RDC : la guerre des Katangais

L’accalmie en RDC aura été de courte durée. Les attaques meurtrières du 30 décembre ont démontré la faiblesse des services de renseignements, et prouvé que les ennemis de Kabila étaient loin d’avoir renoncé. Gardera-t-il le pouvoir en 2016 ? Qui le menace ? Comment stabiliser un pays aussi vaste et complexe ?

L’attaque du 30 décembre 2013 a été revendiquée par Paul-Joseph Mukungubila. © DR

L’attaque du 30 décembre 2013 a été revendiquée par Paul-Joseph Mukungubila. © DR

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Publié le 13 janvier 2014 Lecture : 5 minutes.

La victoire, en octobre 2013, de l’armée congolaise sur les rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23) a laissé croire que Joseph Kabila pouvait désormais dormir tranquille. Las, les attaques menées le 30 décembre contre des sites stratégiques à Kinshasa (l’aéroport de Ndjili, le siège de la radiotélévision nationale et celui de l’état-major de l’armée), ainsi qu’à Lubumbashi, Kolwezi (Katanga) et Kindu (Maniema) prouvent le contraire. D’autant plus que, le même mois, un groupe armé présenté comme les Forces alliées démocratiques-Armée nationale pour la libération de l’Ouganda (ADF-Nalu) s’est emparé du village de Kamango, dans le Nord-Kivu, avant d’en être délogé. Deux événements qui montrent à quel point la stabilité de la République démocratique du Congo reste fragile et qu’il suffit d’un rien pour la perturber.

Les opérations du 30 décembre, qui ont coûté la vie – officiellement – à quelque 100 personnes, ont été revendiquées, sans la moindre hésitation, par Paul-Joseph Mukungubila, autoproclamé "prophète de l’Éternel" d’un "ministère de la restauration à partir de l’Afrique noire" basé à Lubumbashi. Depuis des années, cet évangéliste katangais de 67 ans (candidat à l’élection présidentielle de 2006) se croit investi d’une mission divine : "libérer le Congo des Rwandais". Dans cette catégorie, il place celui qu’il appelle "Kanambe", entendez Joseph Kabila, cible de toutes ses flèches. Un comble pour ce dernier, que Kigali n’a jamais ménagé ! Le pasteur a même déclaré préférer soutenir "Azarias Ruberwa [le président du Rassemblement congolais pour la démocratie, RCD], un Tutsi rwandais qui veut devenir congolais officiellement, que Kanambe [qui] est un usurpateur". Dans la foulée, il a maudit son "cousin", Laurent-Désiré Kabila, feu le père de Joseph Kabila.

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Comme bon nombre de pasteurs évangéliques, il jouit d’une audience au-delà du Katanga. En 2010 déjà, les services congolais l’avaient soupçonné de préparer une action armée en recrutant d’anciens miliciens Maï-Maï. Il s’était défendu en affirmant qu’il ne faisait que recueillir des "brebis égarées". L’affaire en était restée là. Début décembre 2013, Mukungubila était revenu à la charge en diffusant des tracts où il se plaignait notamment de n’avoir pas été invité aux concertations nationales convoquées par le pouvoir dans la capitale du 7 septembre au 5 octobre. La tension était encore montée d’un cran après la signature, le 12 décembre, de la "déclaration de Nairobi" par le gouvernement et l’ex-M23, alors qu’une large majorité de Congolais ne voulait pas en entendre parler. Pour beaucoup, cette déclaration est un blanc-seing délivré par Kabila à ceux qui prennent les armes, même quand ils sont vaincus. En réalité, le président congolais a dû subir une forte pression de la communauté internationale, dont celle de Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, qui estimait un accord politique avec le M23 absolument nécessaire. Cette pression s’est encore accentuée le 6 décembre, lorsque François Hollande, le président français, a reçu dans la plus grande discrétion son homologue congolais à l’Élysée. Kabila n’a eu d’autre choix que de se plier aux desiderata de ses partenaires internationaux.

Numbi faisait office d’émissaire du président

C’est dans ces conditions qu’est survenue, le 28 décembre, la confirmation de Charles Bisengimana à la tête de la police nationale, en remplacement de John Numbi. Avant sa suspension en 2010 pour son rôle présumé dans l’assassinat du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son collaborateur Fidèle Bazana, l’ex-patron de la police jouait auprès de Kabila, dans le domaine de la sécurité, un rôle presque équivalent à celui d’Augustin Katumba Mwanke, éminence grise du chef de l’État, décédé en 2012 dans un accident d’avion, pour les autres affaires. La confiance de Kabila en Numbi était telle qu’il faisait office d’émissaire du président auprès des autorités rwandaises. Il ne cachait d’ailleurs pas sa grande amitié avec James Kabarebe, actuel ministre de la Défense de Kagamé.

Numbi, qui, officiellement, n’avait plus d’autre activité que la gestion de sa ferme dans les environs de Lubumbashi, a-t-il mal vécu ce passage de la lumière à l’ombre ? Quoi qu’il en soit, on le soupçonnait déjà de préparer sa revanche. Le caractère coordonné des attaques du 30 décembre est venu accréditer cette thèse. Mais il s’est défendu en déclarant : "Voilà le mal qui ronge le pays : les mensonges au lieu que les gens travaillent [sic]."

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Quand nous avons rencontré le général Numbi à Goma, en 2009, il a répondu à notre question sur son éventuelle ambition présidentielle par un simple sourire. Était-ce une façon de dire qu’il se contentait d’être le bras armé de Kabila ? Mystère.


Kabila en tournée en RDC, ici dans le nord Kivu, le 30 novembre. © ALAIN WANDIMOYI / AFP

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Inquiets de voir Kabila se retirer en 2016

Les Katangais seraient-ils mécontents ? Par Katangais, il faut entendre les Lubas du Katanga, ethnie du chef de l’État. Qu’il y ait des gens ambitieux dans cette communauté – on cite souvent Jean-Claude Masangu, l’ancien gouverneur de la Banque centrale, qui rêverait de devenir Premier ministre ou président -, quoi de plus normal ? Que certains Katangais pensent que le pouvoir actuel est leur propriété, c’est possible. Que d’autres soient inquiets de voir Kabila se retirer en 2016, c’est d’actualité. Pour le moment, rien n’est clair, l’intéressé ne s’étant pas exprimé clairement sur la question. Mais, à en croire Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, qui s’exprimait sur une radio internationale, "Kabila partira en 2016". Trois mois après, l’intéressé n’a pas confirmé. Seul signe tangible, sa récente tournée dans certaines provinces, qui avait des allures de précampagne électorale selon certains observateurs. De toute façon, si Kabila décide de se représenter en 2016, il devra d’abord modifier la Constitution. Ce qui n’est pas gagné d’avance !

Mais les événements du 30 décembre remettent à l’ordre du jour une question fondamentale : le professionnalisme et l’efficacité de l’armée, de la police et des services de sécurité. Un général de l’armée congolaise, qui a requis l’anonymat, résume le problème : "Les services de renseignements ont toujours minimisé le cas Mukungubila. L’armée souffre d’un déficit d’équipement d’intervention rapide. Les militaires chargés de la sécurité de l’état-major au camp Tshatshi avaient des AK-47 sans munitions. Il a fallu attendre des renforts de l’extérieur. Il y a un problème de confiance. Comme à l’époque de Mobutu, seule la Garde républicaine est mieux armée." Dans ces conditions, le chef de l’État risque de perdre tout le bénéfice tiré de la victoire sur le M23. L’un des héros de cette guerre, le colonel Mamadou Ndala, est mort le 2 janvier dans le Nord-Kivu, après être tombé dans une embuscade tendue, dit-on, par des "rebelles ougandais".

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