Rwanda – Paul Kagamé : « Pourquoi devrions-nous respecter des terroristes ? »

Depuis l’assassinat de l’opposant en exil Patrick Karegeya, le 1er janvier, tous les regards sont tournés vers le président rwandais Paul Kagamé. Lequel répond sans détour aux questions de Jeune Afrique.

Paul Kagamé au siège de la présidence à Kigali, en mai 2013. © Vincent Fournier pour J.A.

Paul Kagamé au siège de la présidence à Kigali, en mai 2013. © Vincent Fournier pour J.A.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 27 janvier 2014 Lecture : 5 minutes.

Rarement chef d’État aura suscité autant de sentiments contradictoires, de passions, de mythes et de fantasmes. Alors qu’il recevait J.A. dans un salon d’Urugwiro Village, cette présidence aux allures de campus hautement sécurisé en plein coeur de Kigali, le 10 janvier en fin de matinée, une folle rumeur enflammait Goma, Bukavu, Lubumbashi et jusqu’à Kinshasa, en RD Congo, de l’autre côté du lac Kivu. Lancée sur les réseaux sociaux par on ne sait qui, elle a fait pendant quelques heures descendre dans les rues des milliers de Congolais en extase, exhibant des cercueils de pacotille et brûlant des drapeaux rwandais : Paul Kagamé est mort ! À Kigali, ce genre d’anecdote fait plutôt sourire, tant les dirigeants locaux, y compris le principal intéressé, y voient la preuve de "l’immaturité" du grand voisin, mais aussi de l’ampleur du fossé d’incompréhension qui sépare toujours les deux pays. Force est également de reconnaître qu’au creux de cette saison chaude, dans cette capitale champignon dont la croissance et la modernisation maîtrisées ne cessent de surprendre les visiteurs, le meurtre, le 1er janvier à Johannesburg, de l’opposant en exil Patrick Karegeya n’émeut ni ne passionne la plupart des Rwandais.

Après tout, l’ancien chef des services de renseignements extérieurs, comme le général Kayumba Nyamwasa, ex-chef d’état-major de l’armée lui aussi réfugié en Afrique du Sud et victime il y a trois ans d’une tentative d’assassinat, avait choisi la voie de l’opposition solitaire et radicale, sans exclure le recours à la violence et au terrorisme. Dès lors, les risques encourus étaient clairs. Mais pour un État et un régime encore très dépendants de l’aide internationale, et pour un homme plus soucieux qu’on le croit de son image, il est impossible de faire l’économie du jugement, souvent biaisé a priori, du monde extérieur. D’où l’explication qui suit. On verra qu’elle ne laisse, comme toujours chez Paul Kagamé, guère de place à l’ambiguïté.

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Jeune Afrique : Qui a tué Patrick Karegeya ?

Paul Kagamé : Dans le fond, peu m’importe. Dès la première minute, sans qu’aucune autre piste n’ait été explorée et sans attendre la moindre conclusion de l’enquête de police, la réponse des médias est de toute façon la même : le coupable, c’est Kagamé, il tue ses opposants, il a l’habitude de le faire.

En le désignant, lui et d’autres, comme ennemi de l’État, vous en aviez fait une cible…

Ce sont eux qui se sont déclarés ennemis de l’État ! Ils l’ont dit publiquement, dans la presse, devant les caméras, depuis l’Afrique du Sud où ils se trouvent, sans aucune ambiguïté, et seuls quelques rares médias ont eu l’honnêteté de le rappeler : pour eux, le seul moyen de parvenir à leurs fins, c’est la violence armée (Le New York Times du 2 janvier rappelle notamment que Patrick Karegeya avait déclaré à propos de l’élection présidentielle d’août 2010, laquelle fut précédée par une série d’attentats à la grenade à Kigali : "Le changement ne pourra survenir que par des moyens violents, pas par des élections."). Et ils sont passés à l’acte en commanditant des campagnes de terreur, des jets de grenades dans des lieux publics ici au Rwanda, qui ont fait des morts et des dizaines de blessés. Ce qui est extraordinaire dans cette affaire et révélateur du "deux poids, deux mesures" avec lequel l’Occident prétend juger l’Afrique, c’est que ces gens-là, qui prônent la violence et s’associent avec le terrorisme, sont considérés comme de simples opposants politiques. Quand il s’agit du Rwanda, l’injonction qu’on nous donne est la suivante : ces individus qui vous combattent et qui ont juré votre perte par tous les moyens, s’il vous plaît, protégez-les, respectez-les, ne touchez pas à un cheveu de leur tête, rien ne doit leur arriver. En résumé, seules les grandes puissances ont le droit et l’intelligence de dire qui est terroriste et qui ne l’est pas, qui mérite son sort et qui doit être épargné. Je suis désolé, mais je n’accepte pas cette logique.

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Si l’on vous suit, cette opposition peut donc être qualifiée de terroriste…

Nous disposons de tout un faisceau d’informations crédibles et concordantes émanant de nos services de renseignements, de gens issus de l’opposition et qui nous ont rejoints, ainsi que des procès-verbaux d’interrogatoires de ceux que nous avons arrêtés et déférés à la justice après les attentats qu’ils ont commis. Leur objectif est clair : faire en sorte que les commémorations du vingtième anniversaire du génocide en avril prochain soient parasitées, brouillées, voire occultées par toutes sortes de messages contradictoires ou négationnistes et d’actes terroristes. Nous savons, et les services de renseignements occidentaux ou de certains pays africains ne l’ignorent pas – même si, curieusement, ils ne font rien face à cela -, que dans ces milieux revanchards il est également question de plans d’élimination physique de dirigeants rwandais. Nous savons tout cela. Rien pourtant ne pourra entraver la volonté de notre peuple, ni sa résilience, ni sa détermination à avancer sur le chemin du progrès.

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Des militants du RNC brandissent le portrait du colonel Karegeya devant l’ambassade
du Rwanda à Pretoria, le 9 janvier. © Alexander Joe/AFP

J’en reviens à ma question initiale : qui a tué Patrick Karegeya ?

À ceux qui posent cette question, tout en sachant parfaitement que ce genre de personnage s’est fait l’avocat de la violence et du terrorisme, je réponds ceci : le terrorisme a un prix, la trahison a un prix. On est tué comme on a soi-même tué. Chacun a la mort qu’il mérite.

Le Rwanda a décidé d’envoyer un contingent au sein de la Misca en Centrafrique. Qui faut-il blâmer pour le drame que vit ce pays ?

Si je vous disais que l’Afrique et les Africains sont responsables de leurs échecs, je n’aurais raison qu’à moitié. Dans le cas de la Centrafrique aujourd’hui, du Mali ou d’autres hier, il est évident que les anciennes puissances coloniales ont leur part de responsabilité. Votre interrogation doit donc porter sur la globalité du problème : qui, en Afrique et à l’extérieur de l’Afrique, est à blâmer ?

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