Leee John ou la légende d’Imagination

L’artiste de 64 ans, chanteur du groupe mythique, montait sur la scène de l’Olympia, le 10 mai, pour fêter les quarante ans du tube « Just an illusion ».

Leee John à Paris, le 9 mai 2022. © Bruno Lévy pour JA

Publié le 28 mai 2022 Lecture : 6 minutes.

« Ooh… Illusion. Could it be that it’s just an illusion ? Putting me back in all this confusion ? » Ces paroles vous disent quelque chose ? Le grand public les a entendues pour la première fois en 1982, diffusée par un DJ dans sa limousine à New York. Avant qu’elles ne deviennent le tube planétaire du groupe Imagination : Ashley Ingram à la basse, Errol Kennedy à la batterie et derrière le clavier, Leee John et sa voix cristalline. Quarante ans après, jour pour jour, le 10 mai 2022, ce même Leee, né John Leslie McGregor, monte sur la scène de l’Olympia, à Paris.

Comme à son habitude, Leee John porte un couvre-chef vissé de biais sur la tête. Il est vêtu d’un costume intégral doré qui scintille jusqu’au bout de la salle. Aucun doute, le chanteur est heureux de remonter sur scène pour fêter – en solo – l’anniversaire de Just an Illusion. Une bonne partie du public devait déjà être au rendez-vous quand le titre fut diffusé sur les ondes. Les bouches articulent en rythme, les portables filment sans louper une miette du show, les fans dansent malgré les fauteuils prévus pour un concert assis. Sur scène, on est de retour dans les années 1980.

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Époque mythique

Du haut de ses 64 ans, Leee John enchaîne les pirouettes. La scène, il l’a épousée alors qu’il n’était qu’un gamin. À l’école, il fait partie du glee club [la chorale, ndlr] et joue du violon. Il grandit dans une famille caribéenne et comme il le rappelle, « la musique fait partie de toutes les familles originaires des Caraïbes ». Il est bercé par la Motown, Nat King Cole, Aretha Franklin bien sûr, sans oublier gospel et soul. « Beaucoup de soul » corrige-t-il, et du reggae. Il est « très jeune » quand il commence à chantonner.

C’est loin d’être la première fois que Leee raconte son histoire. Une drôle d’histoire, franchement décalée : avec son air naïf , il évoque les souvenirs d’une époque mythique, celle de la post-disco qui a vu naître les plus grands noms du funk, de la soul ou du folk comme Earth Wind and Fire (Let’s Groove, 1981), Kool and the Gang (Get down on it, 1981). Il “name drop” comme disent les anglo-saxons, un flot impressionnant de légendes musicales, avec la même simplicité que si l’on se remémorerait des vacances à l’île de Ré en 2004. Ceux qu’il évoque sont des icônes, leurs noms sont gravés sur la tranche des CDs de la bibliothèque familiale : Diana Ross, Stevie Wonder, Bob Marley, les Jackson Five, George Benson… Lui ne les mentionne pas parce qu’il les écoutait dans un walkman à 15 ans mais parce qu’il a assisté à leurs concerts, collaboré avec leurs managers, travaillé avec certains.

On a sorti un single… Et il ne s’est absolument rien passé

À l’adolescence, Leee monte son premier groupe, Ross and Leee, qui ne se contente pas de faire du bruit au fond du garage des parents mais qui signe chez EMI. C’est Del Newman, le producteur de Paul McCartney et Diana Ross, qui s’occupe d’eux. Leur manager est le même que celui du groupe de David Bowie. « On a sorti un single… Et il ne s’est absolument rien passé… Mais ça a été une expérience géniale », rit-il.

Erreur de la Poste

À peine majeur, Leee John partage « son bureau » avec des stars. Il apprend les rouages de l’industrie musicale, découvre les studios, accompagne les tournées… Il a une brève aventure musicale en duo – Fizz avec Ashley Ingram – sous la houlette du célèbre producteur britannique Trevor Horn qui l’a repéré et pris sous son aile. Alors qu’il entame un projet solo en enregistrant un tas de titres sur bandes magnétiques en studio, prévus pour être mixés aux États-Unis, un petit événement vient contrarier cet album, mort dans l’œuf : la Poste perd les cassettes qui n’arriveront jamais à destination.

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Heureux – et surprenant – retournement de situation, le studio a l’idée soudaine de changer son fusil d’épaule : et si le projet solo de Leee se transformait en trio avec Ashley Ingram et Errol Kennedy ? Sans ce mystérieux contretemps de courrier, Imagination n’aurait peut-être jamais vu le jour en 1981. Le nom du groupe est choisi pour se souhaiter bonne chance dans l’industrie. John Lennon vient d’être assassiné (décembre 1980), Imagine des Beatles est numéro un. « C’était un truc un peu spirituel, on s’est dit que choisir ce nom serait comme avoir la bénédiction des Beatles », sourit-il.

Tout le monde est persuadé que c’est Just an illusion qu’il faut sortir, que ça va cartonner

Le premier album Body Talk sort dans la foulée, il a du succès et construit la fanbase du groupe au Royaume-Uni. Mais c’est l’année d’après, en 1982, que le groupe explose, un peu par hasard. « On est en studio et on enregistre les deux premiers titres de l’album, In the Heat of the Night et Just an Illusion. En promo à New York, on se demande lequel des deux sortir en premier. Je préfère In the Heat of the Night, plus doux, plus jazzy. Mais tout le monde est persuadé que c’est Just an illusion qu’il faut sortir, que ça va cartonner. » Un DJ diffuse la chanson à fond dans les rues de la ville depuis sa limousine, les passants adorent. Just an Illusion s’impose comme single et se retrouve numéro 2 des titres les plus écoutés au Royaume-Uni, avant d’intégrer le top 10 dans de nombreux pays. Carton.

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Artiste noir

Devenir une superstar avant de devenir un adulte… Est-ce qu’on perd la tête, est-ce qu’on se fait happer par la folie des grandeurs ? Est-ce que ça fait peur ? Leee n’a pas l’air d’en avoir un souvenir aussi complexe : « Vous savez, je travaillais déjà depuis longtemps avec des musiciens, j’étais entouré de stars. J’ai rejoué le rôle de la star ! Pour moi ce qui comptait, c’était surtout de faire du bon boulot. » Il pense qu’ils sont devenus célèbres parce qu’ils étaient anglais, « aux États-Unis, on aurait été dans la même veine que d’autres groupes ». Pas au Royaume-Uni où ils détonnent.

S’il devait citer un souvenir de cette célébrité qui l’a marqué, ce serait cette semaine de concerts non-stop au Dominion Theatre, à Londres. Ces sept jours de show sont un exploit, surtout « parce qu’aucun groupe anglais d’artistes noirs n’avait jamais fait ça, il fallait qu’on soit au top de nos capacités », se souvient-il. Dans la musique à cette époque et en dehors des États-Unis, leur couleur de peau change tout. « Le racisme était tout à fait institutionnalisé. Les groupes noirs avaient droit à des budgets extrêmement bas comparés aux groupes blancs. Donc on faisait en sorte que tout ait l’air très cher, alors que rien ne l’était ! On devait se battre tout le temps avec le label », se souvient le roi de la funk.

Projets

D’autres albums suivront, Scandalous, Trilogy, Closer, Like it is, The Fascination of the Physical, parmi lesquels quelques tubes émergent et colonisent les clubs. Mais la popularité du groupe n’est plus celle de l’époque de Just an illusion. En 1995, Imagination se sépare. Leee tient à préciser que ça ne s’est pas terminé comme la plupart des groupes, la preuve, « je continue de faire vivre les titres du groupe sur scène », sourit-il. Depuis, il a présenté quelques émissions de télé, a été vu dans la série Doctor Who, a sorti un album de jazz, a été entendu dans le dernier album du groupe Gorillaz, sur The Lost Chord. Et foulé la scène de l’Olympia dans un featuring avec Imagination, dont la nostalgie semble toujours animer le chanteur qui surfe depuis quarante ans sur les mélodies qui ont marqué la fin du siècle dernier.

Leee John enchaîne les – plus ou moins grands – projets. Depuis 2015, il s’est lancé dans un documentaire en deux parties sur la musique noire au Royaume-Uni. La première racontera la naissance et l’évolution des groupes noirs, en images d’archives. La seconde sera un reportage qu’il aura produit lui-même, sur l’évolution de la black music ces dix dernières années. Il prévoit de continuer de filmer jusqu’en 2025 avant de dévoiler les images de ce projet.

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