Maroc, Burkina, Sénégal : la révolution solaire est en marche
La course au développement et à la construction de centrales solaires bat son plein sur le continent. D’alliances stratégiques en levées de fonds, la concurrence entre investisseurs se joue sur plusieurs fronts.
Toute l’industrie de l’énergie solaire retient son souffle ! Depuis quelques semaines, le bruit court avec insistance : Bboxx, le fournisseur britannique de services hors réseau, serait sur le point de racheter la cleantech ghanéenne PEG Africa. Selon des informations de la presse spécialisée, démenties par aucune des deux sociétés, le montant du deal tournerait autour de 200 millions de dollars. Un chiffre rarement atteint pour ce type d’opération dans le secteur. Début mai déjà, c’est l’américain Sun King, fournisseur de kits solaires destinés à une utilisation domestique, qui avait atteint un autre record en bouclant un tour de table de 260 millions de dollars pour accélérer son développement et déployer ses activités en Asie et surtout en Afrique.
De l’Égypte à l’Afrique du Sud, en passant par le Maroc, le Sénégal, le Burkina Faso ou encore le Togo et le Kenya, le secteur du solaire est en pleine ébullition. Les projets de centrales solaires photovoltaïques reliées au réseau national et les systèmes hors réseau poussent en grappes sur le continent, où le soleil est quasi inépuisable. Ainsi au Maroc, malgré un bilan contrasté lié à la gestion complexe du gigantesque projet solaire Noor Ouarzazate (580 MW), l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen) garde dans sa ligne de mire l’ambition royale : porter la part des énergies renouvelables à hauteur de 52 % de son mix énergétique d’ici à 2030. Pour ce faire, sept concessions ont été débloquées en faveur de quatre producteurs indépendants d’électricité (IPP) dans le cadre du programme Noor PV II. Le marocain Taqa, le français Voltalia, l’émirati Amea Power et Enel Green Power, filiale du géant italien Enel, auront pour mission de développer une capacité solaire photovoltaïque de 333 MW.
Fortes prévisions de croissance
Pour marquer leur territoire, l’allemand Siemens Financial Services (SFS) et le chinois Huawei Digital Power Technologies ont opté pour des partenariats stratégiques avec un objectif clair : développer un portefeuille de 1 000 mégawatts d’énergie solaire et d’infrastructures intelligentes. Le premier s’est allié au saoudien Desert Technologies dans le cadre d’une coentreprise dénommée Capton Energy qui se donne pour ambition d’acquérir et de développer des centrales solaires en Afrique et en Asie. Le second a choisi Meinergy, un des leaders du photovoltaïque en Afrique de l’Ouest, pour doter le Ghana de mégaprojets avec, en prime, 500 MWh de capacité de stockage d’électricité.
Le solaire est devenu l’une des énergies les plus compétitives en matière de coûts
Par ailleurs, « une bonne série d’initiatives privées, menées par des acteurs comme Meridiam ou encore le gestionnaire de fonds à impact Camco, contribuent également à accélérer le processus et à exploiter un nombre plus élevé de mégawatts sur le continent », affirme Christopher Knowles, conseiller indépendant en investissements financiers, passé par la Banque européenne d’investissement (BEI) et par Meridiam Infrastructure Africa Fund (MIAF).
« Aujourd’hui, des investisseurs de premier plan misent sur ce secteur en raison des fortes prévisions de croissance et de rendements fiables. Le solaire est devenu l’une des énergies les plus compétitives en matière de coûts et celle dont la croissance est la plus rapide du monde », analyse Rim Berahab, économiste et experte en énergies renouvelables au Policy Center for the New South (Rabat). À la tête de Bboxx EDF Togo, fruit du rapprochement entre le fournisseur britannique de kits solaires de nouvelle génération et le français spécialisé dans les énergies « bas carbone », Oudou Nsangou est optimiste : « Le solaire est l’énergie de l’avenir et constitue la solution la mieux adaptée au contexte africain et à la réalité locale ».
Engouement institutionnel
Associé à l’éolien, il domine les nouvelles capacités de production d’énergies renouvelables dans le monde en 2021 (88 %). Dans son rapport « Renewable Capacity Statistics 2022 », rendu public en avril dernier, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) note une augmentation de 3,9 % en Afrique, où environ la moitié de la population totale (soit 548 millions de personnes) n’avait pas accès à l’électricité en 2018, selon la Banque mondiale. Dans le contexte actuel, l’IRENA mise sur les énergies propres avec en tête le solaire, au potentiel le plus considérable, pour représenter près de 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne à l’horizon 2030.
Ainsi, la croissance attendue de la demande d’énergie conjuguée à l’intensification des efforts de décarbonation au niveau mondial devrait stimuler le développement des énergies renouvelables, et notamment le solaire. D’autant plus que le progrès technologique continue de favoriser la baisse des coût de cette énergie. « C’est un investissement à faible risque, adossé à des actifs qui offrent des rendements prévisibles à long terme sous forme de contrats d’achat d’électricité », explique Rim Berahab notre spécialiste des énergies vertes. Au-delà de la volonté de répondre aux besoins du continent en électricité, les investisseurs sont ainsi attirés par « la rentabilité de ces projets, qui est bien supérieure, voire le double de celle qui est observée sur les autres marchés mondiaux », assure Christopher Knowles, le conseiller indépendant en investissements financiers.
Mais derrière l’engouement des entrepreneurs pour cette manne du solaire encore très peu exploitée sur le continent, il faut aussi noter l’engagement des institutions de financement de développement. La Société financière internationale (IFC), filiale de la Banque mondiale chargée du financement du secteur privé, a ainsi mis en place un dispositif à la fois technique et financier au service des gouvernements et des investisseurs. Cette solution pour développer rapidement les grandes centrales solaires à moindre coût est baptisée Scaling Solar. Au Sénégal, deux centrales solaires d’une capacité de 35 et de 25 MW ont été créées, fin 2020, grâce à cette initiative. Deux autres installations, dotées également d’une capacité combinée de 60 MW, sont actuellement en construction en Côte d’Ivoire. Avec une documentation adaptée, des financements pré-approuvés et des instruments de garantie, cette solution clé en main fait aussi le bonheur de la Zambie, du Togo, du Niger, de Madagascar ou encore du Mali.
Une dynamique de bon augure
Confirmant cette mobilisation des institutions multilatérales en faveur des énergies propres, début mai, l’ONU a annoncé, début mai, un plan de 600 milliards de dollars pour accélérer le passage aux renouvelables et garantir l’accès à l’électrification et à la cuisson propres dans les pays les moins avancés, notamment en Afrique, d’ici à 2025. La Banque africaine de développement (BAD) s’est aussi engagée à soutenir la transition énergétique sur le continent. Dernier projet en date porté par l’institution panafricaine : Desert to Power, soit 380 millions de dollars pour faire de la région du Sahel la plus grande zone de production solaire du monde en mobilisant 10 000 MW de capacité installée.
La multiplication des financements soutenus par les bailleurs de fonds multilatéraux, notamment la Banque mondiale, revêt « une importance capitale » pour le développement des projets solaires en Afrique, estime Oudou Nsangou. « Au vu du contexte économique actuel qui empêche les États africains de lancer des projets d’envergure, cette dynamique est de bon augure, car il est primordial d’avoir des ressources financières », souligne le directeur général de Bboxx EDF Togo, pour qui ces investissements permettent de pérenniser l’industrie solaire et de répondre non seulement aux besoins d’électrification sur le continent mais aussi à l’urgence climatique. Cependant, pour relever ces défis et accélérer la transition vers les énergies propres, « des réformes importantes sont nécessaires pour améliorer le cadre institutionnel et réglementaire » de ce secteur, conclut Rim Berahab, économiste et experte en énergies renouvelables.
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