Nida Tounes : l’heure de vérité

Luttes internes, démissions, doutes sur l’éligibilité de son fondateur… Le mouvement de Béji Caïd Essebsi est entré dans une zone de turbulences. Mais reste au coude à coude avec Ennahdha dans les sondages.

Béji Caïd Essebsi au Palais des congrès, à Tunis, le 14 janvier. © Hichem

Béji Caïd Essebsi au Palais des congrès, à Tunis, le 14 janvier. © Hichem

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 20 janvier 2014 Lecture : 6 minutes.

Depuis quelques semaines, les déboires s’accumulent pour le mouvement fondé en juillet 2012 par l’ancien Premier ministre de la transition, Béji Caïd Essebsi (BCE). Le 14 décembre 2013, ses représentants ont claqué la porte de la réunion du Dialogue national, quelques heures avant la désignation du nouveau Premier ministre, pour protester contre un diktat d’Ennahdha et le passage en force des médiateurs du quartet (syndicat, patronat, Ordre des avocats, Ligue des droits de l’homme). Le parti avait même dans un premier temps rejeté le choix de Mehdi Jomâa, avant de se raviser pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec l’opinion. À l’automne, quatre députés avaient fait défection. Et il ne se passe pratiquement plus une semaine sans que les échos de ces tiraillements ne s’étalent à la une des journaux.

L’ascension météorique de cette formation composite, qui avait réussi, en quelques mois à peine, à redonner des couleurs à une opposition laminée par le scrutin du 23 octobre 2011, a suscité bien des jalousies. Aujourd’hui, ses détracteurs n’hésitent pas à parler de crise, voire d’implosion. Qu’en est-il réellement ? Pour Mohsen Marzouk, l’un des dirigeants les plus influents du parti, il faut relativiser. "Il y a six mois, nous étions des parias. La troïka [au pouvoir] voulait nous exclure, et ses représentants à la Constituante brandissaient la menace d’une loi, dite "loi d’immunisation de la révolution", pour empêcher nos candidats de se présenter. Or que s’est-il passé depuis les événements du Bardo ? Nida Tounes est revenu au centre du jeu. Ennahdha, notre principal adversaire, nous a reconnus comme interlocuteur et a engagé des concertations, d’égal à égal, pour trouver une issue politique à la crise qui menaçait de faire basculer la Tunisie dans le chaos. Nos revendications majeures ont été satisfaites. Nous avons obtenu le départ du gouvernement d’Ali Larayedh, et la Constitution est maintenant sur le point d’être achevée. Le diagnostic posé dès octobre 2012 par Béji Caïd Essebsi a été validé. Le centre de gravité de la légitimité s’est déplacé de la Constituante vers le Dialogue national. Nous sommes donc passés d’une légitimité électorale à une légitimité consensuelle. Ce n’est tout de même pas rien !"

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L’adhésion de Mohamed Ghariani a semé le trouble

L’organisation interne du parti et le mode de gouvernance solitaire de BCE font néanmoins grincer des dents. La désignation de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, comme responsable des structures est restée en travers de la gorge de certains cadres. L’entrisme des destouriens et des anciens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ex-parti au pouvoir) représente un autre motif de frictions. Officialisée début octobre, l’adhésion de Mohamed Ghariani, un ancien secrétaire général du parti de Ben Ali, a semé le trouble dans les esprits. Beaucoup d’observateurs évoquent une marginalisation de l’aile gauche. Et des élus s’interrogent désormais à voix haute. "La gauche et les indépendants doivent conserver toute leur place au sein de Nida, prévient le député Sélim Ben Abdesselem. Je n’ai pas adhéré au RCD du temps de Ben Ali. Je ne m’imagine pas rester membre d’un parti qui se serait métamorphosé en RCD reconstitué. La diversité et l’ouverture représentent l’ADN de Nida Tounes. Cela ne doit pas changer."

Mohsen Marzouk est d’un autre avis. Pour lui, la crainte d’une mainmise des "ex-RCDistes" est exagérée : "C’est un mythe, un mauvais procès ! Vous ne trouviez aucun RCDiste, je dis bien aucun RCDiste, parmi les membres du bureau politique provisoire installé en octobre 2012. Et ceux que l’on appelle les destouriens ne sont pas représentés au niveau des instances dirigeantes du parti, que ce soit au secrétariat général, à la direction exécutive, ou à la présidence des différentes commissions, c’est-à-dire dans la moelle épinière de Nida Tounes. Il ne faut pas verser dans le simplisme en opposant les identités de gauche à celles de droite. Il y a des débats, qui portent sur la stratégie, la vision du futur. Mais ces clivages ne recoupent pas les clivages hérités du passé. Il n’y a pas de guerre des courants, il y a, plus prosaïquement, des disputes de positionnement, comme dans toute organisation."

La troisième voie entre Nida Tounes et Ennahdha

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L’opposition progressiste parviendra-t-elle à présenter un front uni aux prochaines élections ? C’était l’objectif assigné à l’Union pour la Tunisie (UPT), coalition regroupant Nida Tounes, Al-Joumhouri et Al-Massar. Formée en janvier 2013, elle devait créer les conditions du rassemblement et aboutir à des listes communes aux législatives et à une candidature unique à la présidentielle. Cette alliance a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Al-Joumhouri a annoncé son retrait le 29 décembre. Une rupture qui n’a surpris personne. Le courant n’était jamais passé entre Ahmed Néjib Chebbi, mentor d’Al-Joumhouri, et BCE, obnubilés l’un et l’autre par la course à la présidence. Mais les ambitions rivales n’expliquent pas tout.

Pour Mohsen Marzouk, la crainte d’une mainmise des ex-RDCistes est infondée. © Nicolas Fauque

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Les centristes de l’Alliance démocratique et d’Afek Tounes, deux mouvements issus de scissions avec Al-Joumhouri, ont eux aussi choisi de faire cavalier seul de peur d’être phagocytés par Nida Tounes et d’être transformés en simples partis satellites. Reste à savoir si l’une de ces formations parviendra à incarner la fameuse "troisième voie", entre Nida Tounes et Ennahdha. Cet espace est aujourd’hui occupé par le Front populaire de Hamma Hammami, crédité d’environ 8 % d’intentions de vote dans les sondages, et qui a opéré un rapprochement spectaculaire avec le parti de BCE après l’assassinat de Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013. Cette alliance de circonstance a survécu aux péripéties du Dialogue national. Mais elle ne fait pas l’unanimité parmi les militants des formations respectives. Peut-elle tenir jusqu’aux élections ? La question se pose.

Un dernier paramètre est venu compliquer un peu plus l’équation : la possible inéligibilité de BCE. À l’origine de ce coup de théâtre, le rejet, le 11 janvier, d’un amendement constitutionnel proposé par la Commission des consensus de la Constituante qui supprimait la limite d’âge maximal pour se porter candidat à la présidence de la République. Celle-ci était fixée à 75 ans révolus par l’article 73 du projet de Constitution. Une condition inacceptable pour Nida Tounes, car elle élimine virtuellement son leader, âgé de 87 ans mais favori des sondages. Ennahdha avait accepté de revenir sur cette disposition et donné son accord à l’amendement. Mais celui-ci n’a pu être adopté, n’ayant recueilli que 81 voix au lieu des 109 nécessaires ; 25 députés se sont abstenus et 41 n’ont pas pris part au scrutin. Beaucoup de voix "théoriquement acquises" – celles du camp démocrate – ont fait défaut au moment fatidique. Un coup de Trafalgar qui risque de laisser des traces et de relancer la guerre des chefs dans l’opposition. Avec seulement 8 députés (sur 217), Nida Tounes n’a pas les moyens de faire prévaloir ses vues à la Constituante. Il dépend du bon vouloir de ses alliés supposés…

L’article 73 remis au vote

Le sort de l’article 73 restait en suspens au moment où nous écrivions ces lignes, car faute de consensus sur une formulation, il sera remis au vote une fois l’examen des autres chapitres de la Constitution achevé. Tout reste possible, mais Nida Tounes doit se préparer à une éventuelle disqualification de son leader. Le secrétaire général, Taïeb Baccouche (69 ans), est son suppléant naturel dans l’organigramme. Universitaire et syndicaliste, c’est un homme de convictions aux manières policées mais au caractère trempé. Il n’a pas le charisme de "Si El Béji". Et devra composer avec l’hostilité larvée de l’aile droite du parti. "Si ce scénario que personne ne souhaite venait à se confirmer, il faudrait rebondir très vite, note le député Sélim Ben Abdesselem. BCE devra mener une campagne très offensive en expliquant que ceux qui l’ont éliminé ne sont pas des démocrates, et qu’il faut se rassembler pour les battre."

Les écueils et les défis qui attendent Nida Tounes sont considérables. Le congrès constitutif, attendu pour fin mars ou début avril prochains, sera le rendez-vous à ne pas manquer. S’il est bien négocié, il mettra un terme aux luttes d’influences et clarifiera les rôles et la stratégie. Il pourra donner un nouvel élan et mettre le parti sur orbite en vue des élections. Mal négocié, il pourrait sonner le glas des espoirs d’une alternance politique en Tunisie…

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