France : heurs et malheurs de la diversité

Dans les staffs dirigeants des entreprises, la haute administration, les grandes écoles et les cabinets ministériels, les Français issus de l’immigration ou originaires des départements d’outre-mer restent sous-représentés.

Les français issus de l’immigration sont peu nombreux dans les postes prestigieux. © J.A.

Les français issus de l’immigration sont peu nombreux dans les postes prestigieux. © J.A.

Clarisse

Publié le 22 janvier 2014 Lecture : 7 minutes.

Faux air de Léopold Sédar Senghor, le Franco-Camerounais Samuel Dibato (sa véritable identité a été modifiée), 35 ans, n’y va pas par quatre chemins. "Pour un Français issu de la diversité, dit-il, l’égalité des chances, c’est travailler plus et faire une carrière moins brillante que ses collègues." Énarque et polytechnicien, ce cadre supérieur au sein d’un ministère régalien peine à dissimuler son amertume. Ses camarades de promotion se sont tous vu confier des responsabilités supérieures aux siennes. Si cela n’a pas forcément à voir avec la diversité (les promotions dépendent aussi, il le concède, de l’origine sociale, des réseaux, de la fortune et des aptitudes personnelles), celle-ci reste selon lui un frein lors des nominations. "Passée la période idyllique de la formation à l’école des élites, on entre de plain-pied dans un système qui est en fait une machine à broyer de l’humain. Il faut être résilient pour tenir dans la durée."

Des propos peu éloignés de ceux d’un Tidjane Thiam, qui, en 2010, dénonçait déjà les failles d’un système français incapable de faire de la place aux minorités. PDG franco-ivoirien de Prudential, premier groupe d’assurance britannique, il expliquait dans un texte écrit pour l’Institut Montaigne, le think tank libéral fondé par Claude Bébéar, ancien patron de l’assureur Axa, sa déception d’avoir été contraint de s’exiler au Royaume-Uni pour trouver un poste à la hauteur de ses ambitions. Diplômé de Polytechnique, des Mines (il fut même major de sa promotion en 1986) et titulaire d’un MBA de l’Insead (une école de management privée), le premier patron noir du "Footsie" (l’équivalent anglais du CAC 40) confessait s’être résolu à franchir la Manche parce qu’il était las de "se cogner le crâne contre un plafond de verre parfaitement invisible mais ô combien réel" et de "voir des collègues moins compétents s’élever dans la hiérarchie quand [sa propre] carrière stagnait".

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La manière dont la France gère sa diversité et organise l’égalité des chances continue de poser problème. En témoigne le "Bilan diversité 2013", une étude réalisée à la demande du ministère délégué à la Ville afin de passer au crible l’action des entreprises françaises en matière de lutte contre les discriminations. Résultat : peut mieux faire. Si 90 % des entreprises s’efforcent de promouvoir la parité hommes-femmes et l’emploi des handicapés, elles ne sont plus que 23 % à recruter des salariés venant des quartiers prioritaires définis par le ministère. En clair : lesdits "quartiers", où résident une majorité de Français issus de l’immigration, sont loin des préoccupations des entreprises. En leur sein, la discrimination fondée sur les origines est bien réelle.

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La discrimination positive est inapplicable en France

Leurs dirigeants en ont pris conscience en 2004 après la publication d’un rapport de l’Institut Montaigne ("Les oubliés de l’égalité des chances"), écrit par Laurence Méhaignerie et Yazid Sabeg. Les auteurs montraient de manière indiscutable que des millions de Français issus de l’immigration étaient privés de tout droit à la réussite sociale faute d’accès à l’éducation, au système de santé et à l’emploi. Et qu’un demandeur d’emploi pourvu d’un nom à consonance étrangère avait sept fois moins de chances d’être recruté qu’un Français de souche. Estimant cette discrimination inadmissible d’un point de vue éthique et suicidaire d’un point de vue économique, une trentaine d’entreprises réunies par Bébéar élaborèrent alors un plan d’action. Ainsi naquit la Charte de la diversité, qui regroupe aujourd’hui 3 500 entreprises et prend en compte d’autres particularités comme le genre, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle et la situation géographique.

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Car la discrimination positive (affirmative action) à l’anglo-saxonne, qui implique un traitement spécial en faveur des minorités, est inapplicable en France : selon la Constitution, tous les citoyens sont égaux devant la loi. Les politiques publiques qui prétendraient distinguer les représentants de la diversité sont donc proscrites. L’enjeu est de réussir à concilier le principe d’égalité républicaine (juridiquement, les minorités n’existent pas) et la nécessité de corriger d’évidentes inégalités.

Secrétaire générale de la Charte de la diversité, Fella Imalhayene estime qu’il est possible de contourner la difficulté en s’employant à corriger les inégalités socio-économiques dans les quartiers prioritaires. Le gouvernement espère ainsi que, en 2017, les conseils d’administration compteront 40 % de femmes, conformément à la loi du 28 janvier 2011. De même, la loi exige des entreprises de plus de vingt salariés qu’elles recrutent 6 % de handicapés. Celles qui s’installent dans une zone franche urbaine doivent, pour bénéficier de tous les avantages fiscaux prévus par la loi, y recruter le tiers de leurs effectifs.

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Le "Bilan diversité 2013" montre néanmoins de timides avancées, surtout dans les grandes entreprises, qui, pour la plupart, ont signé des accords avec les représentants du personnel et modifié leur manière de recruter et d’organiser l’avancement professionnel. Le groupe Casino (grande distribution) a par exemple commandé un audit externe afin d’évaluer ses propres pratiques en matière de lutte contre les discriminations. Mais beaucoup reste à faire, 70 % des emplois étant concentrés dans les moyennes, petites et très petites entreprises (PME-TPE), qui seront donc les prochaines cibles de la Charte de la diversité. Il s’agira notamment de sensibiliser les dirigeants à ces problèmes.

Fondateur et directeur général de Mosaïk RH, un cabinet de recrutement spécialisé dans la diversité, Saïd Hammouche estime que, depuis dix ans, les entreprises ont quand même beaucoup appris en ce domaine, sur le plan de la législation notamment, mais qu’elles peinent encore à imposer ce savoir dans les faits. Il préconise d’en finir avec les débats stériles ("pour ou contre l’affirmative action") et de mettre en place des solutions concrètes, avec des résultats mesurables. Par exemple, de servir d’interface entre les entreprises qui recrutent et les diplômés de niveau bac+5 (minimum), souvent compétents et motivés mais ne disposant d’aucun réseau. Depuis sa création, il y a six ans, Mosaïk RH a ainsi contribué à faire nommer quelque cinq cents représentants de la diversité à des postes de cadre. Du coup, le regard des décideurs change peu à peu. Stéréotypes et préjugés reculent. Saïd Hammouche estime avoir fait gagner plus de 2 millions d’euros à la collectivité, les bénéficiaires d’allocations diverses étant devenus des créateurs de richesse.

Bien sûr, à l’instar des cabinets de recrutement, les établissements d’enseignement sont eux aussi très conscients du problème. Dès 2001, Sciences-Po Paris a créé un concours d’entrée réservé aux élèves socialement défavorisés, via les conventions d’éducation prioritaires (CEP). Grâce à cette procédure, 1 153 étudiants ont pu intégrer l’Institut d’études politiques (IEP). Il y avait au départ 7 lycées partenaires, contre 100 aujourd’hui. Selon une enquête maison, ces diplômés s’intègrent professionnellement aussi bien et aussi vite que les autres. Un bémol, cependant : si les élèves admis par le biais des CEP sont d’origines sociales plus diverses – 24 % sont des enfants d’ouvriers et 20 % des enfants d’employés (contre, respectivement, 6 % et 15 % pour les autres voies d’admission) -, les étudiants de l’IEP restent très majoritairement (68 %) issus des milieux les plus favorisés.

Les 15 élèves de la promotion de prépa intégrée de l’ENA ont tous raté leur admission

Constat plus sévère encore à l’Essec, où seuls 14 étudiants du programme baptisé "Une grande école, pourquoi pas moi ?" ont réussi à intégrer la prestigieuse école de commerce. Il est vrai que dans ce cas, il s’agit simplement d’aider certains jeunes défavorisés à mieux se préparer aux études supérieures. Et que le concours reste le même pour tous. Quatre-vingts grandes écoles sont associées à ce programme, qui dispose désormais d’un label (les "Cordées de la réussite") et concerne plus de 50 000 élèves. Mais l’expérience la plus décevante reste à ce jour l’ENA : les 15 élèves de la première promotion de sa prépa intégrée ont tous raté leur admission en 2011. Imposer des quotas dans ces établissements, comme le suggère Dogad Dogui, d’Africagora ? À l’évidence, les politiques n’y songent même pas.

Eux-mêmes ne sont d’ailleurs pas toujours exempts de reproche. D’abord félicité pour avoir nommé un nombre sans précédent de ministres issus soit de l’immigration, soit des départements d’outre-mer (Kader Arif, Najat Vallaud-Belkacem, Yamina Benguigui, Fleur Pellerin, Victorin Lurel, George Pau-Langevin, Christiane Taubira), François Hollande a ensuite été critiqué en raison de l’absence quasi totale de diversité dans les cabinets ministériels. Il dispose pourtant d’un conseiller à l’égalité et à la diversité en la personne de Faouzi Lamdaoui. De même, après s’être prononcé à maintes reprises en faveur de la "discrimination positive" (on se souvient qu’il avait nommé un préfet "musulman"), Nicolas Sarkozy avait peu à peu pris des distances avec tout ce qui pouvait apparaître comme du communautarisme.

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