Centrafrique : Catherine et les soudards
Pour panser les plaies d’un pays ravagé par les bandes armées, le Conseil national de transition a élu une femme. Respectée, indépendante, rassurante mais inexpérimentée. De leur nouvelle présidente, les Centrafricains attendent rien de moins qu’un miracle…
Des huit candidats de la short list retenus par le Conseil national de transition (CNT), elle était sans aucun doute la meilleure. Élue le 20 janvier par cet organe à la légitimité très contestable, mais qui a au moins le mérite d’exister au milieu du chaos ambiant, puis investie trois jours plus tard, Catherine Samba-Panza, 59 ans, avait dans sa manche quelques solides atouts : pas d’appartenance politique précise, un passé de militante associative au service des droits de l’homme (et de la femme), une solide formation de juriste acquise en France, une expérience réussie dans le privé à la tête d’un cabinet d’assurances, une pratique de la médiation issue du dialogue national de 2003, dont elle fut la vice-présidente, et un passage apprécié, ces huit derniers mois, à la tête de la mairie de Bangui.
De quoi faire oublier en somme que cette épouse d’un ancien ministre connu en Centrafrique, Cyriaque Samba-Panza (dont la carrière a été brutalement interrompue par un AVC qui l’a rendu partiellement handicapé), a été nommée à ce dernier poste par le calamiteux Michel Djotodia et qu’elle manque presque totalement d’expérience politique, ainsi que de connaissance des rouages administratifs.
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Cette virginité-là, le fait aussi de ne pas avoir encore goûté au pouvoir et à ses multiples tentations, a précisément joué en sa faveur. Après avoir battu au dernier round le fils de l’ancien président Kolingba, candidat en sous-main de l’ex-Séléka et auteur d’une piètre prestation devant les grands électeurs du CNT, cette mère de trois enfants a eu les mots qu’il fallait pour apaiser les coeurs. Un discours placebo aux effets certes très limités, mais un langage maternel dont les Centrafricains avaient sans nul doute besoin.
Les "parrains" de la Centrafrique ont eu dans cette étrange élection chacun son mot à dire, sa carte à jouer et son candidat à promouvoir.
La Centrafrique étant ce qu’elle est devenue – un État sous tutelle sécuritaire de ses voisins, de l’Union africaine et de la France -, il est évident que les "parrains" ont eu dans cette étrange élection chacun son mot à dire, sa carte à jouer et son candidat à promouvoir. Non sans une certaine cacophonie. Le président congolais Denis Sassou Nguesso, sans doute le plus investi pour la stabilisation de la Centrafrique (il y a envoyé un contingent et il est le seul à avoir déboursé pour payer les fonctionnaires), soutenait ainsi la candidature de Karim Meckassoua, 60 ans, qui est l’un de ses proches. Ancien ministre de François Bozizé pendant six ans (et à cinq portefeuilles différents) après avoir dirigé le cabinet de Jean-Paul Ngoupandé, éphémère chef du gouvernement d’Ange-Félix Patassé, cet ingénieur diplômé du Cnam, à Paris, docteur en ergonomie, est l’un des politiciens centrafricains les plus brillants. Musulman non compromis avec la rébellion de la Séléka et président du conseil d’administration de la société congolaise de gaz, Meckassoua avait également les faveurs appuyées de Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, pour qui la transition devait être dirigée par un homme à poigne et expérimenté. Mais arrivé trop tard dans la course, il a vu sa candidature (tout comme l’ancien ministre de la Sécurité Josué Binoua, qui n’en décolère pas) rapidement retoquée par un CNT dont les dix-sept critères d’éligibilité imposés aux candidats avaient apparemment été définis pour écarter des personnalités trop fortes et trop marquées.
Le plus politiquement et médiatiquement présentable
Face à un Bilal Désiré Kolingba, discrètement poussé par le Tchad mais considéré comme trop proche du président "démissionné" Michel Djotodia, Catherine Samba-Panza avait donc toutes les chances d’être élue. Soutenue à Paris par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, bénéficiant des faveurs de l’Union européenne, des États-Unis mais aussi des représentants à Bangui de l’Union africaine (Jean-Marie Michel Mokoko) et de l’ONU (Babacar Gaye), la "reine Catherine" était, il faut le croire, la plus politiquement et médiatiquement présentable de tous les postulants.
Née à N’Djamena, de père camerounais et de mère centrafricaine – Gbanziri de la Ouaka -, elle est en outre considérée comme plutôt proche de Martin Ziguélé, assureur lui aussi et l’un des principaux candidats à la prochaine élection présidentielle, la vraie, qui doit se dérouler dans une dizaine de mois et à laquelle ni elle ni son Premier ministre ne pourront se présenter. Familière du petit monde influent des ONG, engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et ex-formatrice en droits de l’homme du programme Afrique d’Amnesty International, la nouvelle présidente, dont la sécurité est depuis le 20 janvier assurée par le contingent rwandais de la Misca, n’a pas a priori de "tuteur" régional. Ou plutôt n’avait : autant l’absence, à la cérémonie d’investiture, d’Idriss Déby Itno et de Denis Sassou Nguesso a été remarquée, autant la présence le 23 janvier à Bangui d’Ali Bongo Ondimba a, elle, été commentée. Sur fond de bisbilles de leadership en Afrique centrale, le président gabonais serait-il tenté de mettre à profit l’échec des candidats de ses deux aînés pour jouer sa propre carte ?
Reste que la tâche qui attend cette femme respectée et indépendante d’esprit s’annonce extrêmement délicate. Dans cet "État de haine et de revanche", comme le qualifie Jean-Yves Le Drian, les massacres continuent, et la population musulmane a pris le chemin de l’exode en direction du Tchad, où, grâce à la vigilance du président Déby Itno, aucun acte de vendetta n’a heureusement été signalé à l’encontre de la communauté centrafricaine. Les scènes de violences entre miliciens Séléka et anti-balaka sont à ce point insupportables que l’armée française a mis à la disposition de ses hommes des cellules de soutien psychologique. Rien de tel n’est prévu pour soigner les quatre millions et demi de Centrafricains. Tragiquement démunie, Maman Catherine n’a que son sourire à leur offrir. Autant dire qu’il ne faut pas exiger d’elle un miracle.
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