Pape Diouf : « La France reste une coquille fermée »

Face à la montée de la xénophobie, l’ancien patron de l’OM est tenté de s’engager sur une liste de gauche lors des municipales à Marseille, l’an prochain. En attendant, Pape Diouf s’est confié à « Jeune Afrique ».

Pape Diouf pense à rejoindre la gauche marseillaise pour chasser Jean-Claude Gaudin. © SEYLLOU / AFP

Pape Diouf pense à rejoindre la gauche marseillaise pour chasser Jean-Claude Gaudin. © SEYLLOU / AFP

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 2 janvier 2014 Lecture : 6 minutes.

Avant les élections municipales de l’an prochain, l’ancien patron de l’Olympique de Marseille refait parler de lui. Sera-t-il aux côtés de la gauche marseillaise pour tenter de déloger Jean-Claude Gaudin, le maire UMP, d’un fauteuil qu’il occupe depuis 1995 ? Il n’a pas encore pris sa décision, mais semble résolu à mettre sa popularité dans la balance. Rencontre à Paris.

jeune Afrique : Que vous inspire l’émotion qui, dans le monde entier, a suivi le décès de Nelson Mandela ?

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PAPE DIOUF : C’est un juste retour des choses. Mandela s’était imposé par sa tolérance, son ouverture d’esprit, sa volonté inébranlable de combattre l’injustice et l’iniquité. Je ne pense pas qu’il ait existé un précédent dans l’Histoire. Il y a eu Gandhi et Martin Luther King, mais ils n’ont pas bénéficié d’un jugement aussi favorable.

Le rôle joué par la France au Mali et en Centrafrique vous gêne-t-il ?

Non, il me paraît légitime. La seule chose que l’on puisse regretter, c’est que la France soit le seul grand pays impliqué dans ces interventions. Où sont l’Europe et les États-Unis ? Même si certains y voient une tactique pour se refaire une virginité, il me semble que François Hollande s’en tient aux valeurs qu’il a toujours défendues.

La politique sénégalaise vous intéresse-t-elle ?

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Je suis l’actualité. En leur temps, Senghor et Diouf avaient posé et consolidé les bases de l’État. Le Sénégal avait pris de l’avance sur la plupart de ses voisins. Avec Abdoulaye Wade, il y a eu affaiblissement. Le président a monarchisé un pays qui était une vraie république, et son fils a pensé en être un prince. L’arrivée de Macky Sall devrait mettre fin à cette dérive. C’est le seul moyen de relancer le débat démocratique et le développement.

Quel regard portez-vous sur la fin de la présidence Wade ?

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La valeur d’un homme d’État se mesure à la manière dont il conquiert le pouvoir, à celle dont il l’exerce et à celle dont il le quitte. Dans la conquête, Wade a refusé les compromissions et, à ce titre, mérite des éloges. Dans l’exercice du pouvoir, il y a eu du bon et du très mauvais. Quant à son départ, on peut penser qu’on lui a un peu forcé la main.

Vous avez la double nationalité. Avez-vous voté pour Macky Sall ?

Je n’ai pas voté au Sénégal, parce que je n’y vis plus depuis trente ans. Mais en France, j’ai trouvé tout à fait légitime et normal de voter, comme je trouverais légitime et normal que, demain, les étrangers qui y vivent puissent le faire, conformément à la promesse du candidat socialiste.

Vous avez appelé à voter pour lui…

Par opposition à la Sarkozie. Pour moi, ce régime qui se réjouissait d’expulser davantage d’étrangers et de réduire le nombre des naturalisations n’était plus en conformité avec les valeurs qui ont fait la France. Je n’attendais pas de François Hollande qu’il règle tous les problèmes économiques et sociaux, mais qu’il opère un retour à ces valeurs-là.

Avez-vous le sentiment que le racisme progresse en France ?

Malheureusement, la vie politique française est dominée par l’extrémisme de droite. Tout se détermine en fonction des positions du Front national, notamment au sein de l’UMP [Union pour un mouvement populaire] de Jean-François Copé, où la surenchère tient lieu de politique. Pour ma part, j’ai toujours considéré le racisme comme une connerie très humaine. Et qu’était libre d’être con qui le voulait. Je ne veux pas, parce que je suis noir, donner l’impression de souffrir d’un complexe de persécution.

Pensez-vous que ce pays soit à la traîne en matière de diversité ?

La France reste une coquille fermée. Pas un Noir ou un Arabe à la tête d’une société du CAC 40. Pas un Noir ou un Arabe à la tête d’un corps d’armée important. Pas un Noir ou un Arabe, jusqu’à Christiane Taubira, à la tête d’un ministère régalien. Pas un Noir ou un Arabe responsable, même dans le football !

Marseille, où vous vivez, a une image bien négative dans les médias…

On a fait de Marseille une ville violente, mais je m’inscris en faux. Le vrai problème est social. La violence y a toujours existé, comme à Lyon, Nice ou Paris. Elle a longtemps été plutôt le fait d’une sorte d’aristocratie du banditisme, corse ou autre. Aujourd’hui, elle est beaucoup plus populaire, et ça gêne infiniment plus. Ce qu’on ne dit pas, c’est que les quartiers nord sont habités par des populations dont les parents ont été appelés pour édifier le parc immobilier de la ville et redonner à l’industrie locale un certain élan. Ils ont été parqués et abandonnés. Ils ont vécu d’expédients et on a fermé les yeux sur ce qu’ils faisaient. Non seulement on économisait ainsi sur les dépenses sociales, mais, en plus, ces gens-là ne risquaient pas de gonfler les chiffres du chômage. De temps en temps, on envoyait un car de police pour se donner bonne conscience, et hop ! on oubliait. Mais le monde a changé, le bloc de l’Est s’est effondré, le Moyen-Orient est devenu une poudrière incontrôlable et les armes ont proliféré. Les règlements de comptes qui se faisaient avec des armes conventionnelles se font désormais à la kalachnikov. Marseille, c’est un Nord très pauvre et un Sud plutôt riche. Si on ne réduit pas cette fracture, la situation ne fera qu’empirer.

Les dérives de certaines élites sont-elles en cause ?

C’est incontestable. Des attitudes contraires à la démocratie freinent le développement local et font la part belle au clientélisme et à la corruption. La ville a été abandonnée à elle-même, parce que les politiques n’ont bien souvent pensé qu’à rempiler, quitte à tordre le cou aux valeurs qu’ils étaient censés défendre.

Que vous inspirent les candidats arrivés en tête de la primaire socialiste ?

Patrick Mennucci a pour lui la légitimité sortie des urnes, même si sa personnalité est assez controversée. Samia Ghali est une femme de convictions, un d’Artagnan en jupon pour certains, qui estime que ses origines ne l’ont pas aidée. C’est quelqu’un qui s’est fait à la force du poignet et a beaucoup oeuvré en faveur des défavorisés.

Vous avez multiplié les rencontres…

Mennucci voudrait que j’accepte la tête de liste dans une des mairies de secteur. Les gens qui ont créé le mouvement le Sursaut, qui regroupe des universitaires, des chercheurs, des journalistes et d’anciens politiques, sont également venus me voir. Ils pensent pouvoir constituer une alternative aux partis traditionnels…

Êtes-vous prêt à plonger dans le marigot ?

J’estime qu’il est impératif de se battre de manière citoyenne pour aider la ville et faire barrage au lepénisme, mais la politique politicienne ne m’a jamais attiré. La vérité est que je n’ai pas pris ma décision. Se lancer dans une élection municipale dans une ville comme Marseille requiert un engagement à 100 %. Pour l’instant, je suis encore un peu réticent.

Vous craignez pour votre popularité ?

La popularité ne sert à rien si on ne la met pas au profit d’une démarche honorable. Sinon, c’est être comme l’avare qui a perdu son trésor dans la fable de La Fontaine. Le hic, c’est l’émiettement des voix à gauche si je rejoins le Sursaut.

Et l’OM dans tout ça ?

Pour le supporteur de base que je suis redevenu, la situation du club est navrante. Nous sommes cette année les premiers anciens vainqueurs [en 1993] à n’avoir marqué aucun point dans la phase de groupes de la Ligue des champions. À la pétanque, on appelle ça faire fanny ! Quand un président dit qu’il veut que l’OM ressemble au Borussia Dortmund, ça me fait sourire. Bernard Tapie ne disait pas qu’il voulait ressembler au Milan AC, il disait qu’il voulait battre le Milan AC. Mais ce que je déplore le plus aujourd’hui, c’est le manque de passion.

Et vous, toujours passionné ?

Comme Raymond Aron était un spectateur engagé, je reste un observateur engagé. La passion est toujours là, mais, quand on a été président de l’OM, il est très compliqué de faire autre chose. Si je reviens au football, ce ne pourra être qu’en tant que patron. Et dans un club au moins aussi important que Marseille.

Le Paris Saint-Germain, par exemple ?

[Rires.] C’est le seul où je ne pourrais jamais exercer, le seul

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Propos recueillis par Nicolas Michel

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