Cameroun : Roger Mbede, ou la mort par SMS
Emprisonné puis rejeté par sa propre famille, cet étudiant en philosophie s’est éteint le 10 janvier après un long calvaire. Il avait 34 ans. Récit.
Il est mort le 10 janvier dans son village natal de Ngoumou, près de la capitale, au terme d’atroces souffrances. "Son quotidien, c’était un appel au secours", se souvient Stéphane Koche, un défenseur des droits des homosexuels à Yaoundé, qui, à l’instar des autres militants, se désole que Roger Mbede, 34 ans, ait disparu avant l’ouverture d’un procès qui aurait pu avoir valeur d’exemple. La Cour suprême devait en effet, à cette occasion, se prononcer sur la constitutionnalité de la loi camerounaise réprimant l’homosexualité.
Si la nouvelle de la mort de Mbede a ému les militants, elle n’a pas surpris, au regard de tout ce qu’il avait enduré. Ce calme étudiant en philosophie ne s’était pourtant jamais fait remarquer. Jusqu’au 2 mars 2011, où sa vie bascule. Son crime : avoir envoyé des SMS à un homme, dont l’un disait : "Je suis très amoureux de toi." "Cet homme m’a appelé, me demandant de lui rendre visite. J’ai été accueilli par deux policiers, qui m’ont arrêté et jeté dans une cellule", témoigne Mbede à l’époque. Puis il est passé à tabac, comme il le confie à l’ONG Human Rights Watch.
C’est le début d’un long calvaire. Interrogé pendant une semaine – alors que la loi ne prévoit de condamnation pour homosexualité qu’en cas de flagrant délit -, il est incarcéré à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, le 9 mars. Le 28 avril, il est condamné en première instance à trois ans d’enfermement assortis d’une amende de 33 000 F CFA (50 euros), en vertu de l’article 347 bis du code pénal, pour "rapports sexuels avec une personne de son sexe". Il passera seize mois en cellule, dans l’insalubrité, la promiscuité et les maladies… Et sera victime d’abus de la part de ses codétenus et gardiens.
Devenu le symbole de la lutte pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) dans le cadre d’une mobilisation internationale, Mbede obtient une mise en liberté provisoire pour raisons médicales le 16 juillet 2012. Dix jours plus tard, il est opéré d’une hernie. Mais le 17 décembre, en son absence, la Cour d’appel de Yaoundé confirme sa condamnation. Visé par un mandat d’arrêt, il peut être remis en prison à tout moment.
Il souffre de la malaria et d’un cancer
Mbede devient alors un fugitif dans son propre pays. Changeant régulièrement d’adresse, il poursuit tant bien que mal ses études et soutient même son mémoire de philosophie de l’éducation en novembre 2013. Mais sa santé s’est dégradée. Souffrant de la malaria et d’un cancer des testicules, il est admis en novembre dans le dispensaire des soeurs catholiques de Nkolbisson, à l’ouest de la capitale. Épuisé, il rentre ensuite chez ses parents. Il ne s’en remettra pas.
Ses proches l’ont rejeté dès son arrestation. "Mon père m’a dit que je n’étais plus son fils et ma soeur qu’elle aurait préféré avoir un frère voleur et criminel", confiait-il après sa condamnation. Et avec la mort de son père, enterré le 4 janvier 2014, dont il est tenu pour responsable, sa vie devient un enfer. "Ses proches l’auraient confiné dans une chambre, sans soins, car à leurs yeux il incarnait le diable", déclare Me Saskia Ditisheim, son avocate suisse.
À en croire Marc Lambert Lamba, un militant de l’Adepev (Action pour le développement et l’épanouissement des personnes vulnérables), qui se rend sur place le 7 janvier, la situation est catastrophique : "Roger est très faible et ne parvient plus à s’exprimer. Sa famille espère que sa mort viendra laver l’opprobre." Trois jours plus tard, le jeune homme succombe. Manque de soins ? Malnutrition ? "Une plainte pénale sera déposée pour faire la lumière sur les circonstances de son décès", précise Me Ditisheim. Il venait de négocier un accord de visa pour la France. Son calvaire était sur le point de prendre fin. Il ne lui aura manqué que quelques jours…
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