Afrique du Sud : quel poids politique pour le nouveau roi zoulou ?
Un demi-siècle après son père, c’est au tour de Misuzulu kaZwelithini d’être couronné roi des Zoulous. Sans pouvoir exécutif, le monarque aura-t-il la même influence politique que son prédécesseur ?
« Les leaders politiques, de toutes sensibilités confondues, sollicitaient régulièrement ses conseils, y compris moi. » Cette confidence, le président Cyril Ramaphosa l’a prononcée lors de l’éloge funèbre de Goodwill Zwelithini. Après cinquante ans de règne, le roi zoulou est mort du Covid-19 le 12 mars 2021, à l’âge de 72 ans. « Sa Majesté était l’un de nos chefs traditionnels les plus vénérés », reprend Ramaphosa.
La Constitution sud-africaine reconnaît le rôle et le statut des chefs traditionnels, mais c’est le régime républicain qui prévaut sur tout le territoire. Le roi zoulou jouit d’abord d’une autorité culturelle. Il est le gardien des coutumes. Goodwill Zwelithini a notamment réintroduit la danse des roseaux, une célébration controversée de la virginité des jeunes femmes, que l’on retrouve également en Eswatini. Les adolescentes paradent en tenue traditionnelle, les seins nus, avant d’offrir un roseau au roi. Le souverain exerce également une autorité morale sur ses sujets. En promouvant la virginité des femmes, la danse des roseaux permet de lutter contre le VIH, arguait Goodwill Zwelithini.
Utilisés comme relais de l’État, les chefs traditionnels peuvent jouer un rôle dans le déploiement de pratiques sanitaires et éducatives. En 2020, Cyril Ramaphosa les appelaient à prendre part au plan national de lutte contre les violences sexistes, et Goodwill Zwelithini s’était fait remarquer pour avoir dénoncé les nombreux viols perpétrés dans sa province.
Une voix qui compte
La voix du roi zoulou compte, pour le meilleur comme pour le pire. Car l’ancien roi faisait aussi preuve d’homophobie et de xénophobie. En avril 2015, des émeutes avaient éclaté après qu’il avait demandé aux étrangers de faire leurs valises et de quitter le pays. À l’issue d’une enquête, la Commission sud-africaine des droits de l’homme avait épinglé des propos « blessants » et « nuisibles », mais ne l’avait pas rendu responsable des émeutes meurtrières. Goodwill Zwelithini avait prétendu que ses propos avaient été mal traduits et déformés dans les médias. « Si j’avais lancé la guerre dans ce pays, il serait déjà en cendres », plastronnait-il.
Goodwill Zwelithini prenait parfois des accents belliqueux pour faire pression sur les autorités. Mais ce descendant du célèbre guerrier Shaka Zulu avait aussi œuvré à la pacification du KwaZulu-Natal au début des années 1990. Le régime ségrégationniste de l’apartheid touchait à sa fin et la guerre faisait rage entre les militants du parti zoulou Inkatha Freedom Party (IFP) et ceux du Congrès national africain (ANC). « Alors que le pays se dirigeait vers la démocratie, il a appelé à la fin des assassinats politiques », saluait Cyril Ramaphosa lors de ses obsèques.
Il a changé de camp en fonction de qui le financerait
À ce moment crucial de l’histoire sud-africaine, la domination du parti de Nelson Mandela, aux portes du pouvoir, a forcé le monarque à revoir ses alliances. Le souverain a su prendre ses distances avec son cousin, le prince Mangosuthu Buthelezi, fondateur de l’IFP. « Il a changé de camp en fonction de qui allait pouvoir le financer », résume le sociologue Gerhard Maré, professeur émérite à l’université du KwaZulu-Natal et spécialiste des questions ethniques.
De fait, les gouvernements successifs de l’ANC ont veillé sur le palais royal. En 2022, la province du KwaZulu-Natal a versé quatre millions d’euros en guise de budget de fonctionnement. À cela s’ajoutent 74 000 euros de salaire versé annuellement au roi et à la reine. De l’argent de poche pour le roi zoulou, qui est d’abord un riche propriétaire terrien.
Reliquat de l’apartheid
Le souverain dirige l’Ingonyama Trust, une structure qui possède un tiers des terres de la province du KwaZulu-Natal, soit 3 millions d’hectares. Ce trust avait été obtenu de haute lutte par le prince Mangosuthu Buthelezi juste avant les élections d’avril 1994. Il gère une partie des terres de l’ancien bantoustan du Zululand, autrefois réservé aux Noirs dans la logique du « développement séparé » voulu par la minorité blanche au pouvoir. L’Ingonyama Trust est donc un reliquat de l’apartheid.
Cette structure permet au roi d’exercer un pouvoir économique sur ses sujets. Il perçoit des loyers sur ses terres et octroie des concessions au secteur privé (mines, agriculture, centre commerciaux, etc). Les habitants doivent signer un bail avec le Trust et lui versent eux aussi un loyer – un privilège controversé dans un pays qui se bat contre la dépossession des terres. « Il est urgent de changer cette relation, comme le prévoit la Constitution. C’est le peuple qui possède la terre, pas les chefs », dénonce l’avocat Tembeka Ngcukaitobi dans son livre Land Matters, sorti en 2021.
De fait, l’Ingonyama Trust pourrait être menacé. Le gouvernement sud-africain travaille à une loi d’expropriation sans compensation. Conséquence des lois ségrégationnistes du début du 20ème siècle, 72% des terres agricoles sont aujourd’hui détenues par des Blancs. L’accaparement des terres par le roi zoulou entre donc en contradiction avec l’esprit de la réforme en cours.
Menace de sécession
Ce projet avait déjà provoqué la colère du défunt Goodwill Zwelithini. « [Le président Ramaphosa] doit nous dire que la terre des Zoulous sera préservée, puis signer un accord », déclarait-il devant ses soutiens à Durban, en 2018. L’année suivante, il comparait ce projet à de la « zoulouphobie » et menaçait de faire sécession en cas d’application.
La réforme pourrait bientôt revenir sur le bureau du nouveau souverain, Misuzulu kaZwelithini, 47 ans. « Le plus important, c’est de voir s’il va permettre à l’Ingonyama Trust de continuer ainsi », anticipe le sociologue Gerhard Maré. La reprise en main de ce dossier pourrait permettre au souverain d’asseoir son autorité sur les 11 millions de Zoulous qui vivent en Afrique du Sud.
Le roi est faible ou fort selon qui tire les ficelles
Car c’est un homme sans bilan qui prend la tête de la plus importante des huit royautés reconnues dans le pays. Saura-t-il s’imposer ? « Le roi est faible ou fort selon qui tire les ficelles et selon quel comportement politique il adopte lors des élections », analyse Gerhard Maré, par ailleurs auteur de Ethnic Continuities And A State Of Exception. Ce livre, sorti en 2020, raconte comment l’identité zouloue est devenue politique à travers trois leaders : le roi Goodwill Zwelithini, le prince Mangosuthu Buthelezi et Jacob Zuma.
L’ethnie a joué un grand rôle dans la carrière politique de l’ancien chef de l’État. « 100% Zulu Boy », l’appelaient ses soutiens pour le défendre lorsqu’il était poursuivi pour viol. « Depuis les années 1990, le rôle de Jacob Zuma a été central pour la survie du roi. Il a mis l’ethnie au centre de sa politique dans la province du KwaZulu-Natal ainsi que dans tout le pays », écrit Gerhard Maré. Une relation gagnant-gagnant, qui a favorisé son accession au pouvoir en 2009. L’ancien président pouvait compter sur une large base de fidèles. Les adhésions à l’ANC dans la région ont triplé entre 2007 et 2012.
Le KwaZulu-Natal sera aussi le théâtre de sa chute. D’abord avec Nkandla, vaste domaine niché dans les collines et en partie financé par des détournements d’argent public. La révélation de ce scandale a contribué à affaiblir son dernier mandat. Puis avec cette visite de la dernière chance : cerné par les affaires de corruption, poussé vers la sortie par les ténors de l’ANC, Jacob Zuma se rend chez le roi Goodwill Zwelithini au début de février 2018. Dix jours plus tard, il démissionne. Était-il venu demander conseil ou chercher un soutien ? Le contenu de l’entretien est resté secret. Goodwill Zwelithini qualifiera le retrait de Zuma de « courageux ».
C’est avec Cyril Ramaphosa qu’il faut désormais traiter. Le président sud-africain est – littéralement – un faiseur de rois. C’est lui qui a officiellement reconnu Misuzulu kaZwelithini comme le nouveau souverain zoulou. Le communiqué du 16 mars 2022 est venu apposer le sceau de légitimité qui manquait au « roi-élu », simplement désigné par un testament contesté par une partie de la famille royale. « Je me joins à tout le peuple d’Afrique du Sud pour souhaiter à Sa Majesté le Roi Misuzulu Zulu un règne long et prospère », a félicité Cyril Ramaphosa. Fumée blanche.
Un ami du défunt roi émet toutefois un souhait pour son successeur. « Je serais heureux s’il restait éloigné de la politique, lâche Bantu Holomisa, député et fondateur du Mouvement démocratique uni. Sa priorité est d’unir la famille royale. Il devra ensuite s’imposer et obtenir le soutien des Zoulous. » L’Inkatha appelle également à la neutralité. « Nous pensons qu’une institution traditionnelle est au-dessus de la politique. Elle n’a pas besoin d’appartenir à une organisation politique », prévient Velenkosini Hlabisa, président de l’IFP, deuxième parti dans le KwaZulu-Natal lors des élections locales de 2021.
Nation zouloue
À l’approche des élections internes de l’ANC, programmées en décembre prochain, la tentation sera grande pour les candidats de mobiliser la « nation zouloue » . Le province, avec ses nombreux délégués, est essentielle pour remporter le scrutin, et des prétendants au fauteuil présidentiel y ont déjà été aperçus. Zweli Mkhize, l’ancien ministre de la Santé écarté pour des soupçons de corruption, a ainsi profité du mariage de son fils pour mettre en scène ses soutiens. Lors d’une cérémonie zouloue, des chefs traditionnels ont rallié ce cadre de l’ANC, habillé en peaux de léopards et armé d’un bouclier.
Ces manœuvres sont d’abord destinées à séduire la base plutôt qu’à attirer l’attention du nouveau roi. Sur les réseaux sociaux, celui-ci s’est récemment affiché avec le Premier ministre de la province, avec le président de la CAF, Patrice Motsepe, et avec Jacob Zuma. Misuzulu Zulu a beau pour l’instant être discret, il aura retenu la leçon de son père : en politique, c’est du gagnant que vient l’argent.
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