La résistible ascension de Narendra Modi
Le très autoritaire, très nationaliste et très charismatique leader du Bharatiya Janata Party (BJP) dirige le prospère État du Gujarat. Et il vise plus haut après les législatives du mois de mai.
Sur la route qui mène d’Ahmedabad à Champaner, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, le macadam est presque parfait et les bus roulent à vive allure. De part et d’autre de la voie express, les terres agricoles alternent avec les sites industriels. Alstom, Vodafone, Tata, Adani… Les grands groupes indiens et internationaux se disputent l’espace. Bienvenu au Gujarat, paradis du big business !
"Ici, les infrastructures sont nettement meilleures que partout ailleurs en Inde, et les coupures d’électricité sont rares", commente un entrepreneur. Dans cet état de l’ouest de la péninsule indienne, la croissance avoisine 10 % – près du double de la moyenne nationale. C’est un nouveau "tigre" asiatique, où les grands projets foisonnent. Le Gujarat dispose du plus grand parc de panneaux solaires d’Asie et du meilleur réseau routier rural du pays. À lui seul, il attire 15 % des capitaux investis en Inde.
Dynamique, moderne, efficace. Cette image du vibrant Gujarat, comme dit le slogan publicitaire, est sans doute la meilleure carte de visite de Narendra Modi, le charismatique Chief Minister de cet État de 60 millions d’habitants. Elle lui permettra peut-être, à l’issue des élections législatives du mois de mai, de devenir le Premier ministre de la fédération. Car NaMo, comme le surnomment les médias, fait aujourd’hui figure de favori. Candidat du Bharatiya Janata Party (BJP), la principale formation nationaliste hindoue, il est l’homme qui monte et fait trembler un Parti du Congrès usé par dix années de pouvoir.
Il soigne son apparence physique autant qu’il calibre son discours
Barbe blanche taillée avec soin surmontée de fines lunettes, Modi arbore le plus souvent une ample kurta (chemise traditionnelle descendant jusqu’aux genoux) de couleur safran, symbole de son parti. Il soigne son apparence physique autant qu’il calibre son discours. Contrairement à Rahul Gandhi, fils de Sonia et de Rajiv, qui conduit la campagne du Congrès, il a pour lui de ne pas être un héritier. Issu de la classe moyenne laborieuse – son père était épicier -, il "sait ce qu’être pauvre veut dire", comme il le clame à longueur de meeting. Rien à voir, bien entendu, avec la richissime dynastie Nehru-Gandhi, la first family qui domine la vie politique indienne depuis l’indépendance, en 1949, dont il raille volontiers les mesures "sociales".
Modi se montre en revanche très discret sur ses débuts en politique. Très jeune, en effet, il adhère à la Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), organisation d’extrême droite où il fera ses classes avant d’adhérer en 1987 au BJP, qui en est un peu l’émanation politique. "Construire des toilettes d’abord, des temples ensuite, tel est mon credo", claironne-t-il devant des parterres de jeunes gens médusés. "Je suis connu comme un leader de l’hindutva [suprématie hindoue]. Je ne devrais pas parler ainsi, mais tant pis, je le fais." Le propos fait mouche dans les milieux d’affaires, dont il est la coqueluche, et dans une large frange de la classe moyenne urbaine, avide de renouer avec une croissance économique digne de ce nom et pressée d’en finir avec un Parti du Congrès discrédité par les scandales à répétition. Adulé par une partie de l’opinion (il compte une multitude de followers sur les réseaux sociaux), il est haï par l’autre. Les musulmans ne sont pas les moins virulents à son égard. Vieille histoire.
"Un manipulateur qui s’approprie la réussite économique du Gujarat"
En 2002, alors qu’il vient d’être élu Chief Minister du Gujarat, cinquante-neuf extrémistes hindous périssent brûlés vifs dans un train à Ghodra. Les représailles qui s’ensuivent sont terribles. À Ahmedabad, la capitale économique, et dans plusieurs villages des environs, des émeutes éclatent. Elles font près de deux mille victimes, dans leur majorité musulmanes. Modi est accusé d’avoir donné à la police l’ordre de ne pas intervenir. Donc, d’avoir favorisé les massacres. Une commission d’enquête est mise en place. Elle mettra onze ans avant de conclure, en décembre 2013, à l’absence de preuves de sa culpabilité. Soulagé, Modi raconte dans son blog qu’il a été "meurtri au plus profond de lui-même" par les émeutes et les accusations portées contre lui. Mais une partie de ses opposants restent convaincus que ses juges ont été achetés.
"C’est un grand manipulateur, qui s’approprie la réussite économique du Gujarat, estime l’écologiste Mahesh Pandya. Mais notre État a toujours été l’un des plus avancés du pays. Et les Gujaratis, qui sont des businessmen nés, ne l’ont pas attendu pour faire des affaires !" D’autres accusent sa politique d’avoir multiplié les fractures sociales. "De quel miracle parle-t-on ? s’agace Lajwanti Chatani, professeure de sciences politiques. Je verse 30 % de mon salaire aux impôts pour engraisser les grands groupes privés alors que le secteur public est défaillant. Ici, les profs sont beaucoup moins bien payés qu’ailleurs, mais rien n’est trop beau pour les grands groupes industriels Adani, Essar et consorts, qui se voient par exemple attribuer des terres à des prix bradés."
En tête dans les sondages des grandes villes
Et puis, il y a le style de Modi, tellement autoritaire qu’il suscite des résistances jusqu’au sein de son propre parti. Sa désignation comme leader de la campagne électorale est d’ailleurs loin d’avoir fait l’unanimité. Lal Krishna Advani, l’un des dirigeants historiques du BJP, qui l’avait pourtant aidé il y a quelques années, a claqué la porte. "Si Modi devient Premier ministre, ce sera un jour funeste pour la démocratie dans ce pays", se désole pour sa part Suresh Mehta, un ancien du BJP. Il évoque notamment l’absence de contre-pouvoirs, les pressions sur les journalistes et le médiocre rôle joué par l’assemblée du Gujarat : elle ne siège que trente jours par an, contre cent jours pour les autres assemblées de la fédération.
Dans ces conditions, Modi est-il vraiment en position de remporter les législatives ? Dans les grandes villes, les derniers sondages le placent en tête avec 58 % des intentions de vote. Patron d’Infosys, un grand groupe de prestation de services informatiques, Narayana Murthy est formel : rien, pas même le souvenir des émeutes de 2002, ne peut empêcher Modi d’être le prochain Premier ministre.
Reste des inconnues. Au mois de décembre 2013, la donne a quelque peu changé avec l’émergence de l’Aam Aadmi Party (AAP), un parti anticorruption vainqueur des élections locales dans l’État de Delhi. Arvind Kejriwal, son leader, est devenu Chief Minister de l’État-capitale avec le soutien du Congrès. Quelle place prendra-t-il à l’avenir, au niveau national ? De manière générale, quelle sera l’attitude des innombrables partis régionaux ? Choisiront-ils de voler au secours de la victoire en s’alliant au BJP ? En tout cas, leur concours est indispensable pour obtenir la majorité à la Lok Sabha, la chambre basse du Parlement. Certains, comme Nitish Kumar, au Bihar, ont d’ores et déjà annoncé leur refus de toute alliance avec le parti hindouiste par crainte de perdre leur électorat musulman, mais sait-on jamais ? L’attrait du pouvoir est si fort… "Si Modi obtient 180 sièges sur les 552 que compte l’Assemblée, il a des chances d’arracher de nombreux ralliements. En deçà de ce seuil, ce sera compliqué", estime Lajwanti Chatani. Bref, le jeu sera peut-être plus serré qu’il n’y paraît au premier abord.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- La justice sénégalaise fait reporter l’inhumation de Mamadou Moustapha Ba, évoquan...
- Une « nouvelle conception de l’autorité » : Mohamed Mhidia, un wali providentiel à...
- Les sextapes de Bello font le buzz au-delà de la Guinée équatoriale
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello