Akazu
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 20 janvier 2014 Lecture : 2 minutes.
De Gbadolite à Bab el-Aziziya, des palais de Bagdad à Bangui la Roquette, les résidences des chefs d’État déchus sont toujours les premières à subir la vengeance prédatrice des foules. Pillées, saccagées, profanées, désossées jusqu’au dernier carreau de marbre, dans un climat d’orgie hystérique qui en dit long sur la versatilité humaine et sur l’amour des peuples pour leurs despotes.
Lorsqu’une après-midi de janvier un ami rwandais m’a proposé de visiter la villa qu’occupaient l’ancien président Habyarimana et sa famille à la périphérie de Kigali, je m’attendais donc au pire ou au déjà-vu : des murs calcinés envahis d’herbes folles. Premier choc. Tout ici est intact, comme un pan de l’Histoire brutalement figé au soir du 6 avril 1994, quand un missile a pulvérisé le Falcon présidentiel à la verticale du jardin de la résidence, ouvrant les portes de l’enfer. On entre dans ce sanctuaire glacé après s’être déchaussé. Un salon à gauche, puis le bureau du chef. Au mur, son portrait officiel. Batterie de téléphones en bakélite, meubles et fauteuils années 1980, tableaux chinois et nord-coréens aux murs. On pénètre dans la salle à manger : immense table entourée de chaises, plus loin les cuisines, congélateurs et fours à micro-ondes première génération. Là-bas, le salon privatif de "Madame Agathe", l’épouse de Juvénal Habyarimana, avec ses lourds canapés verdâtres, où se tenaient les réunions de l’Akazu ("la petite maison"), le noyau dur du clan familial. Si les murs parlaient, quels mots de haine pourraient-ils encore renvoyer ? Ici, la pièce discrète, une table, deux chaises, où le président recevait ses collaborateurs pour leur confier des missions secrètes ou les châtier lui-même quand ils avaient failli. Une fois l’interrogatoire terminé, une petite salle de bains était prévue pour, dit-on, la remise en forme des visiteurs les plus abîmés. La visite continue. Le sauna. Le night-club au sous-sol, avec ses portes capitonnées et ses relents de musique zaïroise. Et puis l’étage.
Une fois grimpés les escaliers munis de détecteurs de présence, on s’immisce dans le domaine de la paranoïa. Tout est sombre, panneaux de bois foncé et ouvertures minimales. La chambre du couple avec son immense coffre-fort, la salle de bains blindée en cas d’attaque, le râtelier où le président rangeait ses fusils d’assaut, et les portes dérobées, ouvertes sur l’irrationnel. Encore un escalier, étroit, en colimaçon, et l’on débouche sur la chapelle privée d’Agathe, que seul le pape Jean-Paul II fut autorisé à visiter – et à bénir. Juste à côté, sous la soupente, un réduit plongé dans le noir : ici, Habyarimana recevait ses devins. Étrange cohabitation… Dehors, dans le parc entretenu au cordeau, non loin du court de tennis, de la piscine et de l’enclos de pierraille où se prélassait un python de quatre mètres, derrière un petit muret, reposent les débris de l’avion présidentiel : un réacteur, l’empennage, des morceaux d’ailes, des éclats de fuselage. Mon guide m’indique l’endroit précis où sont tombés les corps de Habyarimana, de son homologue burundais Ntaryamira et des pilotes français. Il était 20 h 27 ce 6 avril 1994, il y a presque vingt ans. Le génocide des "cafards" – ainsi les extrémistes du "Hutu Power" appelaient-ils les Tutsis – pouvait commencer au pays des mille collines et des mille fosses communes.
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