Burkina Faso : les raisons du malaise au sein du CDP

Parmi les soixante-quinze personnalités du CDP qui claquent la porte, trois anciens proches du chef de l’État. Mécontents d’être sur la touche depuis deux ans, ils entendent créer leur propre parti. Jusqu’où ira le bras de fer avec leur ex-mentor ?

Simon Compaoré et Roch Marc Christian Kaboré. © SOPHIE GARCIA POUR J.A.

Simon Compaoré et Roch Marc Christian Kaboré. © SOPHIE GARCIA POUR J.A.

Christophe Boisbouvier

Publié le 20 janvier 2014 Lecture : 6 minutes.

"On va gérer ça et montrer aux démissionnaires qu’ils ne sont rien"… Depuis le départ, le 4 janvier, de 75 figures du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), les ténors du parti au pouvoir affichent la plus grande sérénité. Même un chef de l’opposition confie, bluffé : "Ça n’a pas l’air de les ébranler."

Mais en privé, c’est tout autre chose. Un cadre du CDP, très proche du président Blaise Compaoré et de son frère François, murmure : "Cette démission collective est un vrai coup dur. On aura une vague de départs dans les sous-sections. À l’origine de ce coup, je suis sûr qu’il y a Salif Diallo. C’est un fin stratège politique. Pour nous, son passage à l’opposition est une véritable perte."

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Salif Diallo, l’ancien bras droit de Blaise, qui connaît tous ses secrets ; Roch Marc Christian Kaboré, l’inamovible secrétaire exécutif du CDP pendant treize ans ; Simon Compaoré, qui fut le maire de Ouagadougou pendant près de deux décennies… Les démissionnaires sont en effet des piliers du régime. Avant octobre 1987, ils étaient de jeunes partisans de la révolution sankariste. Salif militait au Groupe communiste burkinabè (GCB) et faisait déjà office d’éminence grise de Blaise. Roch et Simon étaient, eux, à l’Union de lutte communiste reconstruite (ULCR), que dirigeait Valère Somé, le plus proche conseiller civil de Thomas Sankara. Après l’assassinat du leader de la révolution, ils ont accompagné Blaise Compaoré dans son ascension et dans la création du CDP en 1996.

Mais les thermidoriens du Burkina ont gardé des réflexes révolutionnaires. Aussi, en avril 2000, quand Blaise a accepté de limiter le mandat présidentiel à deux quinquennats à partir de 2005, sans doute se sont-ils dit : "Vive l’alternance en 2015". Un proche confirme : "Ils n’attendaient que ça. Pour eux, c’était très clair : après Blaise, c’était leur tour." Aujourd’hui, au moment où le chef de l’État songe, dit-on, à modifier l’article 37 de la Constitution afin de pouvoir se représenter en novembre 2015, ils claquent la porte du CDP et lancent un défi sans précédent à leur ancien mentor.

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Première fêlure, il y a deux ans. À ce moment-là, Salif Diallo, qui avait osé dénoncer l’ascension du "petit président", François Compaoré, est en disgrâce depuis plusieurs années, mais, lors du congrès du CDP de mars 2012, Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré sont écartés à leur tour de la direction du parti au profit d’Assimi Kouanda et des fidèles de François Compaoré.

"Pour les placardisés du CDP, l’horizon semble bouché"

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Aux législatives de décembre 2012, seconde humiliation. Roch et Simon n’ont pas l’investiture du parti et perdent leur siège de député. Pour les amadouer, Blaise Compaoré les invite alors à discuter de l’avenir du pays avec Assimi Kouanda et Alain Yoda, l’ex-ministre des Affaires étrangères, à l’intérieur d’un "groupe des sept". À cet instant, Roch et Simon hésitent encore à partir et espèrent convaincre Blaise d’organiser un congrès extraordinaire du CDP. En octobre, le groupe des sept se déchire sur l’article 37. Roch et Simon sont désormais contre toute révision. Ils demandent avec insistance l’arbitrage de Blaise, mais celui-ci ne dit mot.

Le 12 décembre 2013, à Dori, à l’occasion du 53e anniversaire de l’indépendance, le président tombe le masque. "Si les acteurs [sous-entendu : les députés] ne s’accordent pas sur la question de l’article 37, un recours au référendum est possible", dit-il. Certains imaginent même que, si l’article 37 n’est pas révisé, le CDP soutiendra la candidature de François, le petit frère. Bref, pour les placardisés du CDP, l’horizon semble totalement bouché. "Il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles", lâche Roch Marc Christian Kaboré.

Ce 4 janvier, avec 72 autres camarades, Roch, Simon et Salif signent une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent la "caporalisation" du CDP et "ses méthodes de gestion fondées sur l’exclusion". Sur les ondes de Savane FM, en langue nationale mooré, Simon Compaoré a même ce mot : "Si vous voyez des gens fuir une maison, c’est qu’elle est truffée de sangsues". L’image n’est pas très flatteuse pour François Compaoré et ses fidèles…

En fait, les opposants rêvent d’un scénario à la sénégalaiseb : la rupture de Macky Sall avec le PDS a pesé lourd dans la défaite d’Abdoulaye Wade.

Aujourd’hui, l’opposition exulte. "C’est un séisme politique", se réjouit Ablassé Ouedraogo, l’ancien ministre des Affaires étrangères. "Un hommage rendu à notre action en faveur de la démocratie", renchérit le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré (autre ancien du CDP), dont l’Union pour le progrès et le changement (UPC) compte 19 députés à l’Assemblée nationale. "Pour nous, c’est du pain bénit… mais pas encore assez. Il faut que d’autres pains viennent s’y ajouter pour que ça aille très vite."

La contre-attaque vise Roch Marc Christian Kaboré

En fait, les opposants rêvent d’un scénario à la sénégalaise. À Dakar, la rupture de Macky Sall avec le Parti démocratique sénégalais (PDS) a pesé lourd dans la défaite d’Abdoulaye Wade, en mars 2012. À Ouagadougou, les opposants espèrent aussi que le départ des 75 va couper le CDP en deux et précipiter la chute du régime Compaoré. "En tout cas, c’est la fin de l’hégémonie du CDP", se félicite Zéphirin Diabré.

Du côté du parti au pouvoir, l’heure est à la contre-attaque. Premier visé, Roch Marc Christian Kaboré. Tous les dirigeants du CDP rappellent qu’en 2010, avant sa mise à l’écart, l’ex-patron du parti déclarait : "La limitation du mandat est antidémocratique." Du coup, Assimi Kouanda, l’actuel secrétaire exécutif du CDP, dénonce "l’ingratitude de ces ex-camarades", qui veulent "faire aboutir coûte que coûte leurs ambitions personnelles". Autre dissident épinglé : Salif Diallo. La presse burkinabè révèle à point nommé qu’un juge souhaite entendre l’ancien directeur de cabinet du chef de l’État dans l’affaire Dabo Boukary, du nom de cet étudiant en septième année de médecine arrêté et sans doute mort sous la torture lors des manifestations de mai 1990 sur le campus de Ouagadougou. "Je n’ai rien à voir avec ce drame. Le jour de l’arrestation de cet étudiant, j’étais en mission à l’étranger", rétorque aujourd’hui Salif Diallo.

Une réconciliation de dernière minute est-elle possible ?

Surtout, les fidèles de Blaise Compaoré battent le rappel des troupes. Naboho Kanidoua, le secrétaire exécutif adjoint du CDP, lâche : "C’est à nous de nous remettre au travail." En privé, un cadre du parti au pouvoir confie : "On va essayer d’arrêter l’hémorragie au sein du CDP et on pense que tout cela n’aura pas de conséquence au niveau électoral, car Blaise est toujours populaire." Enfin, pour rompre l’isolement qui le menace, le parti cherche des alliés. Depuis 2012, l’Alliance pour la démocratie et la fédération-Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA) de l’avocat Gilbert Noël Ouédraogo est la troisième force politique du pays, avec dix-huit députés. De bonne source, des négociations sur l’article 37 ont déjà commencé entre le CDP et ce parti. Problème : jusqu’à présent, l’ADF-RDA a toujours clamé haut et fort qu’elle était attachée à la limitation des mandats présidentiels. Les discussions s’annoncent serrées.

Une réconciliation de dernière minute entre frères ennemis du CDP est-elle possible ? Guillaume Soro, l’intime de Blaise Compaoré et de Roch Marc Christian Kaboré, veut y croire. Le 7 janvier, le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire s’est précipité à Ouagadougou en compagnie du ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, et du ministre chargé des Affaires présidentielles, Téné Birahima Ouattara – le frère du chef de l’État ivoirien. Assimi Kouanda a beau dire que cette crise est un "non-événement", les Ivoiriens sont très inquiets des répercussions de ce conflit politique dans la sous-région. Mais, pour l’instant, les 75 semblent décidés à aller jusqu’au bout de leur démarche et à créer un parti. Et ce n’est pas les nombreux messages de soutien qu’ils reçoivent qui vont les en dissuader. Une date est même avancée pour le baptême : le 25 janvier. Si un référendum sur l’article 37 se tient cette année, la bataille promet d’être acharnée.

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