Mbuyi Kabunda, un panafricaniste congolais en Espagne

Installé depuis plus de vingt ans à Madrid, le Congolais Mbuyi Kabunda est l’un des rares africanistes de la péninsule Ibérique. Rencontre.

Mbuyi Kabunda affirme « La colonisation a divisé ce qui devait former un tout ». © Navia/Agence Vu pour J.A.

Mbuyi Kabunda affirme « La colonisation a divisé ce qui devait former un tout ». © Navia/Agence Vu pour J.A.

Publié le 27 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.

« Quand je parle de l’Afrique, je me sens souvent seul, c’est frustrant », reconnaît Mbuyi Kabunda. Sur le campus de l’université autonome de Madrid, dans une salle de cours, lors d’une conférence et jusque dans ses écrits, ce professeur de relations internationales transmet son savoir avec bienveillance et fermeté. Avoisinant les deux mètres, les yeux cachés derrière de grosses lunettes aux branches dorées, cet africaniste chevronné est rieur et chaleureux. Sûr de ses idées, il est prêt à se battre pour les défendre. Évoquer les réalités du continent africain en Espagne n’est cependant pas chose aisée.

« Les Espagnols ont commencé à s’intéresser à l’Afrique avec José Luis Rodríguez Zapatero [Premier ministre entre 2004 et 2011], imaginez-vous ! se lamente-t-il. Les questions de l’immigration et du terrorisme au Sahel ont contribué à cet intérêt. Mais aujourd’hui, avec la crise, Mariano Rajoy juge l’Amérique latine plus attrayante, notamment en raison de ses liens historiques et culturels avec l’Espagne. Pourtant, les côtes africaines ne sont qu’à 14 km ! » C’est au nom de cette proximité que Mbuyi Kabunda lutte depuis des années et explique son installation définitive à Madrid, tout en restant très discret sur sa vie privée.

Son but ? Battre en brèche l’afropessimisme et revenir à un afroréalisme plus pertinent.

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Quand le jeune homme congolais est arrivé dans la péninsule Ibérique, au début des années 1990, il s’intéressait surtout au Sahara et au Maghreb. Il s’est finalement tourné vers l’Afrique subsaharienne, les spécialistes du monde arabe étant bien plus nombreux. Son but ? Battre en brèche l’afropessimisme et revenir à un afroréalisme plus pertinent. C’est pourquoi il n’hésite jamais à dénoncer une « pornographie de l’humanitaire » – les ONG véhiculant trop d’images négatives à son goût dans le but de lever des fonds. Pas facile pourtant d’évoquer la réalité des cinquante-quatre pays qui composent l’Afrique. Kabunda prône le respect de la diversité ethnique et culturelle, se dit sceptique sur l’occidentalisation et souhaite la création des « États-Unis d’Afrique ».

« La colonisation a divisé ce qui devait former un tout. Dans chaque pays, il y a un problème Nord-Sud », insiste-t-il. Son modèle ? Kwame Nkrumah, président du Ghana de 1960 à 1966, qui souhaitait la formation d’une entité supranationale. Le professeur congolais est confiant : 80 % de la population africaine a moins de 20 ans et 30 % des ressources naturelles de la planète se trouvent sur le continent… Fustigeant l’aide extérieure (il précise d’ailleurs que, avec la crise, l’Espagne a réduit la sienne de 80 %), Kabunda prône un nouveau développement à travers l’éducation et la formation. « Il s’agit d’un vrai travail de missionnaire ! » s’exclame-t-il en riant.

« Je ne suis plus le bienvenu dans mon pays à cause de mes écrits »

En RD Congo, le jeune homme avait, à l’époque, une carrière toute tracée à l’université de Lubumbashi. Alors qu’il y enseignait les sciences politiques, une rencontre a bouleversé sa vie : Luis Beltrán y Repetto, professeur à l’université d’Alcalá de Henares, près de Madrid, et fondateur de l’Association espagnole des africanistes (AEA), qui dirigeait à cette époque le collège Notre-Dame d’Afrique. Séduit par cet éminent professeur, Mbuyi Kabunda décide de poursuivre sa formation et s’installe dans la capitale espagnole, où il rédige sa thèse : « Intégration régionale en Afrique : fondements, obstacles et perspectives ». C’est à cette période que le jeune thésard, formé dans la plus pure tradition francophone, découvre l’Amérique latine. « On y insiste sur la culture amérindienne, jamais sur la culture africaine », regrette-t-il. À Buenos Aires, Bogotá, Carthagène, La Havane, Caracas, il va se battre corps et âme pour les afrodescendants et tenter d’éveiller chez eux une prise de conscience. « Je souhaite leur rappeler la participation des esclaves noirs dans la construction de leurs pays », explique-t-il.

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Né « il y a une cinquantaine d’années » à Kolwezi, ville ouvrière du Katanga, Mbuyi Kabunda n’a jamais pu retourner en RD Congo. « Lorsque je finissais ma thèse, la dictature de Mobutu était devenue très agressive, puis l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila m’a empêché de rentrer. Depuis quinze ans, je ne suis plus le bienvenu dans mon pays à cause de mes écrits », soupire-t-il.

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