Libreville : crise de croissance
Libreville dans tous ses états
Jean Pamphile Koumba est géographe urbaniste, chef du département de géographie de l’université Omar-Bongo (UOB) de Libreville.
La capitale gabonaise fait partie du club des métropoles dont la taille double toutes les décennies. Confrontée à une crise urbaine multiforme que dissimule mal son slogan de "ville propre, belle et accueillante", elle doit relever ce défi de l’urbanisation galopante.
Concentrant l’essentiel des revenus pétroliers, du fait de la centralisation de l’État, Libreville est en effet soumise à une croissance démographique exponentielle, dopée par les différents booms économiques qu’a connus le pays. Sa population, estimée à 31 000 habitants en 1960, est passée de près de 420 000 habitants en 1993 à 700 000 en 2010, soit 53 % de la population nationale (alors qu’elle n’en abritait que 10 % en 1960 et 40 % en 1993). En trente ans, son poids démographique a quintuplé par rapport à celui de Port-Gentil, la capitale économique.
Cette explosion, alimentée par une forte immigration et une dévitalisation de l’arrière-pays, a eu un effet de levier sur le développement spatial de la ville, qui monopolise les activités économiques (elle contribue à hauteur de 64 % au PIB du pays hors pétrole) et l’emploi salarié (51 % des travailleurs).
Cette hypermétropolisation de la capitale a donné lieu à une urbanisation incontrôlée en direction des zones périphériques, comme Owendo (situé au sud de la ville), Angondjé (Nord) et Melen-Bikélé (Est). Ainsi, les quartiers précaires et sous-intégrés (majoritairement des bidonvilles) occupent les trois quarts de l’espace urbain à Libreville, qui s’étend sur 22 000 ha. Mal connectés aux différents réseaux techniques urbains, ils sont régulièrement en proie aux inondations, aux éboulements et aux glissements de terrain parce qu’édifiés en fond de vallée ou à flanc de colline par des populations démunies.
Le déficit en logements, estimé en 2000 à 8 000 unités (contre 160 000 pour l’ensemble du pays), alimente une forte spéculation immobilière et foncière que le rythme actuel de construction ne permet pas de résorber à moyen terme. D’autant que les politiques d’accès à l’habitat social sont demeurées inefficaces.
La capitale souffre également d’une crise du transport et de la circulation urbaine, qui alimente la spéculation sur les tarifs pratiqués par les chauffeurs de taxi collectif. S’y ajoutent le manque d’accès de certains quartiers à l’eau potable ainsi que les nombreux délestages qui témoignent d’une crise énergétique. Enfin, Libreville éprouve d’énormes difficultés à assurer la gestion des ordures ménagères, qui jonchent ses rues.
L’expansion spatiale, nourrie par une croissance économique et une immigration fortes, s’est soldée par une urbanisation anarchique, que les différents plans (Pottier en 1962, Ollivro-Prass en 1965) n’ont pas su juguler. Quant au schéma directeur actuel, il accentue la problématique de l’étalement et de la périurbanisation en prônant la création d’une conurbation entre Libreville et Ntoum, ville située à environ 40 km à l’est de la capitale.
La complexité de cette thématique nécessite d’agir sur quatre leviers. D’abord, il faudrait renforcer le niveau d’équipement et d’activités économiques des grandes villes de l’arrière-pays afin qu’elles jouent pleinement leur rôle de métropoles d’équilibre en absorbant le surplus démographique. Il faudrait aussi agir sur les banlieues de la capitale, pour les faire passer de leur situation actuelle de cités-dortoirs au statut de villes nouvelles à part entière. Le troisième levier serait une politique courageuse de rénovation urbaine de Libreville, qui aurait pour objectif une meilleure structuration fonctionnelle de la ville par l’ouverture de grandes diagonales routières, l’éradication des quartiers pauvres, etc. Enfin, il s’agirait de rompre avec le modèle de la maison de plain-pied pour passer au modèle vertical en construisant des immeubles, moins consommateurs d’espace.
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