Travail des enfants : indifférence coupable et destins brisés
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 9 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.
Alors que 2013 continuait de s’éteindre, chacun d’entre nous avait une aspiration plus que légitime : entrer le sourire aux lèvres dans l’année naissante, goûter à ses joies éphémères et convenues. Certains ont vu ce voeu se concrétiser. D’autres, en revanche, ont connu l’enfer. Engloutis dans la fange de l’Histoire, ils sont tombés comme des mouches pour des causes qu’ils n’avaient pas épousées, sans avoir vu poindre à l’horizon le disque de feu de l’année naissante. Sans parler de ceux que la terreur a liquéfiés à jamais en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en Somalie, au Kenya… Je n’ose pas imaginer le contenu du regard d’un enfant, seul survivant d’une famille massacrée, qui voit les corps des siens servir de festin aux mouches et aux chiens errants. Débris de rêves.
C’est dans cette atmosphère suffocante de sang, de fureur et de larmes, ce climat de manipulation et de non-dits, que j’ai découvert à la télévision des faits pour le moins révoltants. Première séquence, le Mali. Un champ de coton et des enfants enthousiastes qui, dès le matin, encadrés par des adultes, récoltent le fameux or blanc sous un soleil survolté. Il n’y a ni pause, ni eau pour se désaltérer, ni casse-croûte pour tromper les crampes d’estomac. L’opération s’achève en fin d’après-midi. La récompense pour cette touchante abnégation arrive enfin : un bonbon. Oui, un tout petit bonbon, est offert à chaque enfant ! Lorsque l’enquêtrice demande quelques explications aux responsables de l’école qui traitent ainsi des écoliers, la réponse est sans appel : "Ce champ appartient à un bienfaiteur de l’école, qui habite à Bamako. C’est donc normal que nous mobilisions les enfants pour la récolte du coton en guise de reconnaissance." Et qu’offre cet illustrissime bienfaiteur ? Un globe terrestre, quelques fournitures scolaires… Interrogé à son tour, l’intéressé, une personnalité très influente de la filière cotonnière au Mali, se défend d’exploiter honteusement des enfants. "Je les aide, il faut qu’ils m’aident aussi."
Deuxième séquence, le Burkina Faso. Encore un champ de coton. Mais, cette fois, il s’agit d’adolescents déscolarisés venus de loin travailler pour un agriculteur. Après de longues journées de travail, l’"employeur" condescend à payer à cette enfance désespérée, mais qui s’accroche à la vie, des "salaires" inqualifiables. Plus choquant, il refuse de reconnaître qu’il utilise des enfants comme s’il s’agissait de bêtes de somme. "Sur mon champ, il n’y a que trois enfants qui sont venus m’aider : mes fils et un neveu. Si vous en avez vu, ce sont sans doute des enfants qui sont venus jouer", répond-il à l’enquêtrice, tout en sachant qu’il ment.
Nul ne l’ignore : le travail des enfants est interdit. Mais, dans beaucoup de nos pays, des individus sans scrupule n’hésitent pas, pour gagner facilement de l’argent, à violer la loi. Qui démantèlera les filières transfrontalières de trafic de main-d’oeuvre enfantine destinée aux planteurs de café, de cacao ou de coton ? Les autorités continuent de laisser faire, devenant ainsi les complices d’une exploitation indéfendable. Et que dire de tous ces enfants accusés de sorcellerie et livrés à la faune de nos villes ou à des pasteurs autoproclamés ? L’indifférence est coupable.
>> Lire aussi : travail des enfants, trop c’est trop
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