France : la révolution Hollande

On le connaissait hésitant, pusillanime, incapable de trancher. C’est donc un nouveau chef d’État qu’on a découvert lors de sa dernière conférence de presse. Reste à savoir si les engagements de François Hollande pris à cette occasion pourront être tenus.

François Hollande durant la conférence de presse du 14 décembre. © ALAIN JOCARD / AFP ; THIERRY CHESNOT / AFP

François Hollande durant la conférence de presse du 14 décembre. © ALAIN JOCARD / AFP ; THIERRY CHESNOT / AFP

Publié le 21 janvier 2014 Lecture : 7 minutes.

Un "grand tournant", selon les commentaires pour une fois unanimes des partis et des médias sur la troisième conférence de presse de François Hollande ? Bien davantage, en réalité : une véritable volte-face si le chef de l’État fait ce qu’il dit ; et même une révolution culturelle à gauche s’il réussit ce qu’il fait, avec l’approbation sans précédent d’une partie de l’opposition et malgré l’hostilité renforcée de la fraction la plus à gauche du Parti socialiste.

Le nouveau Hollande qu’on a découvert le 14 janvier à la tribune de l’Élysée semblait s’appliquer enfin à lui-même sa promesse du "changement maintenant" : un ton de gravité qui ne s’expliquait pas seulement par la furtive évocation de la "douloureuse" affaire Closer-Trierweiler, et tranchait avec la mine placide ou réjouie de ses précédentes interventions. Mais surtout, un programme dont on ne peut nier la cohérence, et qui, pour la première fois, échappe aux reproches habituels d’indécision aboulique et d’incapacité à trancher. Assorti d’un calendrier à la Mendès France dont il contrôlera personnellement l’application. Avec, pour finir, un débat de confiance à l’Assemblée nationale où le gouvernement engagera à son tour son existence dans la logique du pacte de responsabilité. Jean-Marc Ayrault est donc maintenu à Matignon. François Hollande reprend même à son compte la "remise à plat fiscale" qu’avait annoncée un peu vite le Premier ministre et que le président avait alors retoquée d’un "on verra" typiquement hollandien.

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Un bémol, toutefois, dans la relative aménité des commentaires : le chef de l’État a été beaucoup plus prolixe sur ses nouvelles orientations économiques que sur les moyens qu’il compte mettre en oeuvre pour faire, d’ici à 2017, 65 milliards d’euros d’économies afin notamment de financer l’allègement des charges des entreprises. Une seule certitude, rien de moins qu’historique si la promesse est tenue : il n’y aura pas d’impôts nouveaux. François Mitterrand avait naguère reconnu que "les prélèvements obligatoires [étaient] excessifs", sans mettre fin pour autant à l’exception française de la préférence fiscale, qui engloutit plus de la moitié de la richesse du pays. Vingt ans plus tard, Pierre Moscovici a rendu un immense service aux contribuables en traduisant cette remarque convenue par un "ras-le-bol fiscal" compris de tous. Il légitimait ainsi l’exaspération populaire et obligeait Hollande à dénoncer à son tour "les impôts lourds, trop lourds" qu’il avait lui-même alourdis et qu’il espère maintenant baisser – chiche ! – grâce aux économies.

La gauche de la gauche s’inquiète d’une conversion au social-libéralisme que les amis de Jean-Luc Mélenchon "anathémisent" comme une trahison envers les électeurs. Le président s’est efforcé de tordre le cou à cette fausse querelle d’appellation en s’assumant enfin comme social-démocrate. Enfin, car là encore, il a longtemps louvoyé. Premier secrétaire du PS en 2008, il avait fait adopter une déclaration de principe qui définissait le parti comme "réformiste". Le 16 mai 2013, quelques jours avant de fêter à Leipzig le 150e anniversaire du SPD allemand, il s’interrogeait encore : "Ai-je besoin de me dire social-démocrate ?" Mais à Leipzig, il accomplit ce que ses amis appellent aujourd’hui son coming out, dans une éloquente célébration de la social-démocratie allemande : elle a su transcender les clivages politiques et les calculs électoraux ; elle a abandonné la référence marxiste et la lutte des classes pour l’économie sociale de marché. Et de conclure par un éloge appuyé du réalisme, qui n’est pas un renoncement à l’idéal mais l’un des plus sûrs moyens de l’atteindre grâce au sens du dialogue, à la recherche du compromis, à la synthèse permanente entre la performance économique et la justice sociale.

Aides massives aux entreprises contre de l’emploi, de l’investissement, de la recherche et de l’innovation

Apologie significative d’un pragmatisme qu’il accompagne d’un rejet des idéologies. Et qu’il traduira plus tard dans la composition du gouvernement Ayrault, où les deux principaux ministres, Manuel Valls et Pierre Moscovici, ont fustigé l’un et l’autre dans des livres iconoclastes "le vieux socialisme des croyances obsolètes à jeter aux orties". L’aggiornamento du 14 janvier fixera désormais les nouveaux caps du pouvoir : rétablissement des comptes publics et sociaux par la réduction des dépenses de l’État et des collectivités territoriales ; aides massives aux entreprises sous le contrôle d’un "observatoire des contreparties" chargé de vérifier chaque mois qu’elles respectent leurs engagements en matière d’emploi, d’investissement, de recherche et d’innovation – un donnant-donnant pour un gagnant-gagnant ; libération des contraintes administratives et de leurs quatre cent mille normes ; assouplissement du marché du travail ; réforme durable des retraites ; lutte contre l’échec scolaire qui condamne au rebut deux millions de jeunes, âgés de 15 ans à 30 ans, sans travail ni formation ; généralisation du dialogue social ; restauration de la production industrielle, dont le déclin a fait des ravages dans les petites et moyennes entreprises et provoqué en dix ans la suppression de cinq cent mille emplois.

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Schröder a payé de son éviction du pouvoir le courage avec lequel il avait sacrifié sa carrière aux intérêts de son pays. Mais Angela Merkel a repris l’essentiel de son "agenda" et s’en est trouvée récompensée par le plébiscite de sa réélection. Hollande est persuadé lui aussi que la rigueur, à l’inverse de l’austérité, n’est pas "mortifère" comme le lui prédisent ses détracteurs, et que sa popularité reviendra avec les bons résultats de son pacte. Il sait qu’il joue sa réélection et que, de toute manière, il n’a pas le choix. Il ne peut tomber plus bas dans l’impopularité. Bruxelles le presse d’accélérer les réformes pour lesquelles la France a obtenu un délai de deux ans.

Des réformes justement nommées "structurelles", parce qu’elles toucheront "toutes les grandes politiques publiques". Traduisez : l’ensemble de la nation dans ses modes de vie et ses choix de société. Promises par conséquent à toutes les menaces de jacqueries et autres grèves d’avertissement. Il est significatif que, la veille même de la conférence de presse élyséenne, les taxis aient décidé d’embouteiller la capitale pour maintenir un privilège de concurrence déjà critiqué en… 1960 par le rapport Rueff-Armand.

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Les deux tiers des Français ne croient ni en Hollande ni en sa politique

"La France, aime à dire Hollande, n’est pas le problème, elle est la solution." La France, peut-être : elle en a vu et entendu bien d’autres tout au long de sa tumultueuse histoire. Mais les Français, ces éternels "bonnets rouges" attachés à leurs corporatismes et qui continuent de tout attendre d’un État habitué à vivre au-dessus de ses moyens ? Les sondages confirment sans surprise que, s’ils reconnaissent au nouveau Hollande du courage et un sens de l’avenir, les deux tiers d’entre eux ne croient toujours ni en lui ni en sa politique.

Alexandre Sanguinetti dérida un jour de Gaulle avec cette exclamation : "Si les Français étaient des Allemands, il y a longtemps qu’on le saurait." Le général allait bientôt entendre retentir sur son passage l’inusable revendication : "Charlot, des sous !" Hollande est bien conscient du risque d’affronter cette France dont il déplore les trois blocages : lenteur des décisions, lourdeur des procédures, auxquelles il ajoute "la torpeur des esprits qu’aucune loi ne peut abroger". Il compte sur la rénovation de l’État pour la dissiper. Et il reprend la question que posait déjà Schröder au Bundestag : "Que serons-nous dans dix ans ?" Reste à savoir dans l’immédiat comment réagiront la majorité de l’opinion et sa propre majorité parlementaire quand le pouvoir devra tailler dans sa chair électorale pour obtenir les économies promises. Car il ne suffira plus de racler les fonds de tiroirs. C’est tous les tiroirs qu’il faudra changer, dans une réorganisation générale de l’État "moderne, rapide et efficace" que le président a l’ambition d’instaurer.

Il a en tout cas, sans le vouloir, bien choisi le moment de son grand chambardement : 2014, c’est aussi le quarantième anniversaire du premier déficit budgétaire français…


L’actrice Julie Gayet et François Hollande. © VALERY HACHE THOMAS SAMSON / AFP

Secret d’alcôve, affaire d’État

Valérie Trierweiler sera-t-elle la dernière première dame, comme le souhaite, en public, le député socialiste François Rebsamen et, en privé, nombre de ses pairs ? Ou verra-t-on apparaître une seconde dame, comme le demande ironiquement Alain Juppé. On le saura avant la visite officielle de François Hollande le 11 février à Washington, où l’on doute que sa compagne aille s’exposer aux sarcasmes de la presse américaine. Le président a lui-même intérêt à clarifier au plus vite la situation de son couple. Fort des sondages qui lui reconnaissent à une très forte majorité le droit d’avoir une vie privée, il a quand même répondu lors de sa conférence de presse aux quelques questions qu’il voulait éviter : "Les affaires privées se traitent en privé, dans une intimité respectueuse de chacun…" Sa sécurité reste assurée par ses gardes du corps lors de tous ses "déplacements" : "Je circule où je veux, quand je veux." Pour justifier qu’il ait renoncé à poursuivre Closer, il invoque son immunité institutionnelle, qui aurait créé une distorsion judiciaire à son profit. Habile, mais peu convaincant. Une procédure ne ferait en réalité qu’amplifier les déballages de l’affaire jusqu’à son dénouement, avec le risque d’un recours devant une juridiction européenne. Elle ne mettrait pas fin aux feuilletons d’alcôve, qui rapportent davantage aux médias en augmentation des ventes ou d’audience qu’ils ne leur coûtent en amendes de justice. D’autant que Valérie Trierweiler, elle-même journaliste à Paris Match, laisse échapper des confidences. Selon Le Point, "on" lui aurait reproché sa déprime et son hospitalisation pour "juste une pilule de trop". Qui ça, "on" ? Le président ou son entourage ? De la réponse peut dépendre soit la réconciliation, soit la séparation.

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