Alain Faujas, une vie avec Jeune Afrique

Notre collaborateur Alain Faujas est décédé ce 11 mai 2022, à l’âge de 76 ans. S’il a fait la plus grande partie de sa carrière au Monde, il n’a jamais cessé d’écrire pour Jeune Afrique et entretenait une relation très particulière avec son fondateur, Béchir Ben Yahmed.

Alain Faujas, journaliste et écrivain. © Bruno LEVY pour JA

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Publié le 12 mai 2022 Lecture : 5 minutes.

Si vous tapez « Alain Faujas » dans Google, le moteur de recherche va vous proposer une « fiche info » résumant sa vie et sa carrière. Vous y apprendrez qu’Alain est né à Marseille en 1945, qu’il a étudié le droit et les sciences politiques, qu’il a été journaliste au quotidien français Le Monde et a publié plusieurs ouvrages. Rien que de très classique, donc, à ceci près que la fiche elle-même est intitulée « Alain Faujas, poète ».

Poète, Alain ? Journaliste, à n’en pas douter, et même un grand journaliste. Spécialiste des sujets économiques, il en avait une connaissance approfondie ; même si sa proximité avec les grandes institutions financières comme le FMI et la Banque mondiale ou son attachement à une certaine orthodoxie budgétaire lui valaient parfois, de la part de ses collègues, de gentilles railleries. Écrivain aussi, bien sûr, bien qu’il en parlât peu. Alain a publié trois ouvrages, dont deux « livres de journaliste » : le premier sur Gilbert Trigano, le fondateur du Club Med ; le deuxième sur Christian Blanc, chef d’entreprise et homme politique français, qui a notamment tenu les rênes de la RATP et d’Air France. Et puis un polar, Meurtre dans le TGV, ouvrage de commande mais dont l’écriture l’avait beaucoup amusé et dont il parlait avec tendresse. Mais poète ?

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Journaliste passionné

C’est en 1971 qu’Alain, alors âgé de 26 ans, est entré en journalisme. Il venait de passer un an à Abidjan, en compagnie de son épouse, dans le cadre de la coopération militaire lorsque, rentré en France, il a commencé à écrire des articles pour Le Monde et, déjà, pour Jeune Afrique. Embauché par le quotidien français en 1972, il y a été en charge de rubriques dont la diversité illustre celle de ses centres d’intérêt : la région parisienne, les télécommunications, le tourisme, les transports, le patronat, la franc-maçonnerie, l’économie des pays du Sud et les grandes institutions financières internationales.

Passionné par ses sujets comme par la vie de son journal, il s’est aussi engagé comme délégué du personnel et représentant du Syndicat national des journalistes, a siégé quelques années à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels et a même, en 2013, fait acte de candidature lorsque les actionnaires du journal se sont mis en quête d’un nouveau directeur, suite au décès brutal du titulaire du poste, Érik Izraelewicz.

Fidèle à l’Afrique

Parallèlement, Alain a commencé dès le début des années 1970 à collaborer à Jeune Afrique, développant au fil des années, puis des décennies, une connaissance assez unique de l’économie du continent. Et se bâtissant au passage un impressionnant carnet d’adresses. D’où lui est venu cet intérêt pour l’Afrique ? « Je pense que cela a débuté avec notre séjour en Côte d’Ivoire, explique son épouse. Mais ensuite, son intérêt n’a fait que se développer et ne l’a jamais quitté. Il a souvent demandé à être envoyé en poste sur le continent mais Le Monde n’a jamais voulu. »

Fidélité à l’Afrique, fidélité à JA, fidélité à Béchir Ben Yahmed aussi, le fondateur de notre journal, décédé en mai 2021. Durant un demi-siècle, Alain et BBY ont cultivé une relation faite de confiance, d’admiration mutuelle, de tensions parfois. À plusieurs reprises, la hiérarchie du Monde a fait comprendre à Alain que le fait de continuer à écrire pour JA n’était pas compatible avec les fonctions qu’il occupait au sein du quotidien. Campant fermement sur ses positions – car il pouvait être têtu –, il leur opposait toujours la même réponse : « Non négociable. » Et lorsqu’on lui demandait à quoi tenait cet attachement indéfectible à notre titre, sa réponse, là encore, était toujours la même : « Je reste par fidélité à BBY. »

lorsque le ton montait, il savait plier, mais toujours avec élégance

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Les relations entre Alain et notre défunt patron, pourtant, n’étaient pas toujours idylliques. Ces deux caractères forts s’opposaient parfois. Alain savait aussi garder une certaine distance, un pied dedans et un pied dehors mais toujours fidèle, toujours disponible pour écrire, aussi bien dans JA que dans La Revue. Et lorsque le ton montait, il savait plier, mais toujours avec élégance. « Vous avez raison, Monsieur le Directeur », finissait-il par concéder d’un ton patelin, sourire ironique aux lèvres. Complice mais pas complaisant, fidèle mais pas soumis. BBY souriait à son tour.

Un bureau réservé

En 2014, atteignant l’âge de la retraite, Alain a quitté Le Monde… pour rejoindre immédiatement Jeune Afrique. Comme pigiste, certes, mais avec un bureau réservé dans la rédaction où il était présent tous les jours, ou presque. Il y mettait ses connaissances au service du journal et du site internet, avec une prédilection marquée pour certains sujets ou certains pays. La Mauritanie – « ma chère Mauritanie », disait-il souvent – était son pays de cœur. D’autres États du continent le désespéraient par leur entêtement à gérer en dépit du bon sens les ressources dont ils disposent. Curieux de tout, il ne refusait jamais un sujet et, à 70 ans passés, se portait toujours volontaire pour partir en reportage dès que l’occasion se présentait.

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La mort de BBY, au printemps 2021, l’avait profondément touché. « Il a accusé le coup », assure son épouse, tandis qu’un voisin de bureau se souvient : “Nous étions trois dans la même pièce, qu’Alain appelait ‘la garçonnière’. Il avait déposé sur son bureau, face à lui, les numéros de JA et de La Revue rendant hommage à BBY, de manière à les avoir toujours sous les yeux”. »

« Les copains aussi sont là»

Alain a appris qu’il était malade à la fin de l’année 2021. Très vite, le diagnostic s’est avéré inquiétant, mais il a décidé de faire front. « Je vais me battre », lançait-il avec la petite pointe d’accent conservée de sa jeunesse marseillaise. Puis il détaillait avec minutie les traitements qu’il allait subir, les effets secondaires dont il guettait l’apparition. Journaliste jusqu’au bout, il racontait son parcours médical sans fausse pudeur et sans se plaindre. On devine que les rendez-vous avec les médecins devaient davantage ressembler à des interviews qu’à des consultations.

« Je suis très entouré », disait-il aussi, et cela lui procurait beaucoup de joie. Sa famille bien sûr, son épouse, ses trois enfants et ses six petits enfants, ont été très présents à ses côtés. « Les copains aussi sont là », ajoutait-il, et cette catégorie englobait à la fois les amis et les collègues.

Fidèle à ses convictions et à l’Afrique, il a livré des articles à JA jusqu’au bout et publiait, parallèlement, des billets plus personnels sur le site de la revue Études. Les titres des derniers de ces billets, datés de décembre 2021, résument bien ce qu’était Alain et ce en quoi il croyait : « Enfin la fin de la Françafrique ! », « Ah que l’entraide est jolie », « Vivent les immigrés ! »

Finalement, Google dit peut-être vrai. Alain Faujas était un poète.

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