Présidentielle algérienne : les généraux rentrent dans le rang
Remaniée en profondeur, la vieille garde de l’armée algérienne a été peu à peu écartée du jeu politique. Et si, pour le choix du futur président, les généraux n’avaient plus leur mot à dire ?
Algérie : le grand saut dans le vide
C’était en octobre 2003. Dans un pamphlet d’une rare violence, Khaled Nezzar, l’ancien ministre de la Défense, expliquait comment l’armée avait choisi de faire élire Abdelaziz Bouteflika en avril 1999 : "Parce qu’il était le moins mauvais des candidats." Dix ans plus tard, aucun haut gradé n’oserait s’exprimer ainsi. Non par manque de courage, mais parce que l’âge d’or des généraux semble révolu. De là à supputer que l’armée n’aura pas son mot à dire…
Au cours des trois mandats de Bouteflika (1999, 2004, 2009), premier président civil depuis la destitution d’Ahmed Ben Bella, en juin 1965, la composition des centres de décision a largement évolué et l’institution militaire a connu de profondes mutations.
Propulsé par les généraux au palais d’El-Mouradia, Bouteflika, qui refusait d’être un "trois quarts de président", a su écarter ses adversaires dans l’armée et promouvoir des fidèles – souvent issus de sa région, l’Ouest – afin de renforcer ses pouvoirs et de devenir un "hyperprésident".
Toufik pèse-t-il sur la désignation du successeur de Bouteflika ?
Une nouvelle génération d’officiers, formée dans de prestigieuses académies militaires occidentales, a été promue à des postes à responsabilité, poussant vers la sortie la vieille garde, maquisarde durant la guerre de libération et sortie des écoles de l’ex-URSS. Tout un bataillon de colonels et de généraux ont été écartés, mis à la retraite. D’autres se sont reconvertis dans les affaires. D’autres enfin sont décédés. Plus instruits, et dépourvus de légitimité révolutionnaire, les nouveaux s’intéressent beaucoup moins à la politique que leurs aînés.
Autre mutation majeure : l’éclatement du quarteron des généraux – Mohamed Lamari, Larbi Belkheir, Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufik – qui faisaient et défaisaient les présidents. Lamari et Belkheir ont rendu l’âme. Nezzar, qui fait l’objet de poursuites judiciaires en Suisse pour "crimes de guerre", n’a plus aucune influence. De ce cabinet informel, il ne reste que Toufik, inamovible chef des services secrets depuis 1990.
À 75 ans, Toufik, que la vox populi surnomme Reb Dzaïr ("le dieu de l’Algérie"), exerce toujours une influence considérable dans tous les rouages du système.
À 75 ans, celui que la vox populi surnomme Reb Dzaïr ("le dieu de l’Algérie") exerce toujours une influence considérable dans tous les rouages du système. Le mystère qui l’entoure est renforcé par le fait qu’on ignore tout de sa vie, et même son visage – on ne connaît qu’une seule photo de lui, prise il y a vingt ans.
Loyal envers Bouteflika, dont il a soutenu la réélection en 2004 et en 2009, Toufik pèsera-t-il sur la désignation du successeur ? Si le général et son Département du renseignement et de la sécurité (DRS) gardent une puissance redoutable, ils sortent néanmoins fragilisés par les remaniements en cours depuis septembre 2013. Le pôle judiciaire des services a été dissous, la communication et la sécurité intérieure ont été transférées à l’état-major. Le rôle du DRS dans la vie publique suscite aujourd’hui de vifs débats dans le pays alors que personne n’osait l’évoquer jusqu’ici.
Le lobby de l’argent fait concurrence à celui des militaires
Enfin, l’état-major ne manifeste plus aucune hostilité à l’égard du chef de l’État. Alors que Mohamed Lamari ne faisait pas mystère, en 2004, de son opposition à un deuxième mandat de Bouteflika – il avait discrètement incité Ali Benflis à se lancer dans la course -, son successeur, Gaïd Salah, 74 ans, apporte un soutien indéfectible au président sortant. En septembre 2013, Salah a été nommé au poste de vice-ministre de la Défense, qu’il cumule avec celui de chef d’état-major de l’armée. Une promotion qui a renforcé son pouvoir et lui permettrait de s’opposer à l’application de l’article 88 de la Constitution, qui prévoit la destitution du président en cas de maladie grave et handicapante.
Par ailleurs, le lobby de l’argent et des hommes d’affaires, dont une partie gravite autour du cercle présidentiel, fait aujourd’hui concurrence à celui des militaires. Est-ce la fin des "généraux faiseurs de rois" ? "L’armée ne s’opposerait pas à Bouteflika si celui-ci venait à briguer un nouveau mandat", analyse prudemment l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi. Mais même s’il venait à jeter l’éponge, l’armée ne devrait désormais plus pouvoir imposer un successeur.
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