Syrie : jihadistes contre jihadistes
Une coalition de groupes rebelles syriens a lancé une vaste offensive contre les combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Seconde révolution ou règlement de comptes ?
Les combattants de la révolution auraient-ils tourné leurs armes contre les zélotes de la Révélation ? Le 3 janvier, une coalition de groupes insurgés a lancé une vaste offensive contre les positions de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Présent depuis 2012 dans les rangs de l’insurrection syrienne, cet avatar d’Al-Qaïda en Irak a officialisé son extension au territoire syrien en avril 2013, s’emparant depuis de nombreuses localités dans le nord et l’est du pays. Ses 5 000 à 7 000 combattants, dont de très nombreux étrangers, cherchent à s’imposer à l’insurrection, ce qui a conduit à une multiplication des heurts avec les autres groupes rebelles, qu’ils soient démocrates ou islamistes, kurdes ou turkmènes.
Le 3 janvier, les coalisés sommaient les membres de l’EIIL d’intégrer d’autres brigades ou de déposer les armes pour regagner leurs patries. Réponse le 7 janvier du porte-parole de l’organisation : "Aucun de vous ne survivra." Expulsés de nombreuses places qu’ils occupaient près de la frontière turque au prix de violents combats et de dizaines de morts, les combattants de l’EIIL étaient sur le point, le 8 janvier, de perdre Raqqa, seule capitale régionale passée entièrement sous le contrôle de la rébellion, un relais stratégique du groupe vers ses bases de l’ouest irakien. Mais depuis, l’EIIL est repassée à l’offensive sur Raqqa, reprenant la ville à ses nouveaux ennemis.
Pour Thomas Pierret, spécialiste de l’islam en Syrie, "l’offensive sur l’EIIL n’est pas un coup de sang. Depuis des mois, tous les autres groupes ont été chauffés à blanc par leur comportement paranoïaque et agressif, et leur prise de contrôle systématique des régions frontalières qui visait à couper les réseaux logistiques des autres groupes rebelles". Quand ces jihadistes purs et durs ont commencé à étendre leur emprise, leurs armes étaient pourtant les bienvenues, leur discipline appréciée et leur ardeur au combat admirée. Mais leurs exactions et l’ordre moral radical très étranger à l’islam de Syrie qu’ils ont imposé ont fini par exaspérer les populations "libérées", qui ont multiplié ces derniers temps les manifestations.
Réglements de compte et lutte pour le contrôle des armes et du territoire
S’agit-il pour autant d’une "seconde révolution", comme s’en félicitent les militants, ou d’une offensive des "rebelles contre les jihadistes", comme l’ont vite qualifiée les titres de la presse occidentale ? Ni l’un ni l’autre, explique Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) : "La plupart des groupes de cette alliance sont constitués de salafistes, voire de salafo-brigands. Cette guerre qui oppose des islamistes à d’autres islamistes consiste essentiellement en un règlement de comptes, une lutte pour le contrôle des armes et du territoire." En première ligne de l’offensive, le groupe jihadiste radical Ahrar al-Sham : la torture et l’exécution de l’un de ses commandants avaient précipité l’attaque du 3 janvier. À Raqqa, c’est la Jabhat al-Nosra, seule entité officiellement reconnue par la centrale d’Al-Qaïda, qui a mené l’assaut.
Composés en majorité de Syriens, ces groupes ont su traiter avec plus de tact les populations locales, mais ils partagent l’objectif idéologique de l’EIIL, l’établissement d’un État islamique. "Tout cela sert bien sûr le régime : l’opposition fracturée se discrédite, et la montée en puissance des radicaux est un repoussoir très efficace qui incite les gens à se tourner vers Bachar", poursuit Balanche. À quelques heures de la conférence de Genève II pour la paix, programmée le 22 janvier mais dont on a douté jusqu’au dernier moment qu’elle puisse avoir lieu, les Amis de la Syrie semblent désarmés devant une telle complexité. Interrogé le 7 janvier sur ces combats, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères donnait cette réponse évasive : "La Coalition nationale syrienne [CNS] et l’Armée syrienne libre [ASL], que nous soutenons, luttent chaque jour sur le terrain, à la fois contre les groupes terroristes et contre les exactions du régime." Las, sur le terrain, la CNS n’est jamais parvenue à se faire reconnaître et l’ASL n’est plus que l’ombre d’elle-même, vampirisée par les groupes islamistes, modérés ou radicaux, qui dominent depuis des mois l’insurrection.
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