Guerre 14-18 : deux célèbres inconnus

Revenant sur le destin d’un tirailleur africain, L’Homme de l’année 1917 souligne à quel point la Première Guerre mondiale annonce déjà les débuts de l’anticolonialisme.

Un dessin inspiré par de nombreux documents historiques. © Duval – Pécau – M.Fab / Editions Delcourt

Un dessin inspiré par de nombreux documents historiques. © Duval – Pécau – M.Fab / Editions Delcourt

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Publié le 8 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.

Morts pour la France
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Et si l’homme de l’année 1917 était… un tirailleur sénégalais ? Sur un concept imaginé par Fred Blanchard et visant à raconter la vie de ces anonymes qui ont fait l’Histoire, les scénaristes français Fred Duval et Jean-Pierre Pécau ont eu une idée joyeusement provocatrice. L’indiquer d’entrée de jeu, c’est sans nul doute amoindrir la portée des révélations successives qui font la force de leur bande dessinée sur le Soldat inconnu intitulée L’Homme de l’année 1917. Ceux qui souhaitent préserver le suspense cesseront donc ici la lecture de cet article. Pour les autres, voici ce que dit Fred Duval : « Nous avons eu deux idées. La première, c’était de se dire : et si le Soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? La seconde, c’était de chercher qui était l’homme derrière le visage pour toujours associé à la marque Banania. »

L’Homme de l’année 1917 est avant tout une histoire d’amitié entre un fils de colon installé à Gabiadji, dans la région du Bas-Sassandra (Côte d’Ivoire), et un homme de la plantation, Bouba. Une histoire qui commence comme un roman d’aventures, porté par le dessin dynamique de Mr Fab. Mais alors que les épisodes qui se déroulent en Afrique subsaharienne, puis au Maroc, sont malgré leur violence éclairés d’une belle lumière, la vie du lieutenant Boubacar comme celle du capitaine Sorbier plongent vite dans la cruelle noirceur des tranchées… « On entend fréquemment dire que la « force noire » a servi de chair à canon, ce qui n’est pas faux, explique Duval. Mais nous avons voulu montrer que, contrairement à ce que l’on pense souvent, des tirailleurs ont fini par devenir officiers. » Les auteurs se sont beaucoup documentés, d’un point de vue historique, sur les batailles au cours desquelles les tirailleurs se sont illustrés – en particulier celle de Verdun et celle du Chemin des Dames (dans l’Aisne). Jean-Pierre Pécau est même allé fouiner dans sa propre famille, utilisant le livre de Bruno Baverel Lieutenant indigène comme documentation.

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La boue, la mort, les rats, les viscères : la violence de la guerre est ainsi rendue avec un réalisme éprouvant. De la devise française « Liberté, Égalité, Fraternité », il ne reste pas grand-chose, si ce n’est peut-être cette amitié impossible entre un fils de colon et un tirailleur. Mais c’est pourtant de ses aspects les moins réalistes que cet album tire toute sa puissance d’évocation, soulignant à quel point la guerre de 1914-1918 annonce déjà les débuts de l’anticolonialisme. « On pourrait même parler de ce contingent de soldats noirs américains qui ont pu observer une société certes inégalitaire, mais pas ségrégationniste », ajoute Duval.

Banania, une boisson énergisante servie dans les tranchées

Mort sur le champ de bataille pour avoir tenté de sauver son ami, Bouba ne sera pas sans sépulture : par un tour de passe-passe totalement irréaliste mais extrêmement émouvant, son ami parvient à s’arranger pour que son corps devienne celui que la France honore tous les 11 novembre. Mieux, par un autre tour de passe-passe, Bouba devient le visage d’un autre inconnu célèbre, le zouave de la marque Banania… « Cette boisson inventée en 1912 et commercialisée à partir de 1914 était servie dans les tranchées comme une boisson énergisante, ce qu’elle est en effet. On sait que le portrait a été réalisé par un certain Giacomo de Andreis. Le problème, c’est qu’il en existe deux : un qui à l’époque peignait des publicités à Marseille, et un second qui était peintre de l’armée. On a tenté d’en savoir plus, mais chez Banania personne ne nous a répondu. » Un symbole de plus…

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