Jérôme Champagne : « Est-il normal que l’Afrique ne compte que 4 sièges au comité exécutif de la Fifa ? »

Ancien collaborateur de Joseph Blatter, le Français Jérôme Champagne a annoncé le 20 janvier sa candidature à la présidence de la Fifa (élection en mai 2015). Une institution qu’il souhaite à la fois plus forte et plus démocratique. Il s’en explique.

Jérôme Champagne, au siège de la Fifa à Zurich, le 15 janvier. © Niels Ackermann/Rezo pour J.A.

Jérôme Champagne, au siège de la Fifa à Zurich, le 15 janvier. © Niels Ackermann/Rezo pour J.A.

Alexis Billebault

Publié le 20 janvier 2014 Lecture : 6 minutes.

Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, et ancien pigiste à France-Football, Jérôme Champagne (55 ans) embrassa par la suite une carrière de diplomate qui le conduisit successivement à Oman, à Cuba, à Los Angeles et au Brésil. Il intégra ensuite le comité d’organisation de la Coupe du monde 1998, en France, puis la Fédération internationale de football association (Fifa), dont le siège est à Zurich, en tant que conseiller, secrétaire général adjoint, délégué aux projets spéciaux, puis directeur des relations internationales (1999-2010). Il est aujourd’hui consultant en football international. Et le premier candidat déclaré à la présidence de l’institution. Avec quels objectifs ?

Jeune Afrique : Vous annoncez votre candidature à la présidence de la Fifa ce 20 janvier à Londres…

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JÉRÔME CHAMPAGNE : Oui, à l’hôtel Grand Connaught Rooms, à l’endroit même où fut fondée la fédération anglaise, en 1863. L’histoire du football s’est souvent jouée en Angleterre, qui est le berceau de ce sport.

Une décision difficile à prendre ?

Une décision vertigineuse, oui ! Depuis deux ans, j’ai beaucoup réfléchi au football du XXIe siècle. En janvier 2012, j’avais envoyé aux fédérations affiliées un document intitulé "Quelle Fifa pour le XXIe siècle ?". J’ai donc estimé que, pour porter ce débat, le mieux était d’être candidat. Je vais écouter les fédérations, connaître leurs besoins, comme je le ferai avec tous les acteurs du football mondial.

Vous êtes le premier à vous déclarer, mais il y a d’autres candidats potentiels. Le président Joseph Blatter, par exemple, pourrait décider de se représenter. Il y a aussi Michel Platini, le patron de l’UEFA, l’Espagnol Ángel Villar et Jérôme Valcke, le secrétaire général de la Fifa…

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Je n’ai pas décidé d’annoncer ma candidature par rapport aux autres candidats potentiels. La campagne s’annonce assez dure, mais je suis là pour défendre mes idées. Le football va devoir faire face à des défis importants : croissance des inégalités, privatisation du jeu, scepticisme vis-à-vis de ses institutions…

Cette croissance des inégalités concerne d’abord l’Europe et le reste du monde ?

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Oui, il y a une inégalité béante entre les continents, voire entre les clubs d’un même pays. Il y a davantage d’argent partout, en Afrique comme ailleurs. Pourtant, l’écart avec l’Europe ne cesse de se creuser. Ce continent reste voué à l’exportation, essentiellement vers l’Europe, les joueurs sont ensuite valorisés. La matière première est en Afrique, la valeur ajoutée ailleurs. Parce que les changements indispensables n’ont pas été entrepris.

Mais les inégalités existent aussi au sein d’un même continent. En Europe, il y a vingt ans, le football était plus homogène. Des clubs néerlandais, norvégiens ou suédois pouvaient encore accéder aux quarts de finale d’une compétition continentale. Aujourd’hui, c’est presque impossible. À l’intérieur d’un même pays – Allemagne, Espagne ou France -, deux ou trois clubs, pas davantage, peuvent encore espérer gagner le titre. Or en Afrique, paradoxalement, on assiste à l’émergence de nouvelles nations de football comme le Cap-Vert, le Niger ou l’Éthiopie

Ce rôle grandissant de l’argent conduit-il inexorablement à la privatisation du jeu ?

Les institutions du football suscitent un scepticisme grandissant. Il y a beaucoup d’allégations pas toujours infondées sur la gestion de l’argent.

Bien sûr. On voit aujourd’hui de grandes sociétés, des fonds de pension, des structures multinationales et même des gouvernements (Qatar, Azerbaïdjan) investir massivement dans le football, ce qui remet en cause l’autorité fédérale. On voit émerger des problèmes inédits qui n’ont plus grand-chose à voir avec le sport.

Et puis il faut bien admettre que les institutions du football suscitent un scepticisme grandissant. Un pour cent des ligues vit bien, les autres souffrent. Il y a beaucoup d’allégations pas toujours infondées sur la gestion de l’argent. La mondialisation est une chance, à condition de ne laisser personne sur le bord du chemin.

C’est pour cela que je souhaite une vraie réforme de la Fifa. Celle-ci doit poursuivre ce qu’elle fait depuis quarante ans – 30 % de son budget est consacré aux programmes de développement -, mais il lui faut s’adapter au monde nouveau, voir le foot tel qu’il est devenu. Et, bien sûr, rééquilibrer la représentation des uns et des autres au sein du comité exécutif et dans les phases finales de la Coupe du monde, où l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale sont sous-représentées.

Est-il normal que l’Afrique, par exemple, compte cinquante-quatre fédérations, mais seulement quatre sièges au comité exécutif ? Je propose par ailleurs d’accorder un siège de plus à ces confédérations pour la phase finale de la Coupe du monde, mais sans rien retirer aux autres.

En somme, vous voulez une Fifa à la fois plus puissante et plus démocratique ?

Oui, et plus volontariste. Soit on continue avec l’élitisme, soit on s’attache à préserver le football mondial. L’élection de mai 2015 devra déterminer ce que va devenir celui-ci d’ici à 2030. À un problème mondial, la solution ne peut-être que mondiale.

L’émergence d’une Fifa à la fois plus puissante et plus régulatrice passe donc selon moi par une refonte du comité exécutif, actuellement tenu par les confédérations. Ce sont les fédérations nationales qui devraient être majoritaires. Cela donnerait au président, qu’elles élisent, une majorité pour appliquer son programme. Je souhaite aussi que les ligues, les joueurs et les clubs aient des représentants au sein du comité exécutif.

L’image de la Fifa n’est pas toujours très bonne, en raison notamment des affaires de corruption

Je ne nie pas ce problème d’image, mais je trouve certaines critiques injustes. Plusieurs membres ont démissionné, mais ils n’avaient pas été nommés par la Fifa puisqu’ils présidaient leurs confédérations respectives [il s’agit de Mohammed Bin Hamman et de Jack Warner, ex-présidents des confédérations asiatique et nord-américaine, et de Ricardo Teixeira, ex-président de la fédération brésilienne, tous impliqués dans des affaires de corruption]. La Fifa verse de l’argent à des programmes de développement. Confrontée à certains problèmes, elle a approuvé un nouveau règlement de gestion des fonds. Joseph Blatter me paraît donc injustement critiqué. J’ai travaillé avec lui de 1999 à 2010, et je peux vous dire qu’il a beaucoup fait pour le bien du football.

La polémique concernant l’attribution au Qatar de la Coupe du monde 2022 risque de s’éterniser. Vous pourriez donc hériter un jour du dossier…

C’est une très bonne chose que la Coupe du monde ait lieu dans un pays arabe et musulman. Souvenez-vous que le Maroc a été candidat à quatre reprises : 1994, 1998, 2006 et 2010… Pour le Qatar, une enquête sur des soupçons de corruption est en cours. Si tout est clean, il faudra y aller. Sinon, des décisions devront être prises. Il y a aussi le problème du calendrier. Il fait très chaud en été dans cette partie du monde, mais peut-être aurait-il été judicieux d’y songer avant le vote… Il est question de jouer l’hiver, ce qui aurait de nombreuses conséquences sur le calendrier international. Le problème n’est pas simple.

Le soutien du roi Pelé

Vainqueur de la Coupe du monde à trois reprises (1958, 1962 et 1970) avec le Brésil et auteur de 1 281 buts en compétition officielle, il passe pour le meilleur footballeur de tous les temps. Edson Arantes do Nascimento, alias Pelé, soutient la candidature de Jérôme Champagne. "Je l’ai connu, explique-t-il, à l’époque [1995-1997] où j’étais ministre des Sports et lui premier secrétaire à l’ambassade de France au Brésil. Nous avons noué une amitié sincère. J’ai suivi son travail à la Fifa, il a toujours rempli sa mission avec dévouement et efficacité. Le football d’aujourd’hui remporte des succès remarquables, mais il est aussi confronté à de graves problèmes qui requièrent une Fifa forte et démocratique. Je ne peux rester en dehors d’un débat aussi important."

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Propos recueillis à Zurich par Alexis Billebault

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