fera l’Histoire sera peut-être de s’être refusé à comprendre qu’il lui fallait transmettre un pouvoir réduit à un simulacre et aux moyens d’exercer encore sa munificence, depuis qu’il avait fui le pays réel pour se réfugier dans les décors de théâtre qu’étaient son palais de Gbadolite et le Kamanyola, son yacht fluvial. C’était en 1990, après qu’un déluge de mémorandums – qu’il avait suscités, croyant qu’il canaliserait ainsi le flot des récriminations – eut révélé la force du mécontentement dans toutes les classes de la société.
George Herbert Bush lui gardait encore une certaine tendresse
Le mur de Berlin venait de tomber. Ceci se conjuguant avec cela aurait pu entraîner alors la chute de l’homme qui avait « régné » à Kinshasa pendant un quart de siècle. En effet, Mobutu avait toujours trouvé en Occident le soutien que lui valait sa position ou son attitude de « plus fidèle défenseur de la démocratie contre le communisme en Afrique ». Le péril rouge disparu, le défenseur n’avait plus d’utilité.
On vit bientôt, effectivement, les trois capitales Bruxelles, Paris et Washington – soucieuses, dirent-elles, des droits de l’homme, qui ne les avaient pas préoccupées outre mesure jusqu’alors – décréter un boycottage d’un genre nouveau et assez ridicule, frappant d’interdiction de séjour un chef d’État étranger et les membres de sa famille. La rétorsion fut sans effet.
De Charybde en Scylla
La volonté de « chasser le dictateur » n’était d’ailleurs pas évidente de la part de ceux qui, tel Jacques Foccart, considéraient que le départ de Mobutu précipiterait le Zaïre de Charybde en Scylla. Encore moins de la part de George H. Bush, président des États-Unis et ancien patron de la CIA, laquelle gardait une certaine tendresse à l’égard du commandant en chef de l’armée congolaise qu’elle avait contribué à propulser, en 1965, à la tête de l’État.
Dès l’été 1960, ayant décidé d’éliminer Patrice Lumumba, la CIA avait jeté son dévolu sur Joseph-Désiré Mobutu. Cet ancien sergent comptable devenu journaliste, alors âgé de 30 ans, avait pourtant été un collaborateur dévoué de l’étoile montante de la politique au Congo belge. Brièvement ministre après l’indépendance, proclamée le 30 juin, il était devenu, huit jours plus tard, colonel et chef d’état-major d’une armée en proie à la mutinerie. Dans la pétaudière de l’État naissant, il avait viré de bord suivant les conseils de ses amis américains et belges, « neutralisé » les Premiers ministres concurrents Lumumba et Iléo – en réalité surtout Lumumba – et mis en place un « collège » d’étudiants rapatriés d’urgence de Bruxelles. Puis il avait laissé la politique aux politiciens, se consacrant à la tâche urgente de pacification.
Premier épisode de violence : la pendaison de l’ancien Premier ministre, Évariste Kimba
Cinq ans de guerre civile et de péripéties politiques plus tard, la prise de pouvoir par Mobutu, premier putsch militaire en Afrique, fut plutôt bien accueillie par une population à laquelle le général promettait la paix et l’ordre. Grosso modo, il tint parole une dizaine d’années, faisant sentir son autorité par une violence dont le premier épisode fut, dès le 1er juin 1966, la pendaison publique de l’ancien Premier ministre Évariste Kimba et de trois membres de son gouvernement.
Jusqu’en 1975, l’intendance suivit. Et puis, la baisse des cours du cuivre se conjugua avec les conséquences de la zaïrianisation, c’est-à-dire le pillage de la trésorerie des entreprises nationalisées par les protégés du chef de l’État qui en avaient reçu la direction. Le Zaïre s’appauvrit.
Valises de dollars
Simultanément, Mobutu apparut saisi par une mégalomanie galopante et dispendieuse. L’ »authenticité » instaurée en 1962 dégénéra en une liturgie extravagante copiée sur le culte de Kim Il-sung en Corée du Nord. Le gouvernement du pays et la diplomatie furent fondés sur la circulation de valises de dollars. La splendeur du monarque s’étala en acquisition et décoration de résidences et en dépenses incalculables chez les orfèvres, les traiteurs et les marchands de vin.
La démocratisation octroyée prit la forme de ce qu’on appela « le multimobutisme » et fut une occasion de relancer la valse des mallettes de billets, tandis que les courtisans, voyant que le temps allait leur être compté, s’emplissaient les poches de plus belle. La descente aux enfers dura sept ans.
Comme s’il avait fallu corroborer l’explication de l’histoire du Zaïre par le néocolonialisme, on vit les Américains propulser Laurent-Désiré Kabila contre Mobutu en 1997 comme ils avaient poussé Joseph-Désiré Mobutu contre Lumumba en 1960 et contre Kasavubu en 1965.
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