Israël – Yossi Gal : « Nous ne menaçons personne ! »

Convaincu que les changements survenus en Iran ne sont que de la poudre aux yeux, l’ambassadeur d’Israël en France assure que son pays ne nourrit aucune ambition hégémonique dans la région.

Yossi Gal, le chef de la mission israélienne à Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

Yossi Gal, le chef de la mission israélienne à Paris. © Vincent Fournier pour J.A.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 15 janvier 2014 Lecture : 7 minutes.

Situé au coeur du triangle d’or parisien entre Champs-Élysées et faubourg Saint-Honoré, le secteur de l’ambassade d’Israël en France a des allures de "zone verte", l’enceinte politico-diplomatique ultra-sécurisée de Bagdad. Des barrages permanents tenus par une demi-douzaine de policiers français filtrent les deux extrémités de la petite rue Rabelais. Un agent de sécurité israélien prend le visiteur en charge : vêtements, sacs, objets sont minutieusement inspectés, papiers d’identité et téléphones portables sont consignés. Au premier étage du numéro 3 de la rue, Son Excellence M. Yossi Gal est la voix de l’État hébreu dans la capitale française. D’origine marocaine, cet affable sexagénaire nommé en 2010 à Paris était auparavant directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères et avait, dans les années 1990, participé aux négociations de paix avec les Palestiniens et les Jordaniens. S’il s’exprimait en bon arabe lors de sa réception inédite à la mosquée de Drancy lors du ramadan en juillet 2013, son français est plus hésitant et le diplomate préfère recourir à l’anglais pour ses interviews. Entre fermeté et subtilité, non-dits et sous-entendus, son discours est celui d’un diplomate prudent, avec comme leitmotiv un impératif absolu : la sécurité d’Israël.

Jeune Afrique : Israël apparaît de plus en plus isolé sur la scène internationale.

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Yossi Gal : Je ne le crois pas. Nous avons de très bonnes relations avec les pays d’Asie, nous avons reçu ces dernières années plus de cinquante délégations africaines de haut niveau et nous partageons une très forte communauté d’intérêts, mais aussi d’esprit et de valeurs, avec les États d’Europe et bien sûr avec les États-Unis. Certes, des disputes peuvent survenir au sein des familles les plus unies, mais les différends que nous pouvons avoir avec certains partenaires sont tactiques et en aucun cas stratégiques. Ils portent sur la manière d’atteindre des objectifs partagés et non sur la nature de ces objectifs.

Avec les Palestiniens, des négociations ont redémarré en août pour une période de neuf mois. Où en est-on cinq mois plus tard ?

Nous avons toujours plaidé pour une solution négociée qui implique un compromis, mais nos amis palestiniens pensaient que d’autres feraient ce travail à leur place. Heureusement, le très actif secrétaire d’État américain John Kerry est parvenu à ramener les deux camps à la table des discussions. De notre côté, je peux vous assurer qu’Israël est totalement favorable à la solution des deux États pour deux peuples. Mais cela requiert également l’engagement d’une direction palestinienne forte, qui souhaite vraiment démontrer à son peuple la possibilité et la nécessité d’un tel accord.

Mais en ce moment même, des dizaines d’habitations sont bâties dans ces territoires palestiniens…

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Lorsque la paix a été signée avec l’Égypte, les Israéliens qui résidaient dans le Sinaï sont partis jusqu’au dernier, et quand nous avons quitté la bande de Gaza, tous nos concitoyens ont été évacués. Les Palestiniens estiment que nos implantations en Cisjordanie représentent un enjeu majeur, soit ! Mais c’est bien le sens d’une négociation : mettre les griefs sur la table et en discuter.

En cas d’accord avec les Palestiniens, vous seriez donc prêts à faire revenir tous les colons établis en Cisjordanie ?

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Il y a eu auparavant des suggestions d’échange de terres et d’autres propositions pour régler ce litige. Un arrangement peut être trouvé, c’est le travail des négociateurs.

Le très peu diplomate Avigdor Lieberman a été rappelé à la tête du ministère des Affaires étrangères. Pourquoi Israël se donne-t-il un tel visage sur la scène internationale ?

Cet homme politique a un style différent de celui auquel sont habitués les Occidentaux. Mais je ne pense pas que cela ait changé quelque chose à nos relations extérieures. Notre classe politique s’exprime sur des questions qui sont pour la plupart existentielles : les menaces du Hezbollah, du Hamas, de l’Iran, etc., et chaque homme politique a sa propre opinion. Les Israéliens ont voté pour certains partis, et ce gouvernement est un gouvernement de coalition. Mais les objectifs sont clairs, trouver une paix durable avec nos voisins tout en assurant la sécurité de l’État d’Israël. Ne confondons pas le style et la substance, la forme et le fond.

Est-ce une question de forme que de déclarer a priori les Palestiniens incapables de faire la paix ou que le nouveau président iranien n’est forcément qu’un "loup déguisé en agneau" ?

Le peuple juif a appris de son histoire à écouter très attentivement ce que nos ennemis disent sur nous. Quelques jours avant l’accord de Genève entre l’Occident et l’Iran sur le nucléaire iranien, l’ayatollah Khamenei, qui est le vrai chef de l’État – ne parlons pas de ses agents lancés dans une offensive de charme -, a dit que le "régime sioniste" est un chien enragé, que les "responsables sionistes" ne peuvent être qualifiés d’êtres humains, que le régime israélien est destiné à l’annihilation. Quand quelqu’un appelle à votre extermination tout en sachant qu’il prépare les moyens pour la mettre en oeuvre, il faut prendre ses déclarations très au sérieux.

Ne cherchez-vous pas en réalité un changement de régime plutôt que l’apaisement politique ?

Nous n’avons jamais rien déclaré de tel. Nous voulons ce que veut la communauté internationale : être sûrs qu’ils ne développent pas l’arme nucléaire. Certains en Iran affirment que leurs recherches ne servent que des objectifs pacifiques, alors pourquoi les avoir cachées ? Rappelons que leurs installations étaient clandestines jusqu’à ce qu’entre 2002 et 2009 la communauté internationale acquière la certitude de leur existence. Et elles sont enfouies sous des dizaines de mètres…

Les recherches dans la centrale de Dimona, où a été élaborée la bombe nucléaire officieuse de l’État hébreu, ont longtemps été tenues secrètes, et aujourd’hui encore le silence règne sur les capacités nucléaires d’Israël…

Nous ne menaçons personne ! En revanche, les dirigeants du monde libre ont bien compris ce que l’acquisition par l’Iran de la capacité nucléaire signifierait pour leur sécurité. Même les Saoudiens et les pays du Golfe sont très inquiets, et on ne peut les taxer d’alignement sur Israël !

Certains diagnostiquent une alliance tacite entre Tel-Aviv et Riyad contre Téhéran…

Seulement parce qu’ils comprennent aussi, étant proches géographiquement de l’Iran, la menace que l’arme nucléaire iranienne représente ! En outre, considérez l’un de nos voisins immédiats : la Syrie. Depuis près de trois ans, c’est le massacre quotidien du peuple par le régime. Qui aide le président Assad dans cette oeuvre ? Deux entités, l’Iran et le Hezbollah libanais, qui combattent à ses côtés.

Souhaitez-vous le départ d’Assad ?

Nous sommes très clairs sur tout ce qui concerne nos intérêts sécuritaires, que nous défendrons toujours coûte que coûte. L’approche d’Israël est de s’assurer que ce drame ne franchisse pas ses frontières, que rien ne se produise qui menace sa propre sécurité et que les armes du régime n’atterrissent pas entre les mains de terroristes.

La Syrie des Assad n’a plus tiré une balle sur Israël depuis la guerre de 1973. Leurs potentiels successeurs pourraient adopter des tactiques plus agressives…

Il y a eu des tentatives ces deux dernières années pour plonger Israël dans cette crise. Nous ne sommes pas là pour ça. Nous sommes pour nous protéger.

En Égypte, le renversement des Frères musulmans par le général Sissi est-il une bonne chose pour Israël ?

L’Égypte est le pays arabe le plus important. Elle a traversé la phase des Frères musulmans et a finalisé la Constitution. La communauté internationale doit trouver le moyen de l’accompagner pour sauver son économie, qui a payé un lourd tribut à la révolution.

Mais qui vous convient le mieux, Morsi ou Sissi ?

Ce n’est pas à nous de décréter ce qui est bon pour l’Égypte. Nous avons des relations plutôt bonnes avec Le Caire en ce moment, et j’espère de tout coeur le succès du processus en cours.

Pensez-vous que l’initiative de paix d’Abdallah d’Arabie saoudite puisse être relancée ?

Je suis optimiste de nature et je pense qu’au bout la paix viendra avec l’ensemble des États arabes, dès lors qu’ils comprendront que nous sommes ici pour rester et qu’ils ne se débarrasseront pas de nous. Le bénéfice que nous pourrions tous tirer d’une telle paix serait fantastique. Quand j’étais, il y a quarante ans, un jeune officier en poste dans le Sinaï, je ne croyais pas une seconde que nous pourrions trouver la paix avec l’Égypte. Quand, plus tard, j’étais négociateur avec la Jordanie, si quelqu’un m’avait alors dit que la paix était imminente, j’aurais été sceptique ! Nous avançons dans la bonne direction. Certains ont longtemps dit que la question palestinienne était au coeur de tout et qu’une fois celle-ci résolue les problèmes régionaux seraient réglés. Les gens voient aujourd’hui les choses différemment : ce qui se passe en Afrique du Nord, en Syrie, en Irak, en Afghanistan n’a rien à voir avec Israël. Les extrémistes sont les ennemis de la paix, et ils sont ceux d’Israël comme ceux de nos voisins arabes.

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