Opposition burkinabè : ça tangue à Ouaga pour Blaise Compaoré
Face à l’opposition et aux dissidents de son parti qui joignent leurs forces, Blaise Compaoré assure que tout va bien. Enquête sur un bras de fer qui devrait durer de longs mois au Burkina Faso.
Pas de panique. Jusqu’ici tout va bien. Du moins si l’on se fie aux communicants du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). "Un non-événement" : c’est en ces termes qu’au siège vieillissant du parti, avenue Kwame-Nkrumah, on présente la démission de 75 membres du parti au pouvoir, le 4 janvier, parmi lesquels figurent des architectes du système échafaudé par Blaise Compaoré lors de ces vingt-six dernières années : Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo (surnommés les RSS). Un peu plus tard, des cadres locaux annonçaient, eux aussi, leur départ.
Cependant, la démonstration de force de l’opposition et de la société civile, qui a mobilisé le 18 janvier plusieurs dizaines de milliers de Burkinabè dans les principales villes du pays, pour s’opposer à la création du Sénat et à la modification de l’article 37 de la Constitution – qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels -, a changé la donne. Combien étaient-ils dans les rues de Ouaga ? Certainement pas 250 000, comme l’a claironné l’opposition ; pas 10 000 non plus, comme l’avancent les autorités ; peut-être 60 000, peut-être plus. Qu’importe. Le message envoyé à Kosyam est clair : le temps où l’opposition n’arrivait pas à rassembler plus de 2 000 personnes est révolu, et si "Blaise" tente de faire sauter le verrou de l’article 37, comme il semble en prendre le chemin, il devra affronter des Burkinabè résolus.
Le départ des RSS est un coup dur
Est-il inquiet pour autant ? "Non", jurent ses proches. Le premier cercle du président est cependant plus nuancé dans ses analyses que les communicants du CDP. En aparté, ceux qui le côtoient de près reconnaissent que le départ tonitruant des "RSS" est un coup dur et que cela modifie leurs plans. Le 12 janvier, la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC), une association conçue en 2007 pour faire contrepoids à un parti qui échappait alors au président, devait lancer une pétition visant à demander la modification de l’article 37. Elle ne s’y est finalement pas risquée. "Ce n’est que partie remise", se défend son patron, Adama Zongo. Il faudra du temps pour évaluer l’étendue des dégâts au sein du CDP. Dans l’entourage des démissionnaires, on affirme que ce n’est qu’un début et que la stratégie imaginée par Salif Diallo, le champion des coups fourrés, prévoit plusieurs vagues de démissions. Les RSS se sont également rapprochés de l’opposition et de la société civile. Sur la place de la Nation, le 18 janvier, Kaboré est apparu main dans la main avec Zéphirin Diabré, le chef de file de l’opposition.
Au Burkina, il faut avoir l’appui des chefs coutumiers et des églises pour se faire élire.
Leur travail de sape ne se limite pas à la sphère politique. Au Burkina, il faut avoir l’appui des chefs coutumiers et des églises pour se faire élire. Les premiers ont longtemps soutenu Compaoré. Aujourd’hui, ils sont partagés. Le 3 janvier, Kaboré en a réuni 300 pour leur expliquer sa décision de quitter le parti. Mossi pur sucre, issu d’une lignée royale respectée, l’ancien Premier ministre peut, en outre, compter sur le Larlé Naba, l’un des ministres les plus puissants du Mogho Naba, le roi des Mossis. Victor Tiendrébéogo était un député du CDP avant de démissionner lui aussi.
"Dans ce pays, le vrai rapport de force est militaire"
Kaboré est aussi très proche de l’Église catholique, et Simon Compaoré exerce une influence certaine dans l’Église protestante – des institutions qui comptent, même si les musulmans, dont Assimi Kouanda, le patron du CDP, est un haut représentant, sont plus nombreux. "Dans une élection, le soutien de l’Église peut peser, convient un visiteur régulier de Kosyam. Mais les clés du pouvoir se trouvent ailleurs au Burkina".
Pour l’heure, l’armée et les milieux d’affaires, les deux principaux piliers du régime, restent fidèles au président. Depuis les mutineries de 2011, Compaoré, qui a pris dans la foulée le ministère de la Défense, a remis de l’ordre dans les troupes. Toute la chaîne de commandement a été changée et les soldats sont privés de munitions. Seul le Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), qui compte un millier d’hommes, est en mesure de se battre. Or "le commandement du RSP est d’une fidélité à toute épreuve envers Blaise", indique un conseiller du président, selon lequel "dans ce pays, le vrai rapport de force est militaire". C’est aussi ce qu’a déclaré Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, aux démissionnaires du CDP lorsqu’il a tenté une médiation début janvier.
Sûr du soutien de son armée, persuadé aussi (comme plusieurs observateurs) que le rapprochement entre Kaboré, Diabré et les autres opposants ne tiendra pas bien longtemps, Compaoré ne semble pas aujourd’hui disposé à plier. Est-il prêt pour autant à employer la force ? Pas sûr.
"Nous demandons à ce que Blaise annonce solennellement qu’il ne modifiera pas l’article 37"
Si après la marche du 18 janvier, le gouvernement a affirmé être ouvert au dialogue, l’opposition n’en est plus là. "Nous ne voulons pas négocier, nous demandons à ce que Blaise annonce solennellement qu’il ne modifiera pas l’article 37, affirme un leader de l’opposition. S’il ne dit rien, la prochaine fois, il n’est pas exclu que les manifestants marchent sur Kosyam. Et s’ils y vont, qui tirera sur la foule ?"
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