Les ladoums, moutons XXL sénégalais, s’exposent à la Biennale de Dakar

Pendant plusieurs mois, le photographe Sylvain Cherkaoui s’est consacré à cette race ovine très prisée dont l’élevage est à la fois un art et une activité fort lucrative.

Assane Dieye, gérant de la bergerie Menenek, avec le mouton Ballon d’or, au Sénégal, en avril 2022. © Sylvain Cherkaoui

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Publié le 15 juin 2022 Lecture : 3 minutes.

La simple liste de leurs noms donne le la : Sankara, Ballon d’or, Rambo, Galactic, Arafat, Or blanc, Joseph Ki-Zerbo ou encore Mao… Certains d’entre eux disposent même de leur propre fan-club sur Facebook, à l’instar d’un lutteur ou d’une gloire du Mbalax.

Le photographe Sylvain Cherkaoui, collaborateur de Jeune Afrique, est parti en quête de ces moutons stars, dont le prix de vente peut se révéler astronomique, et qui font même l’objet de concours de beauté. Il en a tiré une galerie de treize portraits, réalisés en studio, qui seront exposés dans le cadre du off de la Biennale de Dakar 2022. « Le physique des ladoums m’a impressionné ; on est loin des gentils moutons que les enfants comptent le soir pour s’endormir, indique le photographe pour expliquer sa démarche artistique. Leur taille, leur envergure, quand on les regarde à côté de leur éleveur, m’a rappelé le gabarit impressionnant des lutteurs sénégalais. » Pour son vernissage, le 1er juin, le photographe entendait bien faire défiler quelques ladoums dans la galerie improvisée accueillant son exposition.

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Univers parallèle

« En me documentant sur ces moutons, aperçus au détour d’une publicité, j’ai découvert un univers parallèle, raconte le photographe. Ils aiguisent la convoitise et sont élevés à l’abri des regards. » Port majestueux, mensurations XXL… difficile de comparer les ladoums à leurs congénères qui envahissent l’espace public en toutes saisons et pullulent au moment de la Tabaski – l’appellation locale de l’Aïd-el-Kébir. Adulte, la taille de l’animal oscille entre 95 cm pour les brebis et 120 cm pour les béliers, et son poids entre 140 et 175 kg.

« J’ai toujours eu un faible pour les photos des années 1950, à l’instar de celles de Malick Sidibé ou de Mama Casset. Avec les restrictions liées au Covid-19, je suis devenu plus sédentaire et je suis revenu à la photo de studio, que je pratiquais lorsque j’ai débuté dans le métier », explique Sylvain Cherkaoui, transformé, entre-temps, en photo-reporter globe-trotter.

Mon idée était de photographier les ladoums comme on le ferait avec des stars

Lumière artificielle, studio itinérant, il arpente le Sénégal à la recherche du roi des ovins, de bergerie en bergerie, de Dakar à Saint-Louis, en passant par Thiès (vue comme la capitale originelle du ladoum) ou Malika, dans la banlieue de la capitale. « Mon idée était de photographier les ladoums comme on le ferait avec des stars. »

« Il existe tout un réseau d’éleveurs et d’éleveuses qui se spécialisent dans cette espèce, en pratiquant des saillies entre les femelles et les mâles des uns et des autres afin d’éviter la consanguinité. Au-delà des enjeux financiers, la recherche de l’excellence relève d’une véritable passion pour ces éleveurs », témoigne le photographe. Au Sénégal, le seul véritable concours de beauté du monde animal leur est consacré. Si les éleveurs se rachètent parfois entre eux les bêtes afin de faire prospérer leur business, le consommateur final, lui, investit pour la déguster – même si, gavée d’hormones, sa viande n’est pas forcément au summum de la qualité gastronomique.

Convoitise et prix démentiel

Le ladoum demande beaucoup de soins et d’investissements, aussi les élevages sont-ils généralement réduits à une douzaine de têtes. « Une femme que j’ai rencontrée voulait en élever, mais son mari s’y opposait car il craignait d’être cambriolé. Cet animal aiguise en effet la convoitise. Aussi ont-ils dû augmenter la taille des murs d’enceinte et poser des barbelés avant qu’il en accepte le principe. »

S’offrir un ladoum apparaît comme un marqueur social, un attribut démontrant l’aisance de son acquéreur

À la naissance, l’agneau peut s’échanger autour de 2 millions de F CFA (3 000 euros). En 2017, le record atteint par un ladoum adulte – baptisé du nom de l’ancien roi du Maroc Hassan II – culminait à 52,5 millions de F CFA (80 000 euros). S’offrir un ladoum apparaît comme un marqueur social, un attribut démontrant l’aisance de son acquéreur.

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Au terme de la biennale, Sylvain Cherkaoui entend poursuivre son exploration parmi les éleveurs du Sénégal, ce pays détenant, à sa connaissance, l’exclusivité de cet élitisme ovin qui aura accouché, selon ses propres termes, de « la formule 1 du mouton ». Même si l’Algérie, dans un autre registre, a développé le culte de la béliomachie : des combats de béliers dont les noms n’ont rien à envier à leurs congénères sénégalais – Ronaldo, Scarface, El Kaizer… Le photographe conclura ce travail avec un photobook, un livre-objet consacré aux ladoums, programmé aux éditions Vives Voix.

Exposition « Sama Ladoum. Portraits de stars », Sylvain Cherkaoui (avec la participation de Hamidou Anne), Les Pieds tanqués (Chez Awa), Dakar (Corniche), du 1er au 21 juin 2022.

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