Libye : Abdel Raouf Kara, un milicien « justicier » à Tripoli

À 34 ans, Abdel Raouf Kara est l’un des chefs de milice les plus puissants de Tripoli. À la tête de 900 hommes, il entend faire régner l’ordre. En lieu et place des autorités libyennes…

Il se définit comme « salafiste, mais pas jihadiste ». © Joan Tilouine

Il se définit comme « salafiste, mais pas jihadiste ». © Joan Tilouine

Publié le 23 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.

À huit kilomètres à l’est du centre-ville de Tripoli, l’aéroport de Mitiga a des allures de no man’s land. Quelques ­avions-cargos turcs et jordaniens occupent le tarmac, au milieu de carcasses criblées d’impacts d’obus. À l’écart, au bout d’un long chemin de terre surveillé par des hommes armés sans uniforme, un hangar sert de base à Abdel Raouf Kara. Cet homme de 34 ans reçoit au milieu de tanks, de berlines sans plaques et de ses combattants, en sirotant un thé rouge. À la tête de l’une des milices les plus puissantes de Tripoli, il dirige huit unités regroupant 900 hommes et disposerait d’une réserve de plusieurs milliers de combattants. Il dit assurer notamment la sécurité du très stratégique hôtel Radisson, épicentre de la vie politique tripolitaine où se réunissent (certains y résident même) ministres, députés, anciens du Conseil national de transition et diplomates.

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Rondelet, la barbe foisonnante, il n’a ni l’allure ni le charisme d’un chef de guerre. "Jamais je n’aurais imaginé faire ce boulot. Mais si je ne le fais pas, qui va assurer la sécurité ?"

Il a combattu l’armée de Kadhafi, à Tripoli, avec les jeunes de son quartier de Souk al-Jouma qui forment encore aujourd’hui une bonne partie de son contingent.

Originaire de la vieille ville, il a fréquenté l’école coranique avant de devenir artisan-entrepreneur dans la métallurgie. Puis il a combattu l’armée de Kadhafi, à Tripoli, avec les jeunes de son quartier de Souk al-Jouma. Ils lui sont restés fidèles et forment encore aujourd’hui une bonne partie de son contingent. Ces hommes, rémunérés 557 dinars par mois (323 euros), souvent avec retard, par le ministère de l’Intérieur, assurent l’ordre dans les rues de son enfance.

"Juste avant la libération, le CNT [Conseil national de transition] m’a contacté pour me dire que l’armée allait prendre le relais quelques jours plus tard et recruter mes hommes. Ça fait trois ans que j’attends !" déplore-t-il en donnant ses ordres à ses officiers, avant de reprendre à voix basse : "Si ça ne tenait qu’à moi, je reprendrais immédiatement ma vie d’avant."

Chef de police informel, juge et directeur pénitentiaire improvisé

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Remplaçant une armée et une police en cours de formation, Kara tente de faire régner l’ordre à sa manière : par la force. Pour le compte d’un "État imaginaire", comme il s’en amuse, et au nom de Dieu. "La drogue, l’alcool et les armes sont les pires fléaux que nous combattons", soupire-t-il. Et d’ajouter : "Souvent, quand on arrête des criminels en possession de kilos d’héroïne et qu’on les remet à la justice, on les revoit se promener tranquillement dans les rues quelques jours plus tard. Il n’y a pas de justice dans ce pays, et quand il y en a une, elle protège les criminels."

Le milicien, en plus d’être un chef de police informel, s’est improvisé juge et directeur pénitentiaire.

Alors le milicien, en plus d’être un chef de police informel, s’est improvisé juge et directeur pénitentiaire. L’une des sept prisons illégales de Tripoli, d’une capacité de 400 détenus, est sous sa responsabilité. Une concentration de pouvoirs régaliens entre les mains d’un homme agissant selon la charia, qui se définit comme "salafiste, mais pas jihadiste" et admet sans ambages tout ignorer des droits de l’homme et de la justice…

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Pourtant, la prison de Kara, où étaient incarcérés à la mi-décembre 280 hommes (dont des prisonniers de guerre Kadhafistes), semble bien tenue, et des prisonniers volubiles n’évoquent aucun mauvais traitement. Salah Marghani, le ministre de la Justice, a annoncé une réforme du système pénitentiaire. Sceptique, Kara attend, de même qu’il espère que le gouvernement constituera enfin une armée et une police que rejoindront ses hommes. S’il se montre critique à l’égard du ministère de la Défense, qui "ne protège pas les frontières", il se dit fidèle au Premier ministre, Ali Zeidan, sauf lorsque celui-ci appelle au désarmement immédiat des groupes armés. "Je rendrai les armes dès qu’une police forte sera opérationnelle. Le gouvernement accuse les milices d’être responsables du désordre. Il est vrai que certaines créent des problèmes, mais c’est lui qui a laissé faire", accuse-t-il.

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Manifestation contre la présence des milices, à Tripoli, le 22 novembre 2013. © Ahmed Jadallah / Reuters

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