Antisémitisme : Dieudonné, fini de rire
Adepte de blagues plus que douteuses sur la Shoah, l’humoriste franco-camerounais Dieudonné Mbala Mbala est dans le collimateur du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui veut interdire ses spectacles.
Manuel Valls contre Dieudonné Mbala Mbala, le ministre français de l’Intérieur contre un humoriste franco-camerounais transgressif, qui fascine autant qu’il révulse : un casting rêvé pour l’une de ces polémiques dont l’Hexagone a le secret. L’inventeur de la fameuse "quenelle", geste assimilé par ses détracteurs à un salut nazi inversé et qui fait fureur sur les réseaux sociaux, est dans le collimateur de l’homme fort du gouvernement socialiste.
Valls veut faire interdire ses spectacles – la circulaire rappelant aux préfets les voies légales pour y parvenir a été envoyée le 6 janvier – et le mettre à l’amende pour antisémitisme. Condamné à de multiples reprises pour diffamation, injures, provocation à la haine et à la discrimination raciales, Dieudonné n’a jamais réglé le moindre centime des 65 000 euros d’amendes cumulées qui lui ont été signifiées. Sa société de production a pourtant réalisé un chiffre d’affaires de 1,8 million d’euros en 2012 ; et son Théâtre de la main d’or, à Paris, fait souvent salle comble.
Né il y a quarante-sept ans à Fontenay-aux-Roses (région parisienne), Dieudonné s’est fait connaître grâce à son duo comique avec Élie Semoun avant de poursuivre sa carrière en solo en cultivant une fibre plus politique. Militant anti-impérialiste et chantre de la fierté noire, il s’était présenté aux législatives à Dreux, en 1997, pour faire barrage au Front national. Quinze ans plus tard, il ne fait plus mystère de sa proximité avec Jean-Marie Le Pen et s’est découvert un maître à penser en la personne d’Alain Soral, essayiste nationaliste et antisioniste. Contempteur du "lobby juif" et du "business de la Shoah", l’humoriste radicalisé aime se décrire en éveilleur de consciences iconoclaste. Boycotté, diabolisé par les grands médias, il a trouvé refuge sur internet.
>> Lire aussi Dieudonné, la quenelle et l’antisémitisme : la tentation du fascime noir ?
Dans l’une de ses dernières vidéos postées sur la Toile, entre deux quenelles, Dieudonné aborde le cas de Saïd Bourarach. Ce vigile retrouvé noyé le 31 mars 2010 dans le canal de l’Ourcq, en banlieue parisienne, avait été tabassé par cinq voyous connus pour leurs liens avec la Ligue de défense juive. Dieudonné s’insurge contre le silence assourdissant des associations antiracistes et de l’étonnante mansuétude à l’égard des auteurs de cette ratonnade, qui n’ont toujours pas été jugés. Effet garanti. Dans la même vidéo, il établit un parallèle entre la situation des Noirs sous l’apartheid et celle des Palestiniens des Territoires occupés. Là aussi, son propos est difficile à réfuter. Entre deux outrances, il vise parfois juste.
La pensée conspirationniste se porte mieux que jamais
Dieudonné est évidemment le symptôme d’un malaise français. Ses spectacles sont autant d’exutoires aux frustrations d’une partie de son auditoire, celle qui s’estime stigmatisée, à tort ou à raison. Mais son public est polymorphe, et son succès se situe au croisement de plusieurs tendances : le vieil antisémitisme des années 1930, le ressentiment postcolonial et la théorie du complot.
La pensée conspirationniste ne s’est jamais aussi bien portée que depuis le 11 Septembre. Contre-culture underground jadis confinée à des groupuscules ultraradicaux, elle est aujourd’hui en passe de devenir la culture dominante, par la "magie" d’internet. La cyberdissidence de Dieudonné joue sur ces registres, en se nourrissant de l’hostilité des médias institutionnels. Mais face à un tel phénomène, les réponses classiques – la stigmatisation, l’ostracisme et la censure – sont devenues inopérantes et archaïques.
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