La banane et la quenelle
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 13 janvier 2014 Lecture : 2 minutes.
En France, on ne parle plus que de lui, Dieudonné, du matin au soir. Y compris au plus haut sommet de l’État, du ministre de l’Intérieur Manuel Valls au président François Hollande, qui se sont échinés à réclamer l’interdiction a priori de ses spectacles, qu’ils ont obtenue grâce à la décision du Conseil d’État du 9 janvier. Du jamais vu en France – pays attaché à la liberté d’expression (et de réunion) – depuis… 1933.
Inutile de revenir ici sur le fond de l’affaire : cela fait longtemps que Dieudonné a quitté les rivages de l’acceptable, et parler de lui ne fait que renforcer son petit commerce nauséabond. Tout ce qu’on peut lui reconnaître, c’est son talent, hélas gâché. Mais il est devenu en quelques semaines seulement le héros de ceux qui se sentent exclus, considèrent que la République ne les aime pas et le lui rendent bien. C’est affligeant, mais c’est ainsi.
Au-delà de son cas, le plus inquiétant est que cela fait longtemps que la France dérape sans que personne ne s’en émeuve. Le racisme classique, à l’ancienne si l’on peut dire, fondé sur le mépris de l’ancien esclave ou du colonisé, ces hommes et ces femmes d’une autre couleur de peau et jugés inférieurs, a cédé la place à une multitude de haines ou de peurs qui s’expriment bien plus facilement (merci internet), parfois crûment et violemment. Cible éternelle : l’Autre, perçu comme une menace et dont la figure s’est démultipliée : Juifs, Noirs, Arabes, musulmans, Roms, Chinois, homosexuels… Les tribuns de l’intolérance peuvent se permettre, depuis quelques années, des écarts autrefois inconcevables et mis à l’index. Alain Finkielkraut, Éric Zemmour, Dieudonné ou Alain Soral, pour les habitués du cirque médiatique. Mais aussi, et c’est plus grave, ceux dont les fonctions devraient interdire ce type de dérapages. Jean-François Copé et ses pains au chocolat, Brice Hortefeux et ses blagues fumeuses sur les Arabes, Nicolas Sarkozy dans son discours de Grenoble, ou Manuel Valls avec ses Roms et leur "vocation" à ne pas rester en France, par exemple.
On ferme les yeux, on laisse dire les pires insanités depuis trop longtemps, on banalise le racisme. La ministre de la Justice, Christiane Taubira, se fait traiter de "guenon" dans la quasi-indifférence et on est à peine choqué que des parents emmènent leurs enfants dans la rue pour crier leur opposition au mariage pour tous, parfois avec des mots qui font froid dans le dos. Les médias ne sont pas en reste. Surtout quand, pour vendre un peu plus de papier, certains s’évertuent à désigner des boucs émissaires et à attiser les peurs : invasion d’immigrés, islamisation rampante, burqa, halal, prières de rue… L’affaire Dieudonné n’est, hélas, que l’arbre qui cache la forêt. Puisse-t-elle au moins aider la France à prendre conscience de cette détestable dérive.
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