Tunisie : la décoiffante Aïda M’Dalla

Cette pétulante entrepreneuse d’origine tunisienne gère les 35 établis­sements du groupe français Allure, qu’elle a fondé.

Aïda M’Dalla : « Difficile pour un homme d’accepter que je gagne ma vie mieux que lui ». © Camille Millerand pour J.A.

Aïda M’Dalla : « Difficile pour un homme d’accepter que je gagne ma vie mieux que lui ». © Camille Millerand pour J.A.

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 27 janvier 2014 Lecture : 4 minutes.

Il fallait une bonne dose de courage, de pugnacité et de talent pour réussir ce pari fou : bâtir un petit empire de la coiffure à bas prix en Côte-d’Or, département français plus connu pour son vignoble bourguignon que pour ses enseignes de mode. Aïda M’Dalla gère pourtant, non sans fierté, quelque 35 salons sous l’enseigne Allure – déclinée aussi en une gamme de produits dédiés – et manage 150 salariés pour un chiffre d’affaires de près de 8 millions d’euros en 2013.

Rien, ou presque, ne l’y destinait. Née à Dijon il y a trente-neuf ans, elle passe les cinq premières années de sa vie chez ses grands-parents en Tunisie, dans le village de Ghraiba, entre Sfax et Gabès, avant de rejoindre ses parents dans un quartier modeste de Dijon. Deux frères et une soeur agrandiront la famille sur le tard. Le papa est ouvrier dans une usine de la ville, la maman est femme de ménage. Aïda dit n’avoir manqué de rien mais l’école n’est pas son fort. Elle décide rapidement d’arrêter le circuit classique, en classe de cinquième, pour intégrer un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) de coiffure. Le brevet professionnel parachève sa formation. « Je voulais être mon propre patron. J’ai donc décidé d’ouvrir mon premier salon dès 23 ans », raconte la belle quadra.

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Son père dispose de quelques économies sur un plan d’épargne entreprise, qu’il débloque pour aider sa fille : 50 000 francs (7 600 euros). L’aventure peut démarrer. « J’avais déjà le concept et le design : offrir une prestation de qualité à bas prix, ce qui n’existait pas à Dijon et dans la région. Je n’avais plus qu’à décliner mon idée. » Le deuxième salon est ouvert en 2003. À partir de 2005 et de sa troisième implantation, la jeune chef d’entreprise lancera entre cinq et dix salons par an, dont deux en région parisienne depuis peu. Elle vise aujourd’hui 50 enseignes d’ici à cinq ans en développant notamment un système de franchise. « Après je pense arrêter… même si je m’ennuie dès que je n’ai plus d’objectifs », admet-elle.

Tout n’a pourtant pas été simple. Ses origines, ses moyens financiers limités, le fait d’être une femme, autant d’obstacles qu’elle a dû surmonter pour convaincre des banquiers frileux et « misogynes », mais aussi des bailleurs enfermés dans les préjugés. Elle adopte même un prénom différent pour faciliter ses relations, Johanna. « Ma première patronne m’a conseillé de le faire. Je fais de même avec mes employées. Je n’y vois aucun problème. Ce n’est pas renier ses origines. Dans ce monde, il ne faut pas s’apitoyer, il faut avancer. Si choisir un autre prénom peut aider, pourquoi s’en priver ? » argumente-t-elle sans ambages. « Ça finit même par avoir des avantages ! Par exemple quand je réponds au téléphone, suivant le prénom qu’utilise mon interlocuteur, je sais d’emblée si c’est professionnel ou personnel ! »

Ses racines, elle les cultive. Le week-end, elle remise son tailleur et cuisine le couscous pour la famille. « Je suis une vraie maman arabe », dit celle qui n’a pourtant pas d’enfant. Deux à trois fois par an, elle se rend en Tunisie. Proche de sa grand-mère maternelle, elle parle l’arabe et jette un regard acide sur les évolutions du pays de ses parents. « Faire la révolution est une chose ; mais ce qu’on est en train d’en faire pourrait être dangereux pour les libertés, notamment celles des femmes. Il ne faut pas mélanger religion et politique. »

Tour à tour manageuse, directrice des ressources humaines, formatrice… C’est une patronne hyperactive qui aime tout maîtriser.

La condition féminine l’a toujours préoccupée. « L’indépendance financière est la clé, je le répète à toutes mes employées, que je pousse à devenir propriétaires de leur logement dès que possible. Si les choses tournent mal avec leur compagnon, c’est lui qui fait ses valises. » En véritable maman poule, elle coache « ses filles », depuis l’embauche jusqu’à leur évolution au sein de ses établissements. Elle ne tarit pas d’anecdotes : « Le salon que j’ai ouvert à Garges-lès-Gonnesse [Île-de-France] est aujourd’hui dirigé par une jeune fille originaire du Cap-Vert. Elle parlait à peine français quand je l’ai recrutée. Il y a aussi cette employée d’origine turque. J’ai reçu son père qui était désespéré face à l’échec de sa fille. Cette année, elle repasse son diplôme, elle est bien partie pour s’en sortir. »

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Tour à tour manageuse, directrice des ressources humaines, formatrice… Elle est une patronne hyperactive qui aime tout maîtriser. « Mes parents ont toujours senti que j’avais le caractère d’une femme entreprenante. Mais j’ai sacrifié ma vie personnelle, poursuit cette célibataire endurcie. Pour ma mère, c’est le plus dur à accepter. » Trouver un mari est devenu une gageure. « Difficile pour un homme d’accepter ma réussite, le fait que je gagne mieux ma vie que lui… Je ne sais plus dans quel milieu trouver l’âme soeur », constate-t-elle simplement. Une rare parenthèse d’Aïda sur sa vie privée, avant de laisser Johanna, la femme d’affaires, reprendre les rênes.

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