Mike Tyson : enfer et rédemption d’un guerrier du ring
Drogue, sexe, alcool… L’ancien champion de boxe Mike Tyson raconte tout – ou presque – de sa vie tumultueuse dans une confession réussie grâce au biographe des stars Larry « Ratso » Sloman. Un autoportrait saisissant mais peu reluisant.
Mike Tyson attaque son autobiographie La Vérité et rien d’autre comme il entamait ses combats : pas de round d’observation, il cogne fort dès le début. Le prologue est exclusivement consacré à sa condamnation à six ans de prison pour avoir violé une miss de 18 ans, Desiree Washington – viol qu’il a toujours nié. Cette entrée en matière est à l’image de ce qui suivra : une orgie d’insultes et de bons mots, d’insanités et de marques de sagesse. Et une prise de conscience : "cette petite juge blanche" qui l’a jeté en prison en 1992 lui a "sauvé la vie". Il lui a fallu "un bon moment" pour le comprendre. Rendons-lui grâce donc, en citant son nom : sans Patricia Gifford, Iron Mike n’aurait peut-être plus été de ce monde pour raconter à l’écrivain new-yorkais Larry "Ratso" Sloman (habitué à confesser les stars) les affres de son incroyable vie et pour nous offrir ainsi un chef-d’oeuvre d’autobiographie dans laquelle il se met à nu.
Tyson aurait pu mourir cent fois. Il le dit à chacune de ses interviews : c’est "un miracle" s’il est encore en vie. À 10 ans, il court les rues en quête de passants à détrousser et d’appartements à cambrioler. Il traque ses ennemis aussi, comme il le raconte dès l’entame du premier chapitre. "On était en guerre contre des types qui se faisaient appeler les Puma Boys […] Pour nos frères, on avait volé un véritable petit arsenal : des pistolets, un Magnum 357 et une carabine M1 avec baïonnette datant de la Première Guerre mondiale. C’est fou ce qu’on peut trouver quand on visite des maisons !"
Son père lui dit un jour : "Je ne peux rien t’apprendre fiston. Tout ce que je connais, c’est la Bible et les putes."
Nous sommes en 1976. Bienvenue à Brownsville, arrondissement de Brooklyn – un des quartiers les plus dangereux du New York de l’époque. Michael Gerard Tyson y grandit aux côtés de son frère, de sa soeur et d’une mère paumée qui boit, fume, se bat avec son homme (qui n’est pas toujours le même) et couche avec le premier venu même quand son fils dort juste à côté dans le lit. Lorna Mae lui a-t-elle dit un jour qu’elle l’aimait ? Il ne s’en souvient pas. Quant à son père, Jimmy "Curlee" Kirkpatrick Jr, "il ne faisait pas franchement partie du tableau". Moitié maquereau moitié homme d’église, il n’était jamais là. Il lui a dit un jour : "Je ne peux rien t’apprendre fiston. Tout ce que je connais, c’est la Bible et les putes." Réflexion savoureuse de Tyson : "Quand on y pense, tous ces curetons ont le même charisme que des macs. Dans leur paroisse, ils font faire n’importe quoi aux gens."
Brownsville donc. Les rapines, l’école buissonnière, les pigeons qu’il élève (il les adore), puis bientôt un abonnement aux maisons de correction. Et sa première bagarre à l’âge de 11 ans. Une révélation. Il y avait "ce mec, Gary", qui planquait sous son manteau un pigeon que Mike venait d’acheter. "Tout à coup, je me suis lancé. Merde ! Mes potes n’en revenaient pas." Mike l’emporte par K.-O. – le premier de son histoire, non comptabilisé. C’en est fini du gamin rondouillard qui a peur d’aborder les filles, ne se lave pas souvent et parle d’une voix fluette avec un cheveu sur la langue. Dirty Ike, son surnom dans le quartier, est mort ce jour-là.
Mike apprend à lire. Mao, le Che, Machiavel, Tostoï, Marx…
Quatre ans plus tard, place à Iron Mike, un monstre de muscles sans états d’âme. Entre-temps, un gardien de la maison de correction de Tryon où Mike a été placé, Bobby Stewart, un ancien boxeur, l’a remarqué et l’a confié à Cus D’Amato, entraîneur de champions sur le déclin. Ce vieil Américain d’origine italienne anticonformiste voit en lui un futur crack. Au fil des ans, il deviendra son père adoptif, son manageur et son gourou. Cus répétait : "On doit attendre notre moment, comme des crocodiles dans les marais. On ne sait pas quand le froid arrivera et quand les animaux devront migrer dans le Sahara. Alors on attend. Des mois, des années. Un jour ou l’autre, il arrivera. Et les gazelles et les bêtes sauvages devront traverser le fleuve. Et quand elles le feront, on les mordra. Tu m’entends fiston ? On les mordra si fort que leurs cris résonneront dans le monde entier."
Avec Cus, Mike apprend à se battre, à haïr le monde auquel il rêve d’appartenir… et à lire. Mao, le Che, Machiavel, Tolstoï, Marx, etc. "J’ai feuilleté Hemingway, mais ses livres étaient trop déprimants. Mon préféré était Le Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas. Je me suis vraiment identifié au personnage principal, Edmond Dantès, qui est piégé par ses ennemis et jeté au cachot." "Les hommes comme moi qui n’ont pas d’identité propre, dit-il plus loin dans son livre, s’inspirent des personnalités des autres. Quand j’ai lu que Joe Louis adorait le champagne, j’ai commencé à en boire."
Et pas qu’un peu ! Car très vite arriva le succès. Il combat en amateur d’abord, puis en professionnel à partir de 1985. Ses débuts sont fulgurants. Dix-neuf combats, dix-neuf victoires, dont la plupart par K.-O. dès les premiers rounds. En 1986, à 20 ans, il est le plus jeune champion du monde poids lourds de tous les temps. Sur le ring, Mike est un monstre : tout le monde le craint. Dans la vie aussi : Cus est mort avant d’avoir pu le voir gagner sa ceinture de champion, Mike n’a plus de repères. C’est le début d’une longue déchéance. Étendu sur son lit, gonflé à la testostérone, il se dit qu’il est "devenu tellement gros que Dieu en est jaloux".
Celui qui a toujours été sous influence – du sexe, de l’alcool, de la cocaïne et surtout de personnes mal intentionnées – se laisse aller dans les bras d’une mante religieuse qui deviendra sa première femme (Robin Givens), puis dans ceux d’un promoteur sans foi ni loi ("ce fourbe de Don King"). Arrive la rencontre avec Desiree Washington, la perte de son titre, la prison… De celle-ci, il écrit qu’elle ne vous réhabilite pas, mais qu’elle vous "déshabilite".
"Tyson, un monstre qui génère du fric"
> En photo : le sacre de Mike Tyson, en 1986, avec Don King. © DOUGLAS C. PIZAC/AP/SIPA
Son retour sur les rings après trois années passées derrière les barreaux à se reconstruire et à épouser la voix de l’islam (son nom musulman : Malik Abdul Aziz) est triomphal. Il récupère son titre. Puis il craque à nouveau. Qui a oublié ces images qui le montrent sur le ring, tel un chien enragé, en train de mordre l’oreille de son adversaire Evander Holyfield ? "Je voulais simplement le tuer", écrit-il.
Nous sommes en 1997, et Tyson entre dans un long tunnel rempli de prostituées, de cocaïne, d’agents de probation, de mensonges, de violence et de démesure. Dans ce tunnel, on croise des mafieux ukrainiens, un despote tchétchène, Spike Lee, Naomi Campbell ou encore le rappeur Tupac, un ami qui sera tué après l’un de ses combats. Autant d’épisodes minables qui deviennent, dans son livre, des moments de grâce littéraire. "Tupac, écrit Tyson, représentait ce monde d’où nous les Noirs étions tous sortis et que nous tentions de cacher. Il était cette amertume, cette frustration en chacun de nous que nous essayions tous de dissimuler aux yeux des autres. On veut paraître tous égaux, mais ce n’est pas vrai. Si vous êtes noir, vous devez lutter constamment." Sur le ring, il n’est plus que l’ombre de lui-même jusqu’à ce qu’il renonce à se battre en 2005 après 58 combats professionnels, 50 victoires, 44 K.-O.
Tyson est un type odieux capable de dire à propos de la mère de l’un de ses huit enfants : "Rayna [une de ses filles] est tellement belle qu’à côté sa mère ressemble à un chien errant." C’est aussi un homme sensible et perdu, qui "n’était pas fait pour être célèbre", que l’on gave d’antidépresseurs depuis son adolescence et qui ne demande qu’à être aidé et compris. "Tyson, c’est juste un monstre, quelqu’un qui génère des tonnes de fric [au moins 500 millions durant sa carrière], dit-il un jour à un journaliste. Personne ne me connaît, personne ne prend en considération mes sentiments, ma souffrance."
La rédemption, il la doit à sa nouvelle femme, Kiki, et à une amie, Marilyn. Aujourd’hui, Tyson va mieux. Il ne se drogue plus, ne boit plus, ne trompe plus sa femme – du moins est-ce ce qu’il écrit. Son témoignage perd alors en intensité, jusqu’à dégouliner de bons sentiments. Il est question de Dieu, de pardon, d’amour. Mais les vieux démons ont la vie dure. "Je ne serai jamais heureux, écrit-il. Je crois que je mourrai seul." Et plus loin : "C’est comme ça le bonheur : on peut être heureux même en enfer."
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