Présidentielle algérienne : ces militaires qui y pensent en se rasant
À la tête de partis embryonnaires dépourvus de toute assise populaire, deux officiers supérieurs à la retraite annoncent leur candidature à la présidentielle d’avril.
Le général à la retraite Mohand Tahar Yala, 66 ans, ancien patron de la marine nationale entre 2002 et 2005, a choisi l’une des villes les plus importantes du Sud algérien, Ouargla, pour annoncer, le 27 janvier, sa candidature au scrutin présidentiel du 17 avril. Porté par un fantomatique Mouvement de citoyenneté (en attente de l’agrément du ministère de l’Intérieur), Mohand Tahar Yala ne sera pas le seul officier supérieur à la retraite à briguer El-Mouradia. Ex-colonel du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets), Chaabane Boudemagh, 67 ans, assure lui aussi répondre à l’appel d’un parti en voie de constitution, l’Organisation des patriotes algériens (OPA, cela ne s’invente pas !), pour se lancer dans la course. Si la loi électorale interdit aux officiers d’active de s’engager en politique, elle permet à ceux démobilisés depuis plus de six mois de briguer un poste électif, y compris celui de chef de l’État. Le précédent le plus célèbre est celui du général major à la retraite Rachid Benyellès, ex-secrétaire général du ministère de la Défense, poste stratégique dans le dispositif militaire algérien, et ex-chef d’état-major de la marine, qui avait affiché son intention de se présenter contre Abdelaziz Bouteflika en avril 2004. Sans succès, son dossier de candidature ayant été rejeté par le Conseil constitutionnel faute de parrainages suffisants (600 élus ou 60 000 électeurs répartis sur au moins 25 wilayas).
Yala et Boudemagh auront-ils plus de chance en 2014 ? Rien n’est moins sûr. Occuper de hautes fonctions, de surcroît au sein de l’institution militaire, n’est pas un gage de popularité ni de notoriété. Héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), l’Armée nationale populaire (ANP) en a en effet pérennisé l’opacité. Biographies et photos des officiers supérieurs – du commandant de bataillon au chef de région militaire – relèvent presque du secret d’État. Autre spécificité du sérail militaire : le poids que confère une position au sein du commandement se réduit comme peau de chagrin dès lors que l’on quitte la fonction ou l’uniforme. Ainsi des généraux autrefois incontournables, tels que Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense, ou feu Mohamed Lamari, ex-chef d’état-major, ont-ils perdu toute influence dans la vie politique et institutionnelle après leur admission à la retraite. Cette situation n’avait pas dissuadé le général major Rachid Benyellès de s’attaquer de front au système politique. Aujourd’hui, elle ne semble décourager ni Mohand Tahar Yala ni Chaabane Boudemagh.
Les trois hommes partagent de nombreux points communs. Outre les importantes fonctions qu’ils ont occupées au sein de la hiérarchie militaire, ils sont de la même génération – natifs des années 1940 – et sont convaincus que les civils sont de piètres gestionnaires. "Leur inconséquence a failli mettre le pays à genoux", aimait à répéter l’ex-général major Mohamed Touati, éminence grise de l’armée aujourd’hui à la retraite. Autre dénominateur commun, leur hostilité à l’égard d’Abdelaziz Bouteflika. Enfin, d’origine régionale différente (Benyellès est né à Tlemcen, Yala à Azzefoun, en Kabylie, et Boudemagh à Constantine), les trois hommes sont issus de la marine nationale.
Les deux officiers supérieurs ont longtemps servi sous Bouteflika
Si Rachid Benyellès s’était fait connaître en démissionnant bruyamment du gouvernement, en octobre 1988, pour dénoncer la brutale répression qui s’était abattue sur des manifestants qui réclamaient la démocratie, Mohand Tahar Yala et Chaabane Boudemagh ont longtemps servi sous Abdelaziz Bouteflika. Le premier fut membre de droit du Haut Conseil de sécurité en sa qualité de chef d’un corps d’armée (Marine nationale). Quant au second, il a occupé de hautes fonctions à la Direction de la sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage) et dans la lutte antiterroriste au milieu des années 1990. Comme Rachid Benyellès, qui avait, en 2008, signé une tribune contre un troisième mandat de Bouteflika, Mohand Tahar Yala s’est distingué en enjoignant à l’institution militaire de mettre en oeuvre l’article 88 de la Constitution qui énumère les cas d’empêchement du président de la République, parmi lesquels la détérioration de son état de santé. Estimant que l’accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013 ne permettait plus à Abdelaziz Bouteflika d’exercer ses fonctions, l’ancien patron de la marine lance publiquement, en juin 2013, un appel solennel pour l’ouverture d’une période de transition placée sous la direction d’un autre général à la retraite, l’ex-président Liamine Zéroual. Le refus de ce dernier ne le décourage pas. Il crée le Mouvement de citoyenneté et exige une présidentielle anticipée en application de l’article 88. Nouveau flop, malgré l’assentiment d’une partie de la classe politique. De guerre lasse, Yala se conforme à l’agenda officiel des élections.
L’armée ne fera sans doute rien pour aider les deux officiers supérieurs
Chaabane Boudemagh s’inspire du lointain modèle russe : "Il faut une solution à la Poutine", répète-t-il à l’envi devant ses partisans regroupés au sein de l’OPA. Selon lui, Abdelaziz Bouteflika serait un Boris Eltsine qui s’ignore. "L’exemple de Poutine est pertinent quand il s’agit d’assainir l’État, de le débarrasser des collisions entre rente et politique", ose-t-il. Pour l’ex-colonel du DRS, l’Algérie de 2014 ressemble étrangement à la Confédération de Russie de 1999. Cependant, même malade et diminué, Abdelaziz Bouteflika n’est pas Boris Eltsine, pas plus que Chaabane Boudemagh n’est Vladimir Poutine. Contrairement à l’ancien patron du KGB, Boudemagh n’a jamais figuré au sommet de l’organigramme du DRS et ne dispose ni de réseau ni de notoriété à l’échelle nationale. Yala et Boudemagh ne sont-ils que des lièvres au service de forces occultes ayant un agenda politique déterminé ?
Le précédent Rachid Benyellès a montré que l’institution militaire, des mess d’officiers aux unités opérationnelles, affiche un certain mépris pour ses anciens cadres qui se lancent dans des compétitions électorales. Et si l’armée ne fera sans doute rien pour empêcher les deux officiers supérieurs de briguer El-Mouradia, il est certain qu’elle ne fera rien non plus pour les y aider.
Lutte antiterroriste : pas de répit
Année électorale ou pas, l’armée poursuit sa lutte implacable contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et les réseaux de contrebande, alliés objectifs des jihadistes algériens. En 2013, ses unités ont neutralisé 223 terroristes, dont le commando ayant mené l’attaque contre le site gazier de Tiguentourine (29 assaillants tués). L’année 2014 commence sous les mêmes auspices. Pour le seul mois de janvier, on enregistre l’élimination d’une vingtaine de terroristes, dont l’un des fidèles lieutenants d’Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, patron d’Aqmi, alors qu’il préparait, dans les hauteurs du Titteri, massif montagneux de l’Atlas blidéen, un conclave des émirs régionaux. Les pertes enregistrées par la nébuleuse jihadiste ne se concentrent pas uniquement dans le centre du pays. Frontières libyennes, confins maliens et régions limitrophes de la Tunisie sont également passés au peigne fin. Des opérations de ratissage qui ont permis l’élimination de 13 terroristes : 5 arrivés du mont Chaambi, en Tunisie, 4 de Libye – et qui envisageaient une opération contre le site gazier de Hassi R’Mel – et 4 autres, dans la région de Bordj Badji Mokhtar, près de la frontière avec le Mali.
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