RDC : à l’orchestre symphonique kimbanguiste, c’est Papa Armand qui donne le « la »

Il n’est composé que d’amateurs, et pourtant… L’Orchestre symphonique kimbanguiste, seule formation classique d’Afrique subsaharienne, jouit désormais d’une renommée internationale.

L’ensemble comprte près de 200 instrumentistes et choristes bénévoles. © DR

L’ensemble comprte près de 200 instrumentistes et choristes bénévoles. © DR

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Publié le 1 février 2014 Lecture : 5 minutes.

Le grand réveil de la RDC
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Le grand réveil de la RDC

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Kinshasa, c’est la rumba. C’est le ndombolo qui, tous les soirs, fait bouger des milliers de jeunes Kinois dans les bars, les boîtes et même les rues de la capitale. Tous rêvent de côtoyer les stars de la musique congolaise. Après la génération de Wendo Kolosoy puis celle de Tabu Ley Rochereau, c’est au tour de Fally Ipupa (transfuge du Quartier Latin International de Koffi Olomidé) et de Ferré Gola (ancien de Wenge Musica) de faire vibrer des millions de Congolais, qui partagent leur passion au sein d’enthousiastes fan-clubs. Pourtant, dans cet univers dominé par le rythme du soukouss et du sebene, une autre grande musique, "classique", fait depuis quelques années la fierté des Kinois. C’est celle que joue l’Orchestre symphonique kimbanguiste (OSK), la seule formation philharmonique d’Afrique subsaharienne, née du pari fou – et réussi – d’Armand Diangienda, son maestro.

Rien ne prédisposait le petit-fils du "prophète" Simon Kimbangu, chef spirituel de l’Église kimbanguiste, à une carrière musicale.

Rien ne prédisposait le petit-fils du "prophète" Simon Kimbangu, chef spirituel de l’Église kimbanguiste, à une carrière musicale. Enfant, Armand aimait le piano. Mais il rêvait surtout de devenir aviateur. Il avait même bricolé un simulateur de vol dans le salon familial. Il finit par prendre les airs, direction la Belgique puis les États-Unis, pour suivre des cours de pilotage.

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À chacun de ses retours à Kinshasa, son père, Joseph Diangienda, lui répétait : "Ce serait bien de rassembler des personnes qui s’intéressent à la musique pour former un groupe." Avec sans doute une idée en tête : le voir diriger la fanfare kimbanguiste qui anime le culte dominical. En 1985, Armand monte le Groupe symphonique kimbanguiste – qui n’a alors de symphonique que le nom. Quelques répétitions, de temps en temps, avec des amis, tous membres, justement, de la fanfare. "Mon père m’a encouragé à accueillir d’autres musiciens et choristes, quel que soit leur instrument et quelle que soit leur religion", se souvient-il. Bientôt, une trentaine de membres composent le groupe, rebaptisé Kimbanguist Big Band.

Après avoir décroché sa licence de pilote commercial, Armand Diangienda revient s’installer à Kinshasa, où il est embauché par la compagnie Scibe Airlift. Mais les mauvaises nouvelles ne tardent pas : les pillages de 1991 sont suivis en 1992 du crash, à Goma, de l’avion dans lequel il vole habituellement… Au chômage, le pilote consacre plus de temps à son Église et se remet à penser aux ambitions de son père.

En 1994, avec deux amis, il décide de s’attaquer au répertoire classique et fonde l’Orchestre symphonique kimbanguiste. Il en est le directeur musical depuis juillet 2002, désigné à l’unanimité par les membres du groupe, qui le surnomment affectueusement Papa Armand.

Ils sont femme au foyer, médecin, étudiant, commerçant, banquier

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L’ensemble philharmonique est essentiellement constitué de musiciens autodidactes. "Ils viennent d’univers très variés, et sont femme au foyer, médecin, étudiant, commerçant, banquier… Notre première mission a été de récupérer et de bricoler des instruments puis de transmettre quelques notions de solfège à nos apprentis musiciens, raconte Armand, qui s’est lui-même formé "sur le tas". Mes amis Albert Matubanza et Alphonse N’Nankou N’Goma se sont occupés respectivement des cordes et des instruments à vent. Plus tard, certains membres du groupe ont suivi des cours à l’Institut national des arts pour obtenir un diplôme." Des ateliers avec des musiciens professionnels (notamment ceux d’un orchestre phil­harmonique allemand) sont régulièrement organisés à Kinshasa pour permettre aux instrumentistes de se perfectionner. Le maestro lui-même a suivi plusieurs stages en Europe pour approfondir ses connaissances en solfège, harmonie et direction d’orchestre. Depuis 2003, il a composé trois symphonies : Souffle de vérité, Réconciliation et Mon identité.


Au départ, les musiciens de l’orchestre ont appris "sur le tas". © DR

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"Un, deux, un, deux, partons !" Violons, altos et contrebasses amorcent à peine la cinquième mesure que le chef les interrompt. "Non ! Vous forcez trop le mi", indique-t-il à ses contrebassistes. Dans la salle de répétition, deux ventilateurs tournent. Il fait très chaud ce soir-là à Kinshasa, mais pas assez pour déconcentrer les musiciens, qui suivent religieusement la partition et les conseils de leur directeur musical. Diangienda utilise le plus souvent des images : "Faites comme si des officiers de l’armée entraient et que vous étiez là pour les accueillir en grande pompe." L’orchestre, comme un seul homme, s’exécute avec brio, jusqu’au quatrième et dernier mouvement de la Neuvième Symphonie de Beethoven – le compositeur préféré du maestro -, cette "Ode à la joie", jouée de façon si bouleversante et singulière, qui a contribué à la notoriété de l’OSK. "C’est important d’interpréter exactement ce que le compositeur a voulu pour son oeuvre. C’est pourquoi je dialogue souvent avec mes musiciens, afin de les mettre dans l’état d’esprit qui convient", explique le chef d’orchestre.

Près de vingt ans après le début de l’aventure, l’ensemble compte quelque 200 musiciens et choristes, tous bénévoles, dont la réputation a largement dépassé les frontières du pays. Surtout depuis la sortie, en 2010, de Kinshasa Symphony, le documentaire que Martin Baer et Claus Wischmann leur ont consacré. Il y a deux ans, Armand Diangienda confiait ses voeux les plus chers : voyager à travers le monde avec ses musiciens, diriger un orchestre professionnel et ouvrir une école de musique.

Depuis, l’OSK a été invité à se produire dans plusieurs pays du continent, mais aussi en Europe, en Asie et aux États-Unis. Et après un passage remarqué au Printemps des arts de Monte-Carlo en avril 2013, la princesse Caroline de Monaco s’est rendue à Kinshasa deux mois plus tard pour assister à une nouvelle représentation de la formation, accompagnée par le quatuor à cordes monégasque Monoï Kops.


Armand Diangienda, à l’origine de l’orchestre. © DR

Mettre sur pied une école de musique à Kinshasa

Le 13 novembre, Papa Armand a vu son deuxième voeu s’exaucer puisqu’il a été invité à Séoul pour diriger les musiciens de l’Orchestre symphonique de Corée à l’occasion du 40e anniversaire du festival des arts du pays. Quatre oeuvres ont été présentées : une symphonie composée par deux de ses musiciens, deux autres par de jeunes compositeurs coréens, et une oeuvre populaire coréenne. La consécration pour Diangienda, qui compte bien concrétiser son troisième voeu, celui de mettre sur pied une école de musique "ouverte à tous" à Kinshasa. "Actuellement, les musiciens sont formés chez moi, explique-t-il. Ce cadre ne favorise pas l’intégration de personnes non kimbanguistes, qui peuvent se sentir gênées de se rendre chez un dirigeant religieux, même s’il ne s’agit que de prendre des cours de musique."

En attendant, l’orchestre répète, encore et encore. Mi-décembre, une trentaine de musiciens ont donné une série de représentations en Allemagne. Et le 12 janvier, le maestro a été mis a l’honneur par un grand concert. Il célébrait ce jour-là ses 50 ans et les 20 ans de sa création.

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