Algérie : les confidences de Tebboune
Le chef de l’État entame une série de consultations avec des acteurs politiques et des membres de la société civile. L’occasion de dresser le bilan de son action et d’esquisser ses priorités pour la suite de son mandat qui doit s’achèver en décembre 2023.
En janvier 2020, lorsqu’il reçoit des figures politiques pour des discussions informelles, Abdelmadjid Tebboune vient tout juste de boucler le premier mois de son premier quinquennat. Fraîchement porté au pouvoir après une élection largement boycottée par les électeurs, il confie à ses interlocuteurs son souhait de ne pas s’éterniser sur le fauteuil présidentiel comme ses prédécesseurs, ainsi que sa volonté de faire de son mandat celui d’une transition démocratique apaisée et ordonnée.
Deux ans et demi plus tard, c’est une sorte de bilan, mais aussi de programme, qu’il esquisse dans un nouvel exercice de consultations avec des personnalités du monde politique et de la société civile. « Le président veut défendre et expliquer ce qu’il a fait, glisse un de ses invités. Il s’est montré disponible et veut convaincre. » Au cours du mois de mai, il a ainsi reçu Soufiane Djilali (secrétaire général de Jil Jadid), Abdelkader Bengrina (ex-candidat à la présidentielle), Abdelaziz Rahabi (ex-ministre et ambassadeur) et Abdelaziz Belaïd (président d’El Moustakbal).
Bilan
Justice et répression, liberté de la presse, économie, corruption, bureaucratie, réformes sociales, relations internationales, exercice du pouvoir… Le chef de l’État n’élude aucune question. En présence de son chef de cabinet, il écoute ses interlocuteurs et tente de les convaincre que son bilan n’est pas aussi médiocre que ne le pense une partie de l’opinion.
Après une maladie qui l’a éloigné du pays et des affaires entre octobre 2020 et février 2021, et qui a failli lui coûter la vie n’était l’intervention miraculeuse de médecins allemands, dans un contexte de pandémie et de crise sociale et dans l’état de déliquescence dans lequel il a trouvé les institutions à son arrivée au pouvoir, ce bilan, juge-t-il lui-même, est plus qu’honorable.
Répression
Un des dossiers qui marque, et marquera encore sa présidence, est celui de la justice, des libertés publiques et des détenus d’opinion. La répression de la contestation du système a débuté avant son accession au Palais d’El Mouradia, sous l’intérim d’Ahmed Gaïd Salah, ancien patron de l’armée et véritable fondé de pouvoir après la chute de Abdelaziz Bouteflika en avril 2019.
Elle n’a pas connu de répit sous la présidence Tebboune, tant et si bien que le pays compte aujourd’hui des dizaines de prisonniers liés au Hirak, au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) ou encore à l’organisation islamiste Rachad. Cette dernière, ainsi que le MAK, a été placée sur la liste des organisations terroristes par le pouvoir en mai 2021.
Certes, des prisonniers ont été graciés au cours des derniers mois, mais le pouvoir algérien est régulièrement mis en cause par des ONG qui dénoncent la répression, la détention de prisonniers d’opinions et ses conditions. La mort, le 24 avril dans un hôpital d’Alger, du militant Hakim Debbazi placé sous mandat de dépôt pour un post sur Facebook, aura illustré une fois encore le système répressif mis en place depuis la chute de Bouteflika.
« Il n’y a aucun prisonnier d’opinion », soutient pourtant le chef de l’État face à ses interlocuteurs. « Ceux qui sont en prison sont poursuivis ou condamnés pour des délits de droit commun et pour subversion », ajoute-t-il. Fermez le ban. Le président prendra-t-il de nouvelles mesures d’apaisement ? C’est le souhait exprimé par Abdelaziz Rahabi, ex-ambassadeur, reçu le 11 mai au siège de la présidence.
Le pouvoir algérien continue d’être mis en cause par des ONG qui dénoncent la répression
Il espère que la commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance le 5 juillet sera l’occasion d’une libération des détenus d’opinion et du Hirak. « C’est une opportunité pour protéger les libertés individuelles et collectives, et se réconcilier avec notre histoire de pays d’hommes libres », affirme l’ancien diplomate.
Biens mal acquis
Devant ses invités, Abdelmadjid Tebboune évoque le dossier des oligarques et des anciens responsables, sans les désigner nommément, qui croupissent en prison après avoir été lourdement condamnés dans des affaires de corruption, de blanchiment et d’abus de fonctions.
Il confirme que des approches ont bien été tentées en leur direction pour un accord qui consisterait à négocier des remises de peines en échange de la restitution des biens mal acquis. « Ils n’ont pas joué le jeu et ne veulent pas jouer le jeu », martèle-t-il. C’est que les montants de ces biens mal acquis donnent le tournis, même s’ils sont évalués à la louche.
Lors d’un entretien accordé en juin 2021 à la chaîne qatarie Al-Jazeera, le président expliquait que 30 % des 1 000 milliards investis entre 1999 et 2019 sous le régime de Bouteflika ont fait l’objet de surfacturations. Récupérer cet argent, dont une grande partie est dissimulée à l’étranger, est quasiment mission impossible pour la justice algérienne.
Liberté d’expression
Les menaces sur la liberté de la presse et les harcèlements contre des journaux ? Là encore, le président algérien se défend, non sans une pointe d’agacement. La presse est libre, les journaux ne font pas l’objet de pression, selon lui. Il évoque toutefois, sans les nommer, le cas de quelques titres nationaux qui selon lui étrillent inlassablement les autorités avec des jugements, des analystes et des appréciations négatives.
Il met ses interlocuteurs au défi de lui citer le cas d’un journaliste jeté en prison pour ses opinions. Il fait au passage montre de sa volonté de réformer la loi sur l’audiovisuel afin d’obliger les télés privées installées à l’étranger à se domicilier en Algérie.
Depuis son arrivée au pouvoir, la vie politique en Algérie a pris les allures d’un encéphalogramme plat. L’Assemblée nationale ronronne, les partis d’opposition ont déserté la scène et la pandémie a achevé d’éteindre l’activité partisane.
Il met ses interlocuteurs au défi de lui citer le cas d’un journaliste jeté en prison pour ses opinions
Hormis les sorties médiatiques du chef de l’État, le champ politique est en jachère. Tebboune fait part de son intention de lancer un dialogue inclusif avec les partis, de créer un minimum de concertation avec la classe politique et d’élaborer un consensus national sur la politique intérieure.
Dans quel but ? « Il veut faire un tour d’horizon, faire participer des acteurs nationaux aux futures décisions, note un de ses invités. Pour autant, il n’a pas de projet clair et défini. Sans doute celui-ci se dessinera-t-il à l’issue de ces consultations et après réflexion. »
L’intégrité plutôt que la compétence ?
Le chef de l’État ne cache pas ses préoccupations quant au climat des affaires, aux lenteurs bureaucratiques, à l’ampleur de la corruption qui a gangrené les institutions à tous les niveaux ainsi qu’aux blocages dans les centres de décision. « Il voit un problème de ressources humaines à tous les échelons », observe un de ses interlocuteurs. « J’ai misé sur des gens intègres et propres, dit-il. Si j’avais cherché des compétences, je serais allé chercher les anciens cadres du régime. »
Pour Tebboune, les chantiers économiques sont d’autant plus cruciaux que l’État sort d’une période de déstabilisation et paie encore la gabegie héritée de l’ancien régime. « À son arrivée à la présidence, il a trouvé un champ de mines partout où il a posé le pieds », raconte l’un de ses visiteurs.
Pour lutter contre la corruption et les circuits informels, il s’est attaqué au dossier des importations et leurs corollaires que sont les surfacturations et la fuite des capitaux. C’est ainsi que, plaide-t-il encore, la facture des importations est passée de 60 milliards de dollars à 35 milliards de dollars au cours des deux dernières années.
Pour continuer de la réduire, il souhaite encourager la production nationale, mettre en place un nouveau code de l’investissement et débloquer des projets figés depuis quatre ou cinq ans. En dépit de tous ces blocages, il juge que son gouvernement a réussi à lancer un millier de projets qui ont permis la création de dizaines de milliers d’emplois.
Il s’est attaqué au dossier des importations et des surfacturations
La pandémie qui a frappé de plein fouet l’économie nationale ainsi que la chute des prix du pétrole – avant leur remontée spectaculaire en raison de la guerre en Ukraine – ont donné un coup d’arrêt à ses réformes et lourdement grévé le pouvoir d’achat des Algériens ainsi que la pérennité de centaines d’entreprises publiques et privées « Il a conscience que la situation sociale est difficile, avance un de ses interlocuteurs. Il n’exclut pas que les difficultés sociales puissent être manipulées pour créer des tensions. »
Ciblage
Pour prévenir toute flambée de mécontentement, il a mis en place en février 2022 une allocation chômage de 13 000 dinars par mois (environ 82 euros). « Ce geste a été très bien accueilli par les Algériens », se félicite un proche du président.
Aussi, celui-ci espère d’abord calmer le front social avant d’entreprendre de nouvelles réformes économiques, particulièrement celles qui touchent au dossier des subventions qui coûtent au budget de l’État l’équivalent de 17 milliards de dollars par an. Là encore, le chantier est tellement délicat qu’il nécessite de la prudence, de la communication et de la pédagogie.
Si la libération des prix des produits de première consommation est devenue une nécessité économique, il est impératif de procéder à un ciblage dosé afin de ne pas léser les couches les plus défavorisées de la société. Vaste chantier que les autorités n’ont jamais vraiment osé entreprendre de peur de mettre en péril la paix sociale. À mi-chemin de la fin de son mandat, Abdelmadjid Tebboune aura-t-il le volontarisme qui a manqué à ces prédécesseurs ?
Relativement satisfait
À 79 ans, il y a sans doute pour Abdelmadjid Tebboune un avant et un après cette maladie qui a nécessité une longue hospitalisation et convalescence en Allemagne. Cette épreuve l’a-t-elle fait réfléchir à l’exercice du pouvoir et à son avenir politique, lui qui disait ne pas vouloir s’accrocher au fauteuil présidentiel ?
L’homme ne se confie pas sur ces questions, mais ses interlocuteurs admettent qu’il est relativement satisfait de son action tout en étant conscient que des difficultés peuvent surgir à tout moment. « Il veut remettre le pays sur les rails, concède un de ses invités. Il reconnaît que la tâche est difficile mais que les choses avancent dans le bon sens. Il veut au moins réussir son mandat. »
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