France : Pap Ndiaye, parce qu’il le vaut bien !
Tout juste désigné ministre français de l’Éducation nationale, l’universitaire spécialiste de l’histoire des minorités essuie une salve de critiques venues de l’extrême droite.
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Clarisse Juompan-Yakam
Responsable du pôle Opinion à Jeune Afrique.
Publié le 21 mai 2022 Lecture : 4 minutes.
En décembre 2020, Pap Ndiaye publiait dans Jeune Afrique une tribune sur la relation Afrique – États-Unis. Il y détaillait le rôle crucial que les Africains-Américains pourraient être amenés à jouer dans le renforcement des liens entre les deux pôles. Particulièrement remarquée à l’Élysée, cette tribune lui vaudra d’être reçu par Emmanuel Macron, lequel organisera, quelques mois plus tard à Montpellier, un sommet Afrique – France faisant la part belle aux diasporas africaines… La première marche vers cette ascension qui le place aujourd’hui au cœur des commentaires sur la composition du nouveau gouvernement français. Car depuis sa nomination à la tête du ministère de l’Éducation nationale ce 20 mai, Pap Ndiaye fait parler – ou hurler, c’est selon. Notamment au Rassemblement national, qui semble voir en cet agrégé d’histoire le nouvel ennemi public numéro un, l’homme qu’il faut à tout prix stopper.
Et ils ont sorti l’artillerie lourde : la présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, regrette la nomination d’un « indigéniste assumé », tandis que son porte-parole déplore, lui, la désignation d’un « militant racialiste et anti-flics », ce qui constitue, à ses yeux, « un signal extrêmement inquiétant envoyés aux élèves français au sein de l’Éducation nationale, déjà minée par le communautarisme ». Et Gilbert Collard d’enfoncer le clou : « Emmanuel Macron a pris un coup de woke sur la tête » pour oser ainsi promouvoir un adepte de réunions interdites aux Blancs. Une allusion au procès en « wokisme » fait à ce spécialiste de l’histoire des États-Unis et des minorités. À les entendre, un dangereux activiste doublé d’un délinquant est entré à l’Éducation nationale.
Essai fondateur
Qu’est-il reproché au juste à Pap Ndiaye ? Son ouverture aux réflexions post-coloniales ? Elles sont importantes en France comme ailleurs. Comment le désormais ex-directeur du Musée national français de l’histoire de l’immigration, qui répète à l’envi que cette dernière doit faire partie intégrante du récit national français, pourrait-il ne pas s’y intéresser ?
Membre du comité Mbembe chargé de réfléchir à la refondation de la relation Afrique-France, Pap Ndiaye disait, dans une interview à JA, avoir été marqué par deux propositions : la création d’une maison de l’Afrique à Paris et le Fonds pour la démocratie. Peut-être pensait-il être associé à ces deux projets et contribuer à tourner définitivement la page de la Françafrique ? Faudrait-il lui faire le grief d’avoir permis l’installation, dans le monde universitaire, grâce à son essai fondateur sur la condition noire en France, de questions peu abordées – ou marginalisées – en histoire, en anthropologie ou en sociologie ? Vain procès : la demande de tels programmes est forte chez les étudiants. D’oser évoquer l’idée d’un racisme structurel qui découle de réalités vécues telles les discriminations à l’emploi ? De dénoncer les contrôles au faciès par des formules définitives telles : « Être Noir, c’est avoir des soucis avec la police ! » Ces atteintes ne sont-elles pas désormais documentées en sciences sociales grâce à des données chiffrées et des études objectives ?
Universalisme et méritocratie
Les idées de Pap Ndiaye sont connues et il les défend de longue date, en tirant le débat vers le haut – au demeurant, elles ne lui ont pas été jetées à la figure quand il a pris la direction du Musée national de l’histoire de l’immigration. Oui, il plaide pour un véritable universalisme, soulignant, comme d’autres chercheurs, le décalage entre la parole publique et les résultats, en particulier pour les minorités visibles placées en situation de relégation.
Sans le vouloir et sans le savoir, Pap Ndiaye avait déjà indirectement répondu à ses détracteurs dans ce même entretien à JA, en affirmant « qu’il n’y a pas [en France] de renfermement communautaire, mais la demande d’un véritable universalisme ». Comme d’autres universitaires aussi, dont Pascal Blanchard, il s’insurge contre les, notions d’islamo-gauchisme et de « wokisme », « des chimères [lancées] afin d’intimider celles et ceux qui réfléchissent sur ces questions en les renvoyant à une supposée américanisation de la société française ». C’est ce discours d’un homme connu pour pacifier le débat que beaucoup refusent d’entendre.
Dans l’une de ses nombreuses tribunes à JA, lors de l’arrivée du président Joe Biden à la Maison-Blanche, Pap Ndiaye avait salué la formation du « gouvernement américain de loin le plus divers de l’histoire du pays », insistant notamment sur la désignation de plusieurs Africains-Américains à des postes clés. « La représentation, l’incarnation d’un poste, cela compte en politique ! », écrivait-il.
Des propos qui, aujourd’hui, ont sans doute une résonance toute particulière pour celui qui aura été l’un des premiers à s’être intéressé à la place, dans la société française, des populations d’origine africaine. Cofondateur, avec Patrick Lozès, futur président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), du Cercle d’action pour la promotion de la diversité (Capdiv), Pap Ndiaye assume d’être un symbole de la méritocratie républicaine et de la diversité, et c’est très bien ainsi.
Raidissement des rapports sociaux
Remettre au goût du jour ce thème, qui fut à la mode au milieu des années 2000 et dont Nicolas Sarkozy s’était emparé en 2007, peut s’avérer salutaire. N’en déplaise aux politiques tels Jean-Luc Mélenchon, la question des classes sociales ne permet pas à elle seule de décrire toutes les inégalités de la société française. Laisser de côté le sujet de la diversité a sans doute contribué au raidissement des rapports sociaux entre communautés en France.
BCX0" lang="FR-FR" xml:lang="FR-FR" data-contrast="auto">Curieusement, à aucun moment les détracteurs de Pap Ndiaye ne se sont demandé si ce brillant élève des lycées Lakanal et Henri-IV, puis de l’École normale supérieure (ENS) de Saint-Cloud, qui n’est pas un politique professionnel mais un connaisseur du milieu éducatif, qui sait ce que signifie enseigner et n’ignore rien des problèmes de ses collègues, aurait les épaules suffisamment larges pour prendre en charge ce ministère si politique et foyer de tant de tensions. Peut-être ne l’ont-ils pas fait parce que la réponse à cette question, elle non plus, ne leur aurait pas convenu.
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