En Centrafrique, quel avenir pour le mobile money face au bitcoin ?
L’adoption de la cryptomonnaie, qui repose sur la technologie blockchain, menace une partie des transactions en mobile money. Peuvent-elles coexister ?
Moins de 30 000 dollars. C’est le cours auquel stagne le bitcoin depuis le 10 mai. Dans ce contexte, les autorités centrafricaines sont-elles toujours aussi sereines quant à leur choix d’en faire une monnaie officielle dans le pays ? Impossible de le savoir.
La légalisation du bitcoin pose aussi la question du devenir des opérateurs télécoms, comme Orange ou Telecel, qui détiennent actuellement le monopole des transferts de fonds entre utilisateurs, via Orange Money ou Pâtâ Biani. Peuvent-ils coexister avec l’échange de cryptomonnaie ? Directrice de la zone Afrique francophone chez Binance, une plateforme d’échanges de crypto-actifs basée aux États-Unis, Carine Dikambi estime que oui. « Le mobile money est l’outil principal des échanges locaux, tandis que la cryptomonnaie facilite surtout les paiements transfrontaliers », observe-t-elle.
« Le gâteau s’agrandit »
« La technologie blockchain, sur laquelle repose les cryptomonnaies, permet de contourner les difficultés liées à l’interopérabilité des applications de mobile money et les frais de commissions qu’elles prélèvent », prévient de son côté Sofia El Mrabet, avocate spécialisée dans la fintech et membre de l’incubateur de politique publique, Je m’engage pour l’Afrique (JMA). D’après la spécialiste, la blockchain peut donc « agir comme une chambre de compensation et pallier les défaillances de certains systèmes financiers », tout en menaçant de capter une partie des revenus perçus par les opérateurs traditionnels.
cela va amplifier les transactions par mobile money et booster l’e-commerce
« Je pense que cela va amplifier les transactions par mobile money et booster l’e-commerce, car les Africains seront en capacité de vendre leurs produits partout, d’être payés en crypto et de transformer ces dernières en francs CFA », estime pour sa part Nelly Chatue-Diop, qui assure que « le gâteau s’agrandit ». La start-up que cette ingénieure camerounaise formée à Lyon a créé en 2020, à Douala, pourrait représenter un modèle capable de contenter l’ensemble des acteurs du secteur.
Coffre-fort décentralisé
Baptisée Ejara, la jeune pousse permet à ses utilisateurs d’être les seuls détenteurs de leurs crypto-actifs grâce à un coffre-fort dont ils détiennent la clé. « Nous fonctionnons en partenariat avec des agrégateurs de paiement comme Flutterwave, CinetPay ou Intouch pour permettre à nos clients d’acheter de la cryptomonnaie via des transaction en mobile money », explique l’entrepreneuse qui a récemment levé 2,5 millions d’euros et compte des clients principalement au Cameroun, au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
La Centrafrique sera obligée de mettre en place un système d’ “évangélisation” qui n’a jamais été pratiqué ailleurs
Selon cette ancienne salariée du groupe Casino et de la plateforme de paris en ligne Betclic, dès lors qu’ils possèdent l’interface de programmation (API) adéquat, agrégateurs et opérateurs de mobile money sont capables d’intégrer ce genre de solution et de fonctionner uniquement comme simple moyen de paiement tout en continuant de prélever une commission à chaque transaction.
De son côté, Ejara n’intervient pas dans la gestion des crypto-actifs pour le compte de ses clients – à l’inverse de Binance, laquelle est une plateforme de trading qui, il en a été question récemment, s’expose à des soupçons de transactions frauduleuses. « Nos utilisateurs peuvent transférer leur coffre-fort décentralisé dans d’autres services à tout moment », souligne Nelly Chatue-Diop.
Cash, mobile money et crypto
Grâce à ce type de service, tout Centrafricain serait donc en mesure de transformer son argent liquide en cryptomonnaie, ce qui pose également des problèmes en termes de contrôle du blanchiment d’argent et de prévention du financement de groupes terroristes. C’est pourquoi les experts interrogés prônent pour la définition d’un cadre réglementaire à même de prévenir les dérives qui se multiplient et entachent la réputation de la technologie. « On peut imaginer la mise en place obligatoire d’un protocole de vérification des utilisateurs lorsque ces derniers souhaitent acheter plus de 1 000 euros de cryptomonnaie », illustre ainsi Sofia El Mrabet.
Que va-t-on faire du bitcoin dans un pays où l’on n’a même pas d’énergie pour alimenter nos ordinateurs ? »
Un long chemin reste aussi à parcourir afin que l’usage des transactions en cryptomonnaie soit aussi démocratisé que le mobile money. « En Afrique, le vaste plan d’éducation des populations doit se faire par des déplacements physiques sur les territoires. La Centrafrique sera obligée de mettre en place un système d’ “évangélisation” qui n’a jamais été pratiqué ailleurs car le pays fait face à des contraintes que peu de pays développés connaissent », anticipe Nelly Chatue-Diop.
Les avantages de l’USSD
La perplexité s’exprime déjà en ligne. « Que va-t-on faire du bitcoin dans un pays où l’on n’a même pas d’énergie pour alimenter nos ordinateurs et encore moins de connectivité ? », s’interroge sur la page Facebook de Jeune Afrique Primaël Sodonon. Dans un pays où le taux de pénétration d’internet ne dépasse pas 15 %, notre lecteur souligne, sans le vouloir, l’une des forces du mobile money. En effet, cette technologie repose à l’origine sur la fonctionnalité USSD, qui n’a besoin que d’une connexion GSM pour fonctionner. Sur ce point, et si la décision des autorités centrafricaines se confirme, le mobile money garde donc une raison d’être. Du moins pour le moment…
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