Libye : Kadhafi, la mort tragique du « Guide »
C’est à Syrte, sa ville natale, que le colonel libyen est mort, lynché par la foule, le 20 octobre 2011, après quarante-deux ans de dictature. Voici le récit qu’en fit alors François Soudan, dans JA.
Il aura eu, au moins, ce courage, cet honneur et cette folie. Être débusqué mais ne pas se laisser déterrer comme Saddam Hussein, après huit mois de cavale. Ne pas fuir comme Ben Ali. Ne pas être exhibé comme Moubarak. Mourir, sous les shrapnels de l’Otan ou les balles de son peuple, mais mourir, finalement, au combat.
Catharsis dévastatrice
L’image de Mouammar Kadhafi le visage ensanglanté reposant entre le bras et le genou de ce qui semble être un infirmier, captée le jeudi 20 octobre 2011 à 12h23 par l’objectif d’un ex-rebelle, n’est pas de celles dont il convient de se réjouir – même si nombreux sont les Libyens à l’avoir fait. Mais elle arrange, dans le fond, chacun des protagonistes d’une guerre qui aura duré huit mois.
Qui, en effet, hormis les victimes du dictateur et leurs familles, avait réellement intérêt à le prendre vif plutôt que mort ? Qui voulait de cette catharsis dévastatrice, de ce déballage auquel inévitablement aurait donné lieu le procès public de quarante-deux années de règne ? Ni les dirigeants du Conseil national de transition (CNT), pressés de tourner la page du présent et, pour certains, de leur propre passé de collaboration. Ni les alliés de l’Otan, qui tous, à un degré ou un autre, se sont compromis avec un homme que sa richesse rendait fréquentable. Ni les révolutionnaires de la vingt-cinquième heure, serviteurs zélés du « maître de la grande tente », aujourd’hui planqués à Doha, Beyrouth, Le Caire ou Londres. Et encore moins, sans doute, Mouammar Kadhafi lui-même.
Il redoutait d’être traîné comme une bête de foire avant de finir au bout d’une corde comme Saddam
Nul ne craint plus l’humiliation que celui dont le pouvoir repose sur l’abaissement systématique et organisé de ses concitoyens. Kadhafi, à qui il restait quelque chose de la fierté bédouine, redoutait d’être traîné comme une bête de foire avant de finir au bout d’une corde comme Saddam, dont la chute l’avait tant traumatisé. Il n’aura pas connu ce destin abject, préservant ainsi un semblant de mythe dans le cœur de ceux qui, en Afrique et au sein de sa tribu, le considèrent déjà comme un martyr. C’est à son corps inerte, piétiné, profané, que la foule déchaînée à réservé les derniers outrages de la vengeance. À Bagdad, il y a cinq ans, la dépouille d’un autre tyran avait subi le même sort : il n’y a jamais de pitié pour les bourreaux.
L’option du pire
Le 20 octobre 2011, date de la mort de Mouammar Kadhafi, annoncée, programmée depuis que, tout à son refus halluciné de reconnaître sa défaite, le despote avait choisi l’option du pire, est désormais l’acte de naissance de la nouvelle Libye. Il fallait en passer par ces images indécentes pour que cesse enfin une guerre fratricide et de plus en plus sanglante puisque c’est ainsi qu’avance l’Histoire, entre drame et tragédie.
Kadhafi n’est plus, et bien rares sont ceux qui retiendront de lui la beauté sombre et le regard fiévreux du jeune officier libre qui prit le pouvoir un 1er septembre 1969 sur les ruines d’une monarchie avachie, suscitant en Libye et au-delà une vague de ferveur. L’idole déchue est morte à 69 ans, prise dans la nasse de Syrte, sa ville, qu’il n’a jamais voulu quitter, bouffie, les joues botoxées, les yeux à demi-clos, la bouche tordue de haine contre les « rats », les « cloportes », les « chiens errants », et tout le bestiaire de ses pires cauchemars.
Les opposants assassinés, les islamistes pendus, les démocrates disparus, les Berbères napalmisés, les prisonniers torturés, les Misratis bombardés et tous les grains anonymes de cet interminable chapelet de douleurs que fut pour nombre de Libyens le règne de ce « Guide » dévoyé peuvent désormais reposer en paix.
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