Sénégal : coups de canif dans l’union sacrée autour de Macky Sall
Alors que les élections locales approchent, des fissures se font jour dans l’unité de façade de la coalition Benno Bokk Yakaar. L’alliance autour du président sénégalais Macky Sall tiendra-t-elle jusqu’au terme de son mandat ?
"Il ne faut pas accepter les revenants politiques et les déchets toxiques." Le 19 novembre 2013, Maguette Ngom, coordonnateur adjoint de la coalition Macky 2012, ne prenait pas de gants pour critiquer le recyclage de quelques figures historiques de la vie politique sénégalaise comme Amath Dansokho, conseiller spécial du chef de l’État, ou Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale, qualifiés pour l’occasion de "fossiles politiques". Une amertume qui, face à la stratégie présidentielle visant à rassembler au-delà des clivages politiques à travers la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), perce régulièrement parmi la jeune garde qui a soutenu dès l’origine la candidature de Macky Sall. En cause, selon Maguette Ngom, les "audiences et nominations" que le chef de l’État accorde à des "transhumants" au détriment de ses "compagnons" de la première heure.
Cette concurrence exacerbée entre militants historiques de l’Alliance pour la République (APR, de Macky Sall) et ralliés venus des quatre coins de la scène politique a fini par lasser Youssou Ndour, ancien ministre du Tourisme, qui a claqué la porte de BBY en novembre sans pour autant prendre ses distances avec le chef de l’État. À ses yeux, la coalition constituée à la veille de la présidentielle de 2012, qui prévoyait que les candidats malheureux du premier tour soutiennent celui qui affronterait Abdoulaye Wade au second, aurait dû être dissoute au lendemain de la victoire pour éviter de devenir "un groupe de pression" mû par des ambitions personnelles. "BBY était trop soumis aux luttes d’appareil et Youssou Ndour en a gardé le sentiment que les gens étaient là pour s’assurer une part du gâteau", résume un proche de la star du mbalax.
Un an avant le chanteur, c’est le professeur Ibrahima Fall qui avait annoncé que son mouvement, Taxaw Temm, reprenait "son autonomie dans le champ politique", sans pour autant se positionner en "rupture" avec BBY. L’ancien sous-secrétaire général des Nations unies avait alors expliqué que l’alliance nouée avec Macky Sall visait uniquement à aller ensemble au second tour de la présidentielle et aux élections législatives. "Ce contrat est arrivé à son terme", avait-il estimé.
BBY a reconfiguré le paysage politiqu sénégalais
Le pari de Macky Sall était audacieux : absorber au sein d’une même coalition de gouvernement la quasi-totalité des partis politiques qui pèsent sur l’échiquier national, face à un Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) plus isolé que jamais. Rassemblement consensuel entre responsables politiques soucieux de sortir le pays de l’ornière pour ses défenseurs, usine à gaz agrégeant indifféremment libéraux, centristes, socialistes et gauchistes pour ses détracteurs, BBY a reconfiguré le paysage politique sénégalais autour d’un pôle présidentiel particulièrement oecuménique. Jusqu’à l’excès ?
Dans les rangs mêmes de l’APR, il se trouve quelques historiques pour craindre que cette volonté de ratisser si large fasse le jeu d’opportunistes en quête d’un strapontin. Constatant la file d’attente des supporteurs de la 25e heure dans l’antichambre de la présidence, Abdou Salam Guèye, membre fondateur et cadre du parti dans le département de Rufisque, ne dissimule pas son agacement. "Ces gens qui viennent aujourd’hui frapper à notre porte avaient accompagné Abdou Diouf puis Abdoulaye Wade jusqu’à leurs chutes respectives, rappelle-t-il. Pour quelques centaines de militants gagnés, ils peuvent aussi nous coûter des milliers d’électeurs." Une défiance que ne partage pas Thérèse Faye Diouf, membre du directoire national et du secrétariat exécutif de l’APR : "Le président est demeuré constant dans son intention de gouverner le Sénégal avec toutes les personnes de bonne volonté." Selon elle, Macky Sall est "un homme de consensus", et le "Sénégal émergent" auquel il aspire ne saurait s’élaborer "en fermant les portes".
Hors de l’APR, c’est la critique inverse qui est formulée. Dans cette coalition asymétrique, la primauté du parti présidentiel cantonnerait trop souvent ses alliés à des rôles de figurants. "Nous avons dressé un bilan il y a quelques mois, il en est ressorti qu’il fallait améliorer le fonctionnement de BBY, reconnaît Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste (PS). Il faut qu’en amont des décisions chacun puisse disposer du même niveau d’information." Une manière diplomatique de dire ce que plusieurs ténors de la coalition ont eu l’occasion d’exprimer de façon plus énergique. "Au sein de BBY, il n’y a ni conférence des leaders ni concertation, explique l’ancien ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio, du Mouvement panafricain et citoyen Luy Jot Jotna. Souvent, nous apprenons les décisions importantes par la presse." Officiellement, c’est ce fonctionnement qualifié d’opaque qui a conduit Rewmi, le parti de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, à quitter la coalition en septembre 2013. "Il n’y avait pas de cadre de concertation ni de dialogue, explique le député Thierno Bocoum, de Rewmi. Les décisions étaient prises unilatéralement par le président de la République."
Ils ont pris leurs distances [De g. à dr.] Pour le juriste Ibrahima Fall, du mouvement Taxaw Temm, "le contrat [avec Benno Bokk Yakaar] est arrivé à son terme" dès 2012. L’ancien Premier ministre Idrissa Seck a retiré son parti, Rewmi, de la coalition en septembre 2013…deux mois avant que le chanteur Youssou Ndour, qui fut ministre de la Culture puis du Tourisme, claque la porte à son tour. Quant au MPCL, le parti de l’ex-ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio, il concourra seul aux élections locales de juin. © Sephane de Sakutin / AFP ; Seyllou / AFP
"Partout où c’est possible, nous nous efforcerons d’adopter des listes communes"
En dépit des tensions qui le traversent, l’attelage improbable réuni par Macky Sall continue de dominer la vie politique sénégalaise face à une opposition morcelée, réduite à peau de chagrin à l’Assemblée. Avec en ligne de mire les élections locales de juin 2014, qui permettront aux composantes de BBY de mesurer leurs poids respectifs et de tester la pérennité de leur alliance à l’aune d’ambitions parfois concurrentes, qui se traduisent d’ores et déjà par des approches distinctes. "Nous allons concourir seuls aux locales, en déterminant nous-mêmes avec qui nous nous allierons", annonce Cheikh Tidiane Gadio. Du côté du PS, malgré les frictions à venir avec l’APR (notamment autour de l’élection du maire de Dakar), Ousmane Tanor Dieng affiche un pragmatisme de bon aloi : "Partout où c’est possible, nous nous efforcerons d’adopter des listes communes. Lorsque ce sera impossible, nous opterons pour la compétition démocratique tout en préservant notre compagnonnage."
Pour Macky Sall, maintenir l’unité de BBY – ou d’une alliance présidentielle équivalente, dont le projet est à l’étude – est un enjeu d’importance. Les leaders des deux principaux partis alliés de l’APR (Alliance des forces de progrès), Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, ne seront vraisemblablement pas candidats à la prochaine présidentielle, annoncée en 2017. "Entre eux et Macky Sall, c’est une opération gagnant-gagnant, analyse un député indépendant. Ils sont associés au pouvoir, tandis que le président compte sur eux pour canaliser, dans leurs partis respectifs, l’émergence de candidatures alternatives face à lui en 2017." L’alliance tiendra-t-elle si longtemps ?
La bataille de Dakar
Créé fin 2008 après la rupture définitive entre Macky Sall et Abdoulaye Wade, l’Alliance pour la République (APR) avait dû se contenter de la portion congrue lors des élections locales de 2009. Devenu entre-temps la formation politique du président, le parti ne fait pas mystère de ses ambitions pour le scrutin de juin 2014, quitte à convoiter des municipalités ou collectivités locales aujourd’hui détenues par ses alliés. En avril 2013, Mbaye Ndiaye, éphémère ministre de l’Intérieur en 2012, affichait ainsi pour ambition de prendre le contrôle de "la majorité des collectivités locales, particulièrement à Dakar", afin d’offrir "un tremplin" au chef de l’État en vue d’un second mandat. Au passage, ce haut cadre de l’APR interpellait l’actuel maire socialiste de la capitale : "Si Khalifa Sall veut rester maire, qu’il nous rejoigne !"
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