Homosexualité en Afrique, la différence tous risques
De la RD Congo au Nigeria, les gays vivent dans la peur et sous la menace de législations de plus en plus répressives. Pis : l’homosexualité est parfois instrumentalisée à des fins politiques.
"Je ne comprends pas comment on ne m’a pas encore tuée", confie la présidente d’une association de lutte pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Yaoundé. Au Cameroun, les membres de la communauté vivent dans la peur. Depuis l’assassinat d’Éric Lembembe, en juillet 2013, tous craignent d’être "le prochain". Militant pour les droits des homosexuels, Éric a été torturé, mutilé et brûlé. Depuis, l’enquête piétine. Pas de relevé d’empreintes ni de photo du corps, un certificat de décès muet sur les causes de celui-ci et qui ne mentionne pas les sévices subis… Comme quasiment partout en Afrique subsaharienne, la justice camerounaise semble peu encline à protéger les droits des homosexuels. En revanche, elle fait preuve de zèle dans la répression. Amendes, peines de prison, travaux forcés, voire peine de mort ne sont pas rares.
Au sud du Sahara, les législations contre l’homosexualité se classent parmi les plus sévères de la planète : trente-huit pays la qualifient de délit pénal. Et rares sont les hommes politiques qui, à l’image de Tharcisse Karugarama, l’ancien ministre rwandais de la Justice, considèrent qu’il s’agit d’"un sujet privé dont l’État ne doit pas se préoccuper".
De moins en moins de droits pour les LGBT
Au contraire, les lois ont tendance à se durcir. Le 13 janvier, le Nigeria a adopté un texte restreignant davantage les droits des LGBT. La RD Congo pourrait lui emboîter le pas prochainement, une proposition de loi ayant été déposée en décembre 2013 à l’Assemblée nationale par Steve Mbikayi, député membre de la coalition de l’opposant Vital Kamerhe. Pourtant, dans ce pays, le sujet n’est plus tabou depuis longtemps : voilà plus de dix ans que l’acteur congolais Mike "La Duchesse" campe un personnage homosexuel avec succès sur les planches kinoises. Au Cameroun, les choses s’aggravent aussi. Si l’homosexualité est passible de poursuites pénales depuis 1972, la législation est réellement appliquée depuis dix ans environ, et elle l’est plus sévèrement encore depuis cinq ans.
Que s’est-il passé ? Christophe Lutundula, député de la majorité présidentielle congolaise, ne "croit pas qu’il s’agisse d’un problème lié uniquement à l’actualité" et préfère parler d’un phénomène de plus long terme. "La mondialisation joue un rôle", soutient pour sa part l’avocat camerounais Walter Atoh, l’un des rares membres du barreau qui accepte des dossiers des LGBT. "Il y a dix ans, nous n’avions pas internet", rappelle-t-il. Aujourd’hui, la communauté est devenue très visible sur la Toile : elle s’y informe, organise des rencontres… Et ses pourfendeurs en profitent pour traquer ses membres.
Le péché d’intolérance
Religion et homosexualité n’ont jamais fait bon ménage. "Macky Sall [le président du Sénégal] a cédé à la pression, explique Assane Dioma Ndiaye, président de l’Organisation nationale des droits de l’homme du pays, partenaire de la FIDH. Les confréries de marabouts exercent une grande influence dans ce domaine, étant donné l’importance de la religion pour la population." Pour garantir la paix sociale, les responsables politiques ont donc tout intérêt à soutenir les chefs religieux. Du côté de l’Église catholique, le message de tolérance lancé par le pape François n’est globalement pas accepté en Afrique. "Notre société ne tolère pas les liaisons entre deux personnes du même genre", a ainsi déclaré le cardinal ghanéen Peter Turkson, peu avant l’élection du nouveau pape, sur la chaîne américaine CNN. Christian Tumi, son homologue camerounais alors archevêque de Douala, a même organisé en 2009 une marche contre l’homosexualité qui a rassemblé 20 000 personnes. Récemment, il a réaffirmé ses propos de l’époque : "Même les bêtes ne font pas ça, quel que soit le niveau, quel que soit l’endroit… C’est condamnable." Les autres Églises ne sont pas en reste. Trois organismes religieux américains – l’American Center for Law and Justice (ACLJ), fondé par le télévangéliste Pat Robertson, le groupe catholique Human Life International et Family Watch International, dirigé par l’activiste mormone Sharon Slater – se livrent à une véritable guerre culturelle sur le continent, en soutenant les campagnes et les leaders politiques opposés à l’homosexualité.
La question des droits des homosexuels pour masquer les problèmes de pauvreté et de chômage
Surtout, "les pouvoirs africains instrumentalisent la question des droits des homosexuels pour masquer les problèmes de pauvreté et de chômage après la crise financière", analyse Berry Didier Nibogora, coordinateur de l’African Men for Sexual Health and Rights (Amsher) en Afrique francophone, et chargé de mission de la FIDH au Cameroun en janvier. Autrefois tabou, le sujet s’invite désormais dans la sphère politique. Lors de sa visite à Dakar en 2013, Barack Obama avait jeté un pavé dans la mare en enjoignant au continent de faire des progrès dans ce domaine. "Les cultures sont différentes, comme les religions et les traditions, avait aussitôt rétorqué Macky Sall. Sur la dépénalisation de l’homosexualité comme sur la peine de mort, les avis sont partagés", avait-il malicieusement conclu.
Une position qui tranche avec celle adoptée pendant la campagne électorale de 2011. Macky Sall proposait alors de gérer ce dossier de façon "moderne et responsable". Mais le camp d’Abdoulaye Wade l’avait aussitôt accusé de travailler pour des lobbies gays. Réponse des alliés de Macky Sall par la voix de l’avocat El Hadji Ousseynou Diouf : "Les vrais homosexuels sont avenue Léopold-Sédar-Senghor [siège du gouvernement]." Et Jean-Paul Dias, un autre proche de Macky Sall, de renchérir : "Le fils d’Abdoulaye Wade [Karim, alors ministre] a perdu sa femme et refuse d’en prendre une autre, essayez de voir ce qui se cache derrière." Dans une ambiance aussi délétère, pas étonnant que Macky Sall marche sur des oeufs.
Au fil des années, la question de l’homosexualité est devenue une arme politique. Après le vote de la loi autorisant le mariage gay en France, en avril 2013, le gouvernement ivoirien a été accusé de vouloir imiter l’ancienne puissance coloniale. Gnamien Konan, le ministre de la Fonction publique, a alors cru bon de comparer le mariage homosexuel à "la fin du monde". Le chef de l’État, Alassane Ouattara, a dû intervenir en personne pour calmer les esprits en précisant qu’aucune modification législative n’était au programme.
Des milliers d’Africains tentent de survivre
En RD Congo, c’est lors du débat sur la nouvelle Constitution, adoptée en 2006, que le thème a fait irruption. Les opposants à cette dernière accusaient ses rédacteurs de vouloir y intégrer le mariage entre personnes de même sexe. "J’ai dû expliquer à la télévision que telle n’était pas notre intention et que le texte précisait que le mariage était une union entre deux personnes de sexes différents", se souvient Christophe Lutundula, alors vice-président de l’Assemblée nationale. "C’était une instrumentalisation visant à décrédibiliser la Constitution", analyse-t-il.
Une technique employée par l’entourage du président, Paul Biya, pour discréditer certaines personnalités, murmure-t-on au Cameroun. Lorsque les journaux à scandales ont publié, début 2006, un "top 50 d’homosexuels présumés", d’aucuns y ont décelé des règlements de comptes politiques. Parmi les hommes jetés en pâture à la vindicte populaire, Grégoire Owona, alors ministre délégué à la Présidence de la République, ou Pierre Moukoko Mbonjo, l’ancien ministre de la Communication.
Pendant ce temps, des milliers d’Africains tentent de survivre. Naomie, un travesti de Yaoundé, est de ceux-là. "Je ne peux pas être différente de ce que je suis, je me sens femme depuis que je suis toute petite", confie-t-il. Pour Naomie comme pour beaucoup d’autres LGBT, le continent est toujours un endroit où il ne fait pas bon vivre.
Où trouver refuge ?
Si, globalement, le continent condamne l’homosexualité, quelques pays se démarquent, comme le Rwanda, qui, dans la région des Grands Lacs, refuse d’en faire un délit passible de prison, – contrairement à l’Ouganda, au Burundi, et peut-être bientôt à la RD Congo. En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire fait figure de refuge. Le pays ne dispose pas de législation particulière sur le sujet et c’est cette "non-pénalisation" qui explique son statut à part, selon Berry Didier Nibogora, coordinateur de l’African Men for Sexual Health and Rights (Amsher) en Afrique francophone. "Mais les demandes de séjour dans ce pays étant aussi motivées par des considérations économiques, il est difficile de le qualifier d’"accueillant"", tempère-t-il. L’Afrique du Sud, enfin, qui a légalisé le mariage homosexuel en 2006, est loin d’être le havre de paix espéré, selon Amnesty International. Les agressions, notamment de lesbiennes, y sont encore très nombreuses.
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