Ce jour-là : le 27 juin 1977, Djibouti proclame son indépendance
Il y a quarante-cinq ans, l’ex-Territoire français des Afars et des Issas se libérait du joug de la puissance coloniale. Retour sur les premières heures de cet État que beaucoup pensaient condamné.
Ce 27 juin, la République de Djibouti célèbre le 45e anniversaire de son indépendance. Et c’est déjà presque un exploit. « Des lendemains incertains », choisissait de titrer Jeune Afrique dans son numéro de mai 1977, tandis que Le Monde s’interrogeait ouvertement sur la viabilité « de la colonie la moins attrayante de la France ». Peu d’observateurs prévoyaient à cette époque un avenir autre que funeste à ce pays grand comme la région normande et dépourvu de toute richesse naturelle autre que son soleil écrasant et son emplacement géographique. « Un pays si désertique que même le chacal faisait son testament avant de le traverser », rappelait Ismaël Omar Guelleh (IOG), le 26 juin, en inaugurant le Mémorial du barrage de Balbala devant le gouvernement djiboutien au grand complet.
Un événement de taille pour le pays qui dévoile ainsi le premier lieu de mémoire consacrée à sa courte histoire. Une manière de clore définitivement le passé colonial, « pas pour le ressasser, mais pour ne pas l’oublier, afin de mieux le transmettre », a expliqué le chef de l’Etat djiboutien, après la visite du mémorial, consacré à la ceinture de barbelés électrifiés construite sur 14,5 km, avec miradors et champs de mines, pour fermer la péninsule de Djibouti, son port et sa ville « blanche ».
Construits sur l’emplacement d’une ancienne guérite, entre la ville de Balbala et la frontière avec la Somalie, les deux bâtiments de ce mémorial, flanqué d’un mirador et d’un poste de contrôle français reconstitué, enfermeront à terme une bibliothèque ainsi que les archives nationales consacrées à la période coloniale du pays. Érigé au lendemain de la visite du général de Gaulle en août 1966, reçu à coups de pancartes et de banderoles indépendantistes, le « barrage de la honte » n’a été démantelé qu’au soir du 27 juin 1977. Ce qui correspond « aux dix années les plus rudes et les plus violentes qu’a connues notre pays avant son indépendance », a rappelé IOG.
Car si le pays a réussi à déjouer tous les pronostics mortifères qui entouraient sa naissance, « il le doit à ses enfants, héritiers des valeurs de liberté et de souveraineté chères à Djibouti », estime le président qui n’a pas oublié les vives revendications des puissants voisins éthiopiens et somaliens sur son pays. Dès 1966, le Négus Haïlé Sélassié rappelait au président Charles de Gaulle, alors en visite à Addis-Abeba, que Djibouti « allait naturellement revenir à l’Éthiopie », alors que le Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS) rêvait de ramener sa cinquième branche à l’étoile du drapeau somalien. En février 1976, la prise d’otages de Loyada perpétrée par des militants du FLCS se solde par la mort de 2 des 31 enfants français présents dans le bus, ainsi que par celle des 7 membres du commando et de quelques soldats somaliens. Elle précipite le départ des Français. Un peu avant minuit le 27 juin 1977, le président Valéry Giscard d’Estaing annonce depuis son bureau de l’Élysée « qu’à la place de l’ancienne Côte française des Somalis, devenue le Territoire français des Afars et des Issas, va naître l’État indépendant et souverain de la république de Djibouti », entérinant ainsi la décision adoptée à 98,7 % quelques semaines plus tôt par le peuple djiboutien lors du référendum du 8 mai.
En claquant la porte
Le jour J, rien n’est prêt ou presque. La France part brusquement, comme vexée, en claquant la porte, à l’exemple du patron de l’ORTF local qui remet les clés des locaux de la radio nationale au dernier Djiboutien qu’il croise sur le tarmac de l’aéroport, juste avant de s’embarquer pour Paris. Bien sûr, elle lègue au pays une nouvelle capitale, Djibouti-Ville, choisie en 1888 pour sa rade mais à l’écart des grandes routes caravanières traditionnelles. Elle laisse aussi un port, alors le troisième en France derrière Marseille et Le Havre et qui, à lui seul, justifie la présence française depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869 ; une voie ferrée qui, depuis 1917, le raccorde à la capitale éthiopienne pour constituer le poumon économique du territoire ; et quelques kilomètres de route bitumée qui relient Djibouti à la station d’Arta, où aiment aller se rafraîchir les ressortissants français.
La France laisse surtout derrière elle un contingent de 2 900 soldats, à la suite des accords de défense négociés durant les dernières semaines avec les nouvelles autorités, qui lui permet de maintenir son influence le long d’une route maritime par laquelle circulent déjà 25 % du commerce mondial et 15 % du transit pétrolier annuel.
Cette présence militaire française représente aussi une « assurance-vie » pour le jeune État, alors que l’Éthiopie et la Somalie massent leurs troupes aux frontières, en préparation à la guerre de l’Ogaden, qui sera déclarée moins de quinze jours après l’indépendance de Djibouti. Malgré la menace, les Djiboutiens n’autorisent l’installation de cette base qu’à la condition de voir leur monnaie continuer d’être rattachée au dollar, comme c’est le cas depuis 1949, au lieu d’entrer dans le panier commun du franc CFA comme le souhaite l’ancienne puissance – ils ne veulent pas des dévaluations successives qu’a connues le franc depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Activisme diplomatique
Le pays est économiquement exsangue, et la guerre qui gronde dans la sous-région va sérieusement contracter l’activité du port et de sa voie ferrée. Sans revenu pendant de longs mois, Djibouti boucle en 1977 un premier budget constitué à 85 % de contributions internationales.
Le front commun présenté au moins jusqu’en 1978 par le président Hassan Gouled Aptidon et son Premier ministre, l’Afar Ahmed Dini Ahmed, permet d’éviter le conflit ethnique et la « libanisation » du pays que beaucoup lui promettent, tout en jetant les bases d’une identité djiboutienne. Reste encore à asseoir l’existence même de la petite République en trouvant sur la scène extérieure les soutiens qui l’aideront à rompre son isolement diplomatique, tout en l’aidant à faire face à ses urgences économiques.
Ce n’est pas un hasard si la date du 27 juin a été retenue. Le « père de l’indépendance », Hassan Gouled Aptidon, veut en effet voir son pays devenir le 49e membre de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dès la réunion de l’institution prévue trois jours plus tard à Addis-Abeba. Une fois l’adhésion validée, le président djiboutien part au Caire, siège de la Ligue arabe, où il sait pouvoir compter sur le soutien des Saoudiens désireux de s’implanter dans la Corne. Quelques mois plus tard, Djibouti devient le 21e membre de l’organisation, le premier non arabe.
Îlot de stabilité
En quelques mois, l’arrivée des pilotes égyptiens et des instituteurs tunisiens permet la réouverture des bassins portuaires et des écoles. Ce soutien financier et technique arabe se révèlera sans faille. C’est Ryad qui réglera la facture de « la route de l’unité » reliant Djibouti-Ville à Tadjourah, réalisée en 1988 par des ingénieurs yougoslaves. Dubaï, lui, fera définitivement rentrer le port de Djibouti dans l’ère maritime moderne en livrant clé en main le terminal à conteneurs de Doraleh à la fin des années 2000. Cet activisme diplomatique impulsé par le premier président djiboutien est perpétué par son successeur à partir de 1999, Ismaïl Omar Guelleh, son ancien chef de cabinet. Ce dernier tirera le meilleur parti d’une conjonction d’évènements internationaux qui vont se succéder pour placer son pays au centre de toutes les attentions diplomatiques et militaires. De la lutte contre la piraterie et le terrorisme international, à l’émergence économique d’un marché éthiopien enclavé, tout le monde semble avoir une bonne raison de s’installer dans le pays.
À commencer par la Chine, qui, depuis dix ans, y a investi plus d’une dizaine de milliards de dollars pour en faire sa porte d’entrée maritime sur le continent. Définitivement unifié depuis 2001 et la signature de l’accord de paix signé entre les communautés afar et issa après la guerre civile qui a dévasté le pays entre 1991 à 1994, Djibouti apparaît aujourd’hui, paradoxalement, comme le seul îlot de stabilité dans une région en crise. De quoi attirer les investisseurs du monde entier et entretenir le rêve de la petite République de devenir « le Singapour de l’Afrique ». En espérant qu’il ne se réalise pas au prix de sa souveraineté.
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