Madagascar : Hery l’héritier

Il y a cinq ans, l’expert-comptable Hery Rajaonarimampianina n’aurait jamais songé à une carrière politique… et encore moins à la présidence ! Son élection doit beaucoup – sinon tout – à son prédécesseur, Andry Rajoelina.

Hery Rajaonarimampianina vote, le 20 décembre. © RIJASOLO / AFP

Hery Rajaonarimampianina vote, le 20 décembre. © RIJASOLO / AFP

Publié le 20 janvier 2014 Lecture : 4 minutes.

Un ancien DJ à la tête d’un État, ce n’était certainement jamais arrivé avant la prise du pouvoir par Andry Rajoelina, en mars 2009. Et un expert-comptable ? Hery Rajaonarimampianina, 55 ans, est le premier de la planète à s’y coller depuis que son élection a été confirmée le 17 janvier par la Cour électorale spéciale. Cela n’a pas échappé à la profession : plusieurs ordres des experts-comptables du continent africain avaient déjà fait savoir à l’entourage de celui qui était donné vainqueur (avec 53,5 % des suffrages face à son adversaire du second tour, Robinson Jean-Louis) qu’ils souhaiteraient vivement assister à son investiture.

L’anecdote illustre l’improbable destin de celui que tout le monde appelle Hery. Il y a cinq ans, alors qu’il franchissait le cap de la cinquantaine et que Marc Ravalomanana vivait ses derniers instants au palais d’Iavoloha, ce père de cinq enfants semblait devoir se contenter jusqu’à la fin d’une vie bien rangée. Dans le monde de l’expertise comptable, c’était une sommité à Antananarivo : son cabinet, fondé en 1995, avait pour clients certaines des plus grosses sociétés du pays, et il venait tout juste de quitter la présidence de l’Ordre des experts-comptables et commissaires aux comptes de Madagascar, après cinq années "de bons et loyaux services", selon ses pairs.

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Un protestant rigoureux venu d’un milieu peu favorisé

Oui mais voilà : sous la pression de la rue et de l’armée, Ravalomanana est tombé et Rajoelina a pris le pouvoir. De ce jeune entrepreneur aux dents longues et au CV rachitique, fervent catholique issu de la bourgeoisie tananarivienne plus connu pour ses talents de tribun que pour son goût du travail, Hery, un protestant rigoureux venu d’un milieu bien moins favorisé et qui a grandi dans la lointaine banlieue nord de Tana avant de partir faire ses classes de comptable au Canada, ne savait pas grand-chose. Les deux hommes n’avaient rien en commun… si ce n’est l’homme d’affaires Mamy Ravatomanga, qui a profité de la transition pour devenir le véritable parrain de l’économie malgache.

Hery n’est pas à proprement parler l’ami de Ravatomanga, mais il est le commissaire aux comptes de son empire économique, le groupe Sodiat. Et l’homme d’affaires, dont l’influence auprès de Rajoelina est grande, lui fait une confiance aveugle. Si bien qu’au milieu de l’année 2009, il propose Hery à Rajoelina pour diriger le très stratégique ministère des Finances, qu’il occupera pendant quatre ans.

Dans le gouvernement de transition, il fait partie de ces ministres qui n’ont de comptes à rendre qu’au chef de l’État.

L’expert-comptable ne connaît alors pas grand-chose à la politique. Certes, Hery a, dans sa jeunesse, milité au sein du Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar (Monima), du leader nationaliste Monja Jaona. Mais depuis, plus rien : il n’est encarté dans aucun parti. "C’est un vrai technocrate, il n’a rien d’un politicien", glisse un fonctionnaire du ministère qui rappelle que, contrairement à ses prédécesseurs, "il a gardé l’équipe en place". Au fil des mois, il gagne du galon et devient intouchable. D’abord parce qu’il obtient des résultats. Malgré la suspension des aides internationales (qui représentaient 50 % du budget de l’État en 2008), il maintient le cap : l’inflation est maîtrisée, les salaires des fonctionnaires sont payés à terme échu – un "exploit", selon un diplomate en poste à Tana.

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Autre atout : c’est un homme fidèle. Dans le gouvernement de transition, il fait partie de ces ministres qui n’ont de comptes à rendre qu’au chef de l’État. Très vite, la mission lui revient de mettre en musique les projets présidentiels (des hôpitaux et des stades ultramodernes à la gloire de Rajoelina) qui grèvent les budgets des ministères. Il hérite aussi de certaines négociations brûlantes, et quand Rajoelina est reçu par Nicolas Sarkozy à l’Élysée, en décembre 2011, il est sur la photo. La même année, il est nommé à la présidence du conseil d’administration d’Air Madagascar, au sein duquel figure également Mamy Ravatomanga. Une confusion des rôles qui dérange.

Sans les députés fidèles à Rajoelina, Hery ne pourra pas gouverner

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Ses détracteurs sont nombreux. Dans le patronat, on l’accuse d’avoir instauré "un système de racket fiscal" à l’endroit des chefs d’entreprise classés dans l’opposition. Ses adversaires politiques vont plus loin : pour eux, Hery est celui qui a permis tous les trafics et qui a favorisé les hommes d’affaires qui gravitent autour de Rajoelina. "C’est le plus grand des voleurs", peste un perdant du premier tour de l’élection. Sa proximité avec Ravatomanga, qui a été l’un de ses principaux bailleurs durant la campagne, ne plaide pas en sa faveur. Ses proches en conviennent, mais ils assurent qu’une fois président, Hery saura faire le ménage. "C’est un homme de consensus qui n’aime pas l’affrontement, mais c’est aussi un homme de caractère qui sait où il va, jure un de ses amis. Tous les businessmen qui l’ont soutenu en pensant qu’ils lui feraient faire ce qu’ils voudraient vont être déçus."

Et Rajoelina ? "Il n’y a qu’un seul fauteuil. C’est donc moi qui serai le président et dirigerai Madagascar", a affirmé Hery en décembre. Mais personne n’est dupe : sans le soutien de l’ancien DJ, le comptable n’aurait probablement jamais franchi le premier tour ; et sans les députés fidèles à Rajoelina, il ne pourra pas gouverner. De fait, ses amis ne cessent de répéter que la première de ses qualités, c’est la loyauté.

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