Maroc : Benkirane est-il démonétisé ?
Le chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, tarde à donner corps au changement promis en 2011. Et a remis sa casquette de tribun pour se livrer à des joutes oratoires avec l’opposition.
"Certains n’ont pas encore admis que le Parti de la justice et du développement [PJD] dirige le gouvernement. Ils sont encore sous le choc." Devant les militants de l’Union nationale des travailleurs marocains (UNTM, syndicat affilié au PJD) réunis à Bouznika, Abdelilah Benkirane se lâche. Ce 12 janvier, le chef du gouvernement a remis sa casquette de tribun. Et cible, sans les nommer, Driss Lachgar et Hamid Chabat, ses principaux opposants, qu’il qualifie d’"entrepreneurs de la politique". Difficile de ne pas les reconnaître : "Un secrétaire général de parti et un autre secrétaire général doublé d’un leader syndical." Le Premier ministre répond à ses détracteurs, qui, pour mieux le dénigrer, l’avaient réduit la veille, lors d’une cérémonie marquant les soixante-dix ans du "Manifeste de l’indépendance", à un "entrepreneur de la religion".
On se croirait revenu au temps où le PJD était attaqué de toutes parts et rendait les coups comme il le pouvait. En 2003, le parti faisait plutôt penser à un frêle esquif battu par les flots. Affaibli par les attentats du 16 mai, dont certains lui faisaient porter la "responsabilité morale", le navire amiral de l’islamisme laissera passer la tempête, réduisant la voilure lors des municipales de la même année. Dix ans plus tard, le PJD est au gouvernement, à défaut d’être (seul) au pouvoir.
En 2013, les grandes réformes ont été ralenties
Benkirane a su négocier habilement – contre une partie des militants prêts à rejoindre le Mouvement du 20-Février – le Printemps arabe et la réforme constitutionnelle de 2011. Secrétaire général du PJD, élu par ses camarades en 2008 sur une ligne de conquête, il a saisi l’occasion des législatives anticipées de 2011. Les islamistes comme recours ? "Il y a trois ans, leur chef passait pour un gage de stabilité, une bouée de sauvetage pour la monarchie, au moment où la contestation faisait tache d’huile dans le monde arabe. Aujourd’hui, on peut se poser la question : à quoi sert encore Benkirane ?" s’interroge Abdellah Tourabi, spécialiste de l’islam politique.
Le discours de conciliation de benkirane vis à vis du Palais colle de moins en moins avec la réalité.
Bien sûr, le leader islamiste répète, à longueur d’interviews, qu’il n’est pas un opposant au Palais, que sa démarche repose sur la collaboration, qu’il n’y a pas de divergences de vue avec le roi. Mais ce discours de conciliation colle de moins en moins avec la réalité. L’année 2013 a été marquée par un duel usant entre Benkirane et Chabat, alors principal allié du PJD avec ses 60 députés à la Chambre des représentants. Populiste et harangueur, adepte du coup de force, le zaïm istiqlalien est allé crescendo dans la contestation de son alter ego islamiste. Si ce dernier n’a pas cédé, recevant le soutien des deux autres partis de la majorité, puis la bienveillante neutralité du Palais, il a doublement payé le prix de cette guerre de tranchées ; 2013 a été, politiquement, une année blanche : les grandes réformes (compensation, retraites, lois organiques) ont été ralenties. Ensuite, le leader islamiste a dû remplacer le turbulent allié istiqlalien par un non moins gênant soutien du Rassemblement national des indépendants (RNI), rival d’hier.
"En interne, l’entrée en force au gouvernement de Salaheddine Mezouar, qui a obtenu le pôle des Affaires étrangères et celui des ministères économiques, passe mal, confirme Tourabi. Le Palais est sorti renforcé de cette séquence. Sur l’éducation, l’immigration ou le Grand Casablanca, le roi fixe l’agenda." Pour le patron des islamistes, le véritable test aura lieu en 2016 : pour convertir le PJD en parti de gouvernement, il doit gagner les prochaines législatives. Et pour durer, il peut compter sur un gouvernement renforcé par les technocrates du RNI, de nature à rassurer notamment les milieux économiques.
Mohamed El Ouafa est devenue l’arme secrète de Benkirane dans sa guerre contre l’opposition
En bon politicien, Benkirane exploite les divisions de l’opposition. La Koutla a déjà implosé en 2011, les socialistes se cherchent encore avec leur nouveau chef, Driss Lachgar. Quant à Chabat, il a perdu, à court terme, son bras de fer avec les islamistes. Pis, le patron du PJD vient braconner sur les terres de l’Istiqlal. Ainsi, Mohamed El Ouafa est devenu l’arme secrète de Benkirane dans sa guerre contre l’opposition. Ministre des Affaires économiques et générales dans le cabinet Benkirane 2, El Ouafa est un renégat du parti, exclu pour indiscipline. En juillet, il avait été le seul ministre istiqlalien à refuser de démissionner du gouvernement. Pour récompenser cette dissidence, Benkirane l’a maintenu à son poste. "Il a cru pouvoir le reconduire à l’Éducation nationale. Mais après les critiques acerbes du roi contre la politique gouvernementale dans le secteur [en juillet dernier], on lui a fait comprendre que son maintien n’était pas envisageable", rapporte une source proche des tractations. Au final, El Ouafa a été muté et est même plus proche du chef du gouvernement, qui ne cesse de louer ses qualités "extraordinaires". Tout est bon pour gêner aux entournures un rival politique. Même les coups bas.
Hamid, Yasmina et les autres
Assise à la droite de Hamid Chabat, visage fermé, l’ancienne ministre de la Santé, Yasmina Baddou, est venue défendre son honneur lors de la conférence de presse organisée par son parti, l’Istiqlal, le 4 janvier. Mais elle n’a pas parlé, Chabat répondant à toutes les questions qui lui étaient adressées. Devant le Parlement, le 31 décembre, le chef du gouvernement attaquait un "certain parti" dont les membres "possèdent des appartements à Paris", affirmant détenir la preuve de "milliards déposés dans les banques" à l’étranger. Tollé sur les bancs de l’Istiqlal, lequel pressent que l’attaque vise Baddou, citée dans un scandale immobilier depuis des années. Le 9 janvier, le parti a finalement porté plainte contre Benkirane pour "diffamation et non-dénonciation de faits délictueux".
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