Gilbert Houngbo : « L’Afrique doit augmenter sa production locale »
Alors que le monde agricole africain est sous pression, le patron du Fida insiste sur le besoin d’investissements dans les infrastructures.
Les pays en développement ont besoin de plus de 140 milliards de dollars par an pour faire face au changement climatique. Or, pour 2019-2020, seuls 46 milliards ont été mobilisés. D’où l’appel lancé par le président du Fonds international de développement agricole (Fida), Gilbert Houngbo, à faire plus, et plus vite, lors de la 15e Conférence des parties de la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et la sécheresse (COP15), organisée en Côte d’Ivoire du 9 au 20 mai.
Le Togolais, qui prendra la tête de l’Organisation internationale du travail en octobre, dirige l’institution onusienne spécialisée dans l’agriculture et l’alimentation depuis 2017. Celle-ci est très active sur le continent, via notamment l’octroi de prêts aux petits exploitants, la promotion de l’agroforesterie, la formation à des techniques de culture économes en eau et l’appui aux femmes. Soutenant le projet de Grande muraille verte, le Fida s’est aussi engagé à apporter 130 millions de dollars au programme Héritage d’Abidjan, lancé en marge de la COP15, qui vise à renforcer les filières alimentaires africaines. Malgré les difficultés, l’ancien Premier ministre togolais croit à la capacité d’accélérer sur le front climatique.
Jeune Afrique : Vous insistez sur l’urgence d’augmenter les financements pour assurer la résilience climatique du continent. Qui doit payer ?
Gilbert Houngbo : Au terme payer, je préfère celui d’investir pour faire évoluer nos infrastructures. Sachant que l’Afrique ne compte que pour 4 à 5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, il serait écologiquement injuste de lui demander la plus forte contribution. D’autant que, lors de la conférence sur le climat de Paris en 2015, les pays de l’OCDE ont promis de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour aider les pays du Sud à faire face aux conséquences du réchauffement climatique. Il ne s’agit donc pas d’obtenir de nouveaux engagements de leur part mais bien de concrétiser ceux qu’ils ont déjà pris. Et de les combiner avec les efforts que doivent aussi faire les pays africains.
Je suis inquiet des risques d’atteinte à la cohésion sociale liés à la hausse du coût de la vie
Quelle doit être la contribution du secteur privé ?
Si on attend de lui qu’il participe au financement, il doit aussi être le moteur de l’investissement dans les technologies qui faciliteront la transition énergétique et la résilience. L’innovation doit permettre de lutter contre les sécheresses et les inondations, de mieux gérer les ressources naturelles dont l’eau, d’augmenter la productivité, d’accélérer la transformation des produits de base.
Le bilan de la Grande muraille verte, projet emblématique porté par la Banque africaine de développement et soutenu par un grand nombre de partenaires, dont le Fida, est très modeste. Seuls 18 % des objectifs étaient remplis selon la dernière évaluation publiée en septembre 2020. Comment l’expliquer ?
À son lancement il y a dix ans, le projet, pourtant ambitieux, précurseur et novateur car conjuguant impact environnemental et sécuritaire, a été accueilli avec un certain scepticisme. Il a pâti d’un manque d’engagement politique. Mais ces dernières années, les choses ont changé, ce qui va permettre d’accélérer sur le financement comme sur la mise en œuvre. Le fait que plusieurs pays souhaitent rejoindre l’initiative, en plus des onze promoteurs initiaux, témoigne de ce nouveau dynamisme. En parallèle, beaucoup d’efforts sont faits pour améliorer la synergie entre les parties prenantes et le suivi du projet, garanties de meilleurs résultats.
Dans l’immédiat, le continent doit gérer des difficultés d’approvisionnement et une flambée des prix des produits alimentaires sources de tensions sociales. Craignez-vous des émeutes de la faim ?
Je suis inquiet des risques d’atteinte à la cohésion sociale liés à la hausse du coût de la vie, cela d’autant que l’on anticipe une diminution de la production en raison de la moindre disponibilité des engrais, intrants et semences. Plus globalement, je crains surtout que l’on considère la situation actuelle comme une crise ponctuelle à laquelle il suffirait d’apporter une réponse de court terme avant de revenir au business as usual.
Les importations de biens alimentaires pourraient 100 milliards de dollars en 2025 si rien n’est fait
Le problème de fond, la souveraineté alimentaire de l’Afrique, est identifié depuis longtemps…
Bien entendu. Il a été exacerbé par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et, plus récemment, par l’impact de la guerre en Ukraine. Sur le continent, on compte une cinquantaine de pays dont 30 % des importations proviennent d’Ukraine et de Russie. Chaque année, le continent importe pour 70 milliards de dollars de biens alimentaires, un montant qui atteindra les 100 milliards en 2025 si rien n’est fait. La solution est connue : l’Afrique doit augmenter sa production locale.
Comment y parvenir ?
Il y a plusieurs leviers à actionner. La hausse de la productivité africaine est clé, seul moyen d’augmenter le volume des récoltes tout en garantissant la compétitivité. Cela passe par l’investissement dans des équipements et dans la formation. Il faut également ajouter un minimum de valeur ajoutée – donc un certain degré de transformation – dans les filières pour mieux conserver les produits et améliorer les revenus des cultivateurs. On sait aussi que l’accès aux marchés locaux, nationaux et sous-régionaux, ainsi qu’au foncier est crucial.
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