Maroc : égalité homme-femme, tabou or not tabou ?
Le patron des socialistes, Driss Lachgar, plaide pour l’égalité homme-femme en matière d’héritage et appelle à l’ouverture d’un débat sur cette vieille question. À la grande fureur de certains.
Rien de tel qu’un bon débat de société pour réveiller une classe politique qui a tendance à s’endormir. Un an après son élection, le nouveau premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) vient de provoquer un joli télescopage de déclarations outrées, réveillant au passage un imam salafiste de son hibernation forcée, mettant en branle médias, police et justice. Un joli coup.
En ouvrant le 7e congrès des femmes ittihadies, l’avocat Driss Lachgar a plaidé brillamment pour l’égalité entre les sexes. Ce maître rhéteur n’a pas eu besoin de relire ses classiques pour dérouler les revendications des USFPéistes : pénalisation du mariage des mineures ; interdiction de la polygamie ; ouverture d’un "débat sincère" sur l’héritage et sur l’avortement ; répression plus sévère des violences faites aux femmes. Applaudissements des militantes, satisfecit des progressistes, Lachgar a su réconforter une clientèle politique inquiète de l’arrivée des islamistes au gouvernement et que les quatorze ans durant lesquels les socialistes étaient aux affaires (1998-2012) ont laissée sur sa faim. L’interdiction du mariage des mineures et l’abandon de la polygamie, aujourd’hui légale mais fortement encadrée, sont des thèmes centraux du combat féministe.
"Au fils, une part équivalente à celle de deux filles"
Mais la revendication, même timide, de l’égalité dans l’héritage bouscule un tabou religieux. Le Coran prévoit le mode de calcul et de répartition de la succession : "Au fils, une part équivalente à celle de deux filles" (IV, 11). En présence d’un texte aussi clair, la plupart des théologiens – au Maroc et ailleurs – s’abstiennent de toute interprétation. Dans le droit marocain, l’héritage reste encadré par le référent religieux. Même les militantes qui se sont battues pour la réforme du code de la famille l’ont intégré. "Pendant les débats sur la Moudawana, l’héritage n’a pas été au centre des discussions. D’autres avancées nous paraissaient plus urgentes", se souvient Houda, une féministe. La Constitution de 2011 indique une direction : son article 19 proclame l’égalité homme-femme et crée une "autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination".
>> Lire aussi : Tunisie, les femmesmanifestent pour l’égalité dans l’héritage
L’affaire aurait fait moins de bruit sans l’entrée en jeu d’un ex-imam nommé Abou Naïm. Dans une vidéo amateur qui a vite fait sensation parmi les internautes marocains, ce salafiste à la longue barbe teinte de henné ne retient pas ses coups : Lachgar y est qualifié d’impie (kafir) et d’apostat (mourtadd). Ancien militant de la Chabiba Islamiya [laquelle se signala par l’assassinat, en 1975, du leader socialiste Omar Benjelloun], privé d’imamat par les autorités, Abou Naïm vocifère devant la caméra, passe de l’arabe classique à la darija, s’attaque à Mehdi Ben Barka et à des intellectuels de gauche, assimile les femmes socialistes à des prostituées. Cette fatwa d’excommunication, où l’appel à l’élimination physique est à peine déguisé, envoie un signal inquiétant. Pour l’intellectuel laïc Ahmed Aassid, qu’Abou Naïm traite de "porc" dans sa vidéo, "une telle violence verbale dénote une faiblesse intellectuelle certaine. Il y a comme une répartition des tâches entre les islamistes qui se disent modérés et leurs alliés, extrémistes assumés, dont ils se servent pour nous intimider".
Après avoir temporisé, le ministre de la Justice, El Mostafa Ramid, qui est un des faucons du Parti de la justice et du développement (PJD), a finalement ordonné au parquet d’ouvrir une enquête. Abou Naïm a donc été convoqué par la police judiciaire de Casablanca, mais il reste libre et ne semble pas impressionné. Son fils Abderrahmane continue d’alimenter une page Facebook en contenus incendiaires. Dans une vidéo récente, l’imam déchu va jusqu’à qualifier 2M de "chaîne sioniste".
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