George Chicoty : « On peut être noir, riche et honnête »

La santé du président dos Santos, les relations avec Paris, les accusations de corruption portées contre de hauts responsables angolais… De passage à Paris, George Chicoty, ministre angolais des Affaires étrangères, s’est confié à « Jeune Afrique ».

Lors de l’entretien avec George Chicoty, le 9 décembre dernier. © Vincent Fournier pour J.A.

Lors de l’entretien avec George Chicoty, le 9 décembre dernier. © Vincent Fournier pour J.A.

ProfilAuteur_TshitengeLubabu

Publié le 3 janvier 2014 Lecture : 5 minutes.

Pendant presque un mois, tout Luanda a bruissé de rumeurs sur son état de santé. Finalement rentré au pays le 4 décembre après un séjour prolongé en Espagne, le président dos Santos a préféré ne pas assister au sommet de l’Élysée sur la paix et la sécurité dans le Sahel. Et c’est George Chicoty, son ministre des Affaires étrangères, qui l’a représenté à Paris les 6 et 7 décembre. Interview.

Jeune Afrique : Était-il opportun que le sommet de début décembre se tienne à Paris ?

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George Chicoty : il est vrai que les questions qui ont été abordées le sont généralement au niveau de l’Union africaine [UA]. Mais depuis la guerre au Mali et maintenant la crise en Centrafrique, il y a eu une certaine coopération entre la France et les pays membres de l’UA. Donc il fallait que nous discutions, fût-ce à Paris.

Le président José Eduardo dos Santos n’était pas présent. On dit son état de santé préoccupant…

Le chef de l’État va très bien. Il s’est rendu à Barcelone, en Espagne, pour un problème dentaire [il a été absent du 9 novembre au 4 décembre], mais il est maintenant rentré à Luanda et s’est remis au travail.

À la suite de l’Angolagate, dans les années 1990, les relations entre l’Angola et la France s’étaient durablement tendues. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

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Nous avons connu des hauts et beaucoup de bas, c’est vrai. Il y a eu une longue période de refroidissement. Mais depuis la visite du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, à Luanda, en octobre dernier, nous avons décidé de redynamiser nos liens. Nous allons essayer de faciliter le travail des entreprises françaises qui veulent s’installer en Angola et réciproquement. Nous avons par exemple décidé d’exempter de visa les détenteurs de passeport diplomatique et de passeport de service, afin que les cadres de nos deux pays circulent aisément.

José Eduardo dos Santos viendra-t-il en France l’année prochaine ?

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Le président François Hollande l’a effectivement invité, mais nous devrons traiter un certain nombre de dossiers avant de pouvoir fixer une date pour ce voyage.

Les manifestations, de jeunes mais aussi de l’opposition, se sont multipliées ces derniers mois en Angola. Cela vous inquiète-t-il ?

Ceux qui descendent dans la rue n’appartiennent pas nécessairement à un parti ou à un courant politique. Ce qu’ils veulent, c’est tout casser, inciter à la violence, se faire voir… Le gouvernement joue son rôle en faisant respecter la loi. On ne peut pas manifester où l’on veut, comme on veut. D’autant qu’après de longues années de guerre la plupart des Angolais n’ont qu’une aspiration : reconstruire le pays.

Le gouvernement joue son rôle en faisant respecter la loi. On ne peut pas manifester où l’on veut

L’affaiblissement de l’Unita (l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), qui a été largement battue lors des législatives d’août 2012, est-il une bonne chose ?

L’Unita existe toujours, mais ne peut plus se mesurer au MPLA [Mouvement populaire de libération de l’Angola, au pouvoir]. Toutefois, il y aura toujours une opposition : une bonne démocratie doit être multipartite.

Comment expliquez-vous le fait que la manne pétrolière ne profite toujours pas à la majorité des Angolais ?

Il y a des inégalités dans tous les pays du monde, et il est vrai que 30 % de nos compatriotes vivent toujours dans la pauvreté. Mais nous avons connu une guerre qui a duré quarante ans, et il faut du temps pour que les revenus du pétrole profitent à tout le monde. On nous juge sur une période très courte, alors que nous n’avons que dix ou onze ans de stabilité derrière nous. En une décennie pourtant, nous avons déjà fait beaucoup : nous avons construit trois chemins de fer et de nombreux projets d’infrastructures de base. Nous avons scolarisé 10 millions d’enfants et nous devons encore reconstruire l’ensemble du réseau routier.

La question du Cabinda n’est toujours pas réglée. Quelle est, aujourd’hui, la position du gouvernement par rapport aux indépendantistes ?

Nous avons négocié avec certains d’entre eux. Nous sommes ouverts, et prendre les armes pour nous combattre ne sert à rien. Pour nous, le Cabinda fait partie de l’Angola. Les Cabindais sont des Angolais comme les autres. Certains sont même entrés au gouvernement.

Les Congolais restent nos amis

En octobre, vous étiez à couteaux tirés avec le Congo-Brazzaville, après qu’une quarantaine de militaires congolais ont été enlevés près de la frontière. Que s’est-il passé ?

Il y a eu des tensions, c’est vrai. En 2010 déjà, des troubles avaient été signalés dans la zone. Mais les Congolais restent nos amis et tout cela n’était qu’un malentendu. Une commission mixte se réunira pour examiner la situation et bien délimiter la frontière entre nos deux pays.

Il y a quelques années, vous avez eu le même problème avec un autre de vos voisins, le Congo-Kinshasa

Nous avons une très longue frontière avec ce pays. Parfois, il y a des erreurs de tracé qui remontent à l’époque coloniale. D’autres fois, ce sont les bornes qui ont disparu. Mais là encore, nous nous sommes réunis et nous avons résolu le problème, et les gouverneurs des provinces frontalières se rencontrent régulièrement. L’Angola a toujours été proche de Kinshasa.

Mais aucun soldat angolais ne fait partie de la brigade d’intervention créée par l’ONU et positionnée dans le Nord-Kivu, dans l’est de la RDC. N’est-ce pas paradoxal ?

N’oubliez pas que notre pays a connu quarante années de guerre ! Notre armée a des problèmes : il faut la réformer, renouveler son équipement, etc. Il a fallu que nous trouvions des ressources pour le faire. Il y a, sur le continent, des pays dont la stabilité est plus ancienne, comme le Malawi, la Tanzanie ou l’Afrique du Sud. Ils ont donné les hommes dont la force onusienne avait besoin. Par ailleurs, il est prévu que, dans le cadre de l’accord tripartite Angola-Afrique du Sud-RDC, l’Angola prenne en charge la formation de l’armée congolaise. Aider la RDC à se doter d’une armée forte, capable de défendre son territoire, c’est mieux que de lui envoyer des troupes.

Le projet de zone pétrolière commune, dans l’Atlantique, entre Kinshasa et Luanda est-il toujours d’actualité ?

Oui. Cela a pris du temps mais les négociations sont terminées. L’étape suivante sera la constitution des partenariats pour commencer les forages et, ensuite, partager les ressources.

Depuis novembre 2012 et l’ouverture d’une enquête à Lisbonne pour blanchiment d’argent, des tensions diplomatiques perturbent les relations entre l’Angola et le Portugal. Pourtant, vos deux pays sont très proches, et de nombreux Portugais viennent s’installer en Angola…

Oui, près de 200 000 Portugais sont aujourd’hui installés dans notre pays. Pour nous, c’est normal. Ce qui ne l’est pas, c’est l’ensemble des procès qu’un procureur portugais avait commencé à instruire contre des Angolais qui ont investi au Portugal [l’enquête a depuis été classée]. Le procureur n’avait pas besoin d’en faire la publicité dans la presse et de laisser croire que les hommes d’affaires angolais n’avaient pas gagné honnêtement leur argent. Surtout que la suspicion portait sur de hautes personnalités angolaises [en l’occurrence sur Manuel Vicente, le vice-président]. Il faut un respect mutuel. Sans cela, il ne peut y avoir de relations harmonieuses. Lisbonne doit s’habituer à voir des Angolais noirs, riches et honnêtes.

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Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K.

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