Du pouvoir de séduction des Libanaises aux tourments identitaires

Dans un ouvrage iconoclaste, Yves Lepesqueur se livre à une étude libre et décapante des affres du monde arabe depuis un siècle et demi. 

Couverture du livre « pourquoi les Libanaises sont séduisantes » de Yves Lepesqueur © DR

Publié le 29 mai 2022 Lecture : 3 minutes.

C’est un objet littéraire non identifié qui se présente au lecteur sous le titre Pourquoi les Libanaises sont-elles si séduisantes ? Sous-titré L’Histoire du Proche-Orient au vingtième siècle très brièvement expliquée à mes enfants, ce petit livre de 150 pages n’est pas un précis d’histoire. « Cela a commencé par une conversation sur la terrasse de notre petite maison, en Afrique, loin de l’Orient, loin de l’Occident », écrit en ouverture Yves Lepesqueur, dont la succincte biographie indique qu’il « a vécu et travaillé en Syrie, au Liban, en Arabie saoudite, en Iran, en Inde et au Nigeria ».

L’auteur part d’un tableau de la séduction en Orient – un subtil jeu des contraires –, derrière lequel on devine un peintre épris de son sujet d’étude : « L’Orient est ainsi, pétrissant ses contradictions, en désaccord intime avec lui-même, condamnant ce qu’il aime, tolérant ce qu’il condamne, négligeant ce qu’il instaure […]. » Mais cet Orient contradictoire et chéri décline : le sens de la séduction des Libanaises s’est dégradé en un recours frénétique à la chirurgie esthétique façon californienne. De ce constat, l’auteur développe une étonnante étude des tourments identitaires et politiques du Moyen-Orient, aussi décapante qu’iconoclaste.

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Rapprochement entre l’islamisme et l’occidentalisation

Yves Lepesqueur rembobine le fil de l’histoire moderne du monde arabe et met tout à plat : de la Nahda au jihadisme, en passant par les luttes anti-coloniales et le nationalisme arabe. Non selon la méthode d’un historien, en démêlant les faits, mais en convoquant son érudition et ses observations acérées au service d’une intuition : l’islamisme et l’occidentalisation, loin d’être incompatibles, sont les deux faces d’une même médaille.

Cette approche ouvre sur une série de considérations qui portent la controverse dans la plaie. Les divers soubresauts idéologiques qui ont agité le monde arabe ces deux derniers siècles ne seraient, selon l’auteur, que les symptômes d’une honte de soi. D’une volonté des Orientaux de liquider leur propre héritage, complexe et divers, au profit d’une identité réinventée, simplifiée, qu’elle se présente sous les traits du nationalisme arabe ou de l’islamisme. Avec une obsession : « Ne plus être l’Orient, être enfin un Occident simple, rationnel, efficace […]. » Les intellectuels de l’arabisme auraient ainsi « reconstruit le passé arabe » au profit d’un « passé lointain, le plus lointain possible, abbasside de préférence, ou omeyyade, voire anté-islamique […]. Là, le champ était libre pour inventer l’histoire qu’on voulait ».

Plus loin : « Quand un islamiste présente la société musulmane ancienne comme une société puritaine faite de braves gens sérieux se gardant sans peine des séductions de la femme, de l’art, de la pensée, comme la société, en somme d’une petite ville de la Bible Belt américaine, il ne ment pas : il l’imagine vraiment ainsi. Il n’y a guère d’obstacles aux supercheries identitaires qui se développent quand l’identité est bien morte. »

Le terroriste, produit du consumérisme

Dans ce petit essai très dense et stimulant, au ton volontiers polémique, Yves Lepesqueur se penche aussi sur les impensés des attentats jihadistes en Occident, notamment la figure du « voyou devenu terroriste », qui n’est pas une survivance d’un vieux monde qui ne veut pas mourir, mais au contraire le produit final de la société publicitaire et du consumérisme : « Le vide spirituel du monde de la consommation [dont il est revenu après sa “carrière” de voyou], il tente de le combler par un autre mode de consommation. Pas même celui des salafistes qui consomment la satisfaction de se voir si beaux en leur miroir, reproduisant le culte du moi en juste saisi par la grâce […] Ceux-ci, leur univers est celui des jeux vidéo : on est d’un camp, celui des bons, et on tue des méchants, on en fait exploser le plus grand nombre possible, sans remords, puisque tout cela est virtuel, n’a aucune épaisseur humaine […] C’est le jeu vidéo qui forme les terroristes, pas le Coran, qu’ils ignorent totalement. »

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Pourquoi les Libanaises sont séduisantes. Histoire du Proche-Orient au vingtième siècle très brièvement expliquée à mes enfants – suivi de On a bien progressé, Yves Lepesqueur, L’Harmattan, 152 pages, 16 euros.

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