RDC : Kabila le funambule
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 6 janvier 2014 Lecture : 2 minutes.
Il a 42 ans, et le 26 janvier prochain cela fera treize longues années qu’il préside aux destinées d’un immense pays ingouvernable, comme une balle de ping-pong posée sur un jet d’eau. Un pays ou une surface ? Un peuple ou une mosaïque ? Ces questions méritent d’être posées tant le Congo de Joseph Kabila Kabange semble avoir de problèmes avec la définition même de son identité. Les centaines de fidèles en tee-shirts blancs du pasteur Mukungubila, qui ont lancé, le 30 décembre, une charge suicidaire aux quatre coins de la République, n’obéissaient à aucune revendication sociale ou politique, mais à un simple mot d’ordre xénophobe : dégager celui que leur prophète appelle "Kanambe", "Kabila le Rwandais", de qui vient tout le mal, comme le bien vient de Dieu.
Ici, les Églises du réveil – on en compte plus de dix mille rien qu’à Kinshasa – fonctionnent comme les partis : ce sont des entreprises qui recherchent sur le marché le moyen le plus rapide de prospérer. Depuis treize ans, les guides spirituels de ces armées célestes tout comme la plupart des leaders politiques d’opposition n’ont rien trouvé de plus mobilisateur, de plus démagogique et de plus honorable que de vitupérer "l’étranger" au pouvoir, tout particulièrement celui que l’on préfère haïr : le Tutsi rwandais. Double et nauséeuse rumeur : Joseph n’est pas le fils de son père, Joseph vient de l’autre rive du lac Kivu. Insinuations sans fin sur fond d’absence d’état civil auxquelles il est impossible de mettre un terme, mais qui se révèlent, entre les mains de ceux qui les manipulent à l’envi, d’une redoutable efficacité.
Joseph Kabila est contraint d’apporter sans cesse la preuve qu’il ne joue pas le jeu de Kigali.
Comme un funambule sur son fil, Joseph Kabila est contraint d’apporter sans cesse la preuve qu’il ne joue pas le jeu de Kigali, quitte à en rajouter dans la défiance. Mais à peine fait-il mine de redresser le balancier, ainsi que le lui suggère la communauté internationale, que l’hydre identitaire ressurgit. La concomitance entre la signature de l’accord de Nairobi avec le M23, la nomination à la tête de la police d’un général d’origine tutsie congolaise et l’assaut meurtrier du 30 décembre est à cet égard plus que troublante. Il y a sans doute beaucoup de motifs pour critiquer la gouvernance, l’opacité fonctionnelle, la désinvolture souvent d’un homme dont on ignore toujours les projets, alors que son dernier mandat non renouvelable arrive à terme en 2016. Et cela même si la gestion des affaires publiques s’est incontestablement redressée depuis deux ans.
Mais faire de sa naissance, de sa biographie et de ses liens de parenté supposés, le tout sans aucune preuve, la gâchette suprême sur laquelle on appuie pour envoyer des militants fanatisés à la boucherie est la plus mauvaise de toutes les raisons. À ce stade, ce n’est plus de la politique mais du ndokisme, comme l’on dit parfois au Congo. De la sorcellerie.
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